L’assimilation des groupements politiques et des partis politiques ; la nomination du Président de la cour constitutionnelle par le Président de la République ; et la suppression de l’incompatibilité entre les fonctions de ministres et celles de parlementaire, sont autant de dispositions de la loi n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 portant révision de la Constitution sous le Président ATT que la Cour constitutionnelle dans son Avis n°12-002/CCM/Réf du 13 mars 2012 avait rejeté au motif qu’elles « créent une contrariété dans le texte constitutionnel ou constituent une régression dans la promotion et ou la protection des droits de la personne humaine et dans la transparence en matière de gestion des affaires publiques ».
On retrouve bizarrement les mêmes dispositions dans l’actuel projet de loi constitutionnelle du président Ibrahim Boubacar Kéïta. Cette remarque pertinente est du Dr Brahima Fomba, Chargé de Cours à l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (Usjp). Le constitutionnaliste chevronné révèle que le projet de loi constitutionnelle soumis à l’Assemblée nationale n’est pas seulement irrégulier du fait de sa présentation sous la forme de nouvelle Constitution plutôt que de Constitution modifiée ou révisée, il l’est aussi parce qu’il reconduit de vieilles modifications déjà rejetées par le passé par la Cour constitutionnelle. IBK veut-il alors défier la 5è institution de la République ? Il en a toute l’intention. Pour son bonheur à lui. Et au grand dam du peuple malien. Démonstration !
Le projet de loi constitutionnelle actuellement en discussion au niveau de l’Assemblée nationale n’est pas seulement irrégulier du seul fait de sa présentation sous la forme de nouvelle Constitution plutôt que de Constitution modifiée ou révisée. L’article 118 de la Constitution qui ne permet aucun amalgame entre ce qui relève du pouvoir constituant originaire (constitution nouvelle) et ce qui relève du pouvoir constituant institué ou dérivé (constitution révisée). L’article 118 qui est relatif à la révision de la Constitution ne peut aucunement être utilisé par le Président de la République pour doter le Mali d’une nouvelle constitution comme c’est le cas. Le Président de la République est constitutionnellement incompétent pour ce faire.
Mais, outre que le projet de loi constitutionnelle est formellement anticonstitutionnel au regard de l’article 118 de la Constitution, il reconduit de surcroit certaines vieilles propositions de modification de la loi n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 portant révision de la Constitution, sur lesquelles la Cour constitutionnelle avait pourtant émis de sérieuses réserves notamment dans son Avis n°12-002/CCM/Réf du 13 mars 2012.
Il faut savoir que le contrôle du référendum induit par la révision constitutionnelle relève essentiellement de la Cour constitutionnelle à travers entre autres une procédure consultative dont le fondement juridique réside dans la Constitution, la loi organique sur la Cour constitutionnelle, le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ainsi que sa jurisprudence. Ainsi, dans son Avis n°12-002/CCM/Réf du 13 mars 2012 sur la loi n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 portant révision de la Constitution sous le Président ATT , les « nouvelles dispositions » suivantes que l’on retrouve bizarrement dans l’actuel projet de loi constitutionnelle n’ont pas eu les faveurs de la Cour constitutionnelle au motif qu’elles « créent une contrariété dans le texte constitutionnel ou constituent une régression dans la promotion et ou la protection des droits de la personne humaine et dans la transparence en matière de gestion des affaires publiques ».
Ainsi, au mépris de l’Avis défavorable de la Cour constitutionnelle les considérant comme des reculs démocratiques, le projet de loi constitutionnelle a reconduit les modifications suivantes préconisées dans la loi n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 portant révision de la Constitution :
L’assimilation des groupements politiques et des partis politiques ;
La nomination du Président de la cour constitutionnelle par le Président de la République ;
La suppression de l’incompatibilité entre les fonctions de ministres et celles de parlementaire.
L’ASSIMILATION DES GROUPEMENTS POLITIQUES ET DES PARTIS POLITIQUES
C’est ce que l’article 9 de la loi n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 portant révision de la Constitution sous le Président ATT avait opéré à travers la modification de l’alinéa 1er de l’article 28 de la Constitution de 1992 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage… ». La Cour s’est montrée réticente à l’assimilation ainsi faite par la loi constitutionnelle entre les groupements politiques et les partis politiques, au motif que les groupements politiques n’ont pas la personnalité juridique et ne sont donc pas assimilables aux partis politiques. Au mépris de cet avis, le projet de loi constitutionnelle actuelle reconduit les mêmes dispositions à son article 5 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage……La loi fixe les conditions dans lesquelles les partis et groupes politiques exercent leurs activités…… ».
LA NOMINATION DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE PAR LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
L’article 73 de la loi constitutionnelle n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 modifiant l’alinéa 1er de l’article 92 de la constitution de 1992 disposait que « le Président de la Cour Constitutionnelle est nommé par le Président de la République ». La Cour avait estimé que cette proposition de modification « est un recul voire une atteinte à l’indépendance de la Cour constitutionnelle ». Sans tenir aucun compte de cet avis défavorable à cette modification qui ne constitue qu’un embrigadement supplémentaire de la Cour constitutionnelle par le Président de la République, le projet de loi constitutionnelle a simplement reconduit la même disposition à son article 80 ainsi libellé : « Le président de la Cour constitutionnelle est nommé par le Président de la République. Il a voix prépondérante en cas de partage…… ».
LA SUPPRESSION DE L’INCOMPATIBILITE ENTRE LES FONCTIONS DE MINISTRES ET CELLES DE PARLEMENTAIRE
L’article 33 de la loi constitutionnelle n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 avait inséré un alinéa 4 à l’article 58 de la Constitution de 1992 ainsi libellé : « Toutefois, demeurent vacants jusqu’à la fin de leur mission, les sièges des parlementaires appelés au gouvernement. Sauf si la mission prend fin, alors que des poursuites judiciaires sont engagées et portées à la connaissance du Président de l’assemblée concernée, l’ancien ministre reprend de plein droit, après son congé de fin de fonction, son siège au sein du parlement ».
Il s’agissait en réalité d‘un système de cumul de fait d’autant plus anachronique que son effet pervers était amplifié par le fait qu’il ne s’adossait même pas à un dispositif de suppléance. Ainsi le parlementaire devenu ministre conserve de fait son siège comme propriété privée, puisqu’il n’est pas remplacé ni par une élection partielle, ni par une suppléance. Tout se passe comme si son siège s’assimilait à un titre foncier qu’il conserve jusqu’au terme de sa vadrouille au gouvernement. A sa sortie du gouvernement, il fait valoir son titre de propriété de siège et occupe son fauteuil parlementaire comme on occupe sa parcelle. Tant pis pour la règle démocratique élémentaire qui veut que tous les citoyens aient droit à être représentés en permanence au parlement et que celui-ci soit à même de siéger au complet.
La Cour constitutionnelle avait sèchement exprimé son désaccord avec cette modification qui, selon elle, « pourrait priver les citoyens des circonscriptions concernées des travaux de restitution des députés ».
Néanmoins, sans aucune considération pour cet avis, l’actuel projet de loi constitutionnelle, quoique dans une formulation édulcorée, a reconduit la même proposition à l’alinéa 3 de son article 33 : « les sièges des parlementaires appelés au gouvernement demeurent vacants jusqu’à la fin de leur mission et les conditions de leur remplacement sont définies par une loi organique ».
La reconduction mécanique dans le projet de loi constitutionnelle d’anciennes dispositions de la loi de révision constitutionnelle n°11-056/AN-RM du 02 août 2011 marquées du sceau du recul démocratique par la Cour constitutionnelle, montre bien que l’objectif affiché de consolidation des institutions de la République à travers cette révision constitutionnelle n’est qu’une profession de foi démagogique qui ne sert qu’à des fins politiciennes.
Nonobstant le caractère non contraignant de cet Avis « qui ne lie pas son destinataire, donc dont il peut ne pas être tenu compte sans pour autant vicier la procédure de la révision constitutionnelle… » (Voir l’Arrêt CC-n°01-128 du 12 décembre 2001), on image mal comment, au plan politique, des modifications pourraient-elles se faire au mépris des réserves émises par le Cour constitutionnelle.
Vivement donc l’Avis de la Cour constitutionnelle sur le projet de loi constitutionnelle actuelle, toit en espérant bien entendu qu’elle va enfin s’affranchir définitivement de la politisation qui la plombe et qui l’empêche d’agir en institution indépendante et crédible. En particulier, osera-t-elle, comme indiqué dans l’Avis n°01-001/Référendum rendu lors de l’examen de la loi n°00-54 AN-RM du 25 juillet 2000 portant révision de la Constitution sous le Président Alpha Omar KONARE, donner un avis indépendant sur la procédure de révision constitutionnelle en cours tout en rappelant au gouvernement que cet avis « est surtout destiné à l’information du public par sa publication au Journal Officiel avant la convocation du collège électoral ».
Les Maliens vont- ils effectivement avoir accès à l’avis que donnera la Cour constitutionnelle qui doit être publié dans le Journal Officiel avant la convocation du collège électoral en vue du référendum constitutionnelle ? Pourrait-on y lire, comme dans l’Avis n°12-002/CCM/Réf du 13 mars 2012 que « La Cour rappelle les dispositions de l’article 118 alinéa 3 de la Constitution : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » ?
Dr Brahima FOMBA
Chargé de Cours à Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (Usjp)