Il s’appelle Ilad Ag Mohamed et se caractérisait récemment encore par une légendaire discrétion. Avec ses nouvelles fonctions de porte-parole de la CMA, ce proche collaborateur de Billal Ag Asharif rompt progressivement avec son silence habituel. Au sortir de la Conférence d’Entente Nationale à laquelle il prenait part pour le compte de la Coalition autonomiste, cet inspecteur des douanes en disponibilité usurpée a généreusement accepté de se prêter à nos questions sur l’événement ainsi que sur les dispositions de la CMA, après que le débat sur l’AZAWAD a terminé en queue de poisson.
Le Témoin : Quelles sont vos impressions sur la Conférence d’entente et quels enseignements en avez-vous tirés
Ilad Ag Mohamed : Nous pensons que la conférence d’entente nationale, en tant que disposition de l’Accord pour la paix, est un événement très important. C’est pourquoi nous avions dès le début décrié les conditions de sa tenue car nous pensions que ce n’était pas le moment. Mais suite à des profondes négociations nous avons quand même décidé d’y prendre part, même si nous l’avons fait un peu tardivement. Mon constat personnel est que beaucoup de gens sont venus non pas pour débattre profondément de toutes les questions en rapport avec la paix, mais juste pour manifester et exprimer leur désaccord aux autres. Or nous n’étions pas venus pour cela. Je crois qu’on est venus pour s’écouter mutuellement et essayer de prendre en charge les préoccupations des uns et autres, les comprendre ou tout au moins leur prêter attention. J’estime cependant que nous avons réussi à nous faire entendre dans une certaine mesure. Je rappelle que le premier jour beaucoup de gens réticents à la seule évocation du mot AZAWAD ont finalement commencé à comprendre que ce n’est pas le feu qui brûle.
LT : Pourquoi alors n’y a -t-il pas eu de consensus autour de cette appellation selon
IAM : Je suis convaincu qu’on ne peut parler d’entente effective aujourd’hui au sortir de cette salle (Ndlr, dimanche 2 Avril. Il faut continuer à approfondir le débat, à discuter, à envisager les solutions de sorties de crise définitives. Et je pense que cela passe par la reconnaissance de l’AZAWAD comme entité politique. Cela est le plus important pour nous de la CMA.
LT : Pensez-vous que le redéploiement de l’armée, de l’administration et tout le reste sont compromis par ce manque de consensus ?
IAM : Point du tout. Je pense qu’on est en train d’évoluer vers ces étapes-là. Vous savez, l’Accord doit être mis en œuvre dans l’ensemble de ses dispositions et ce n’est pas la Conférence d’entente nationale qui va venir bloquer une partie. Par exemple, le Mécanisme opérationnel de coordination est en marche. On a réussi à le mettre en place à Gao et on va l’installer encore à Kidal, Tombouctou, Taoudéni et Ménaka. Il en est de même pour l’installation des autorités intérimaires qui représentent l’administration pour nous. Aujourd’hui, il ne reste que Tombouctou et Taoudéni pour parachever le processus.
LT : Les autorités intérimaires sont-elles réellement capables, à vos yeux, de garantir une bonne conduite du processus électoral et référendaire qui s’annonce ?
C’est cela aussi la mission des autorités intérimaires. En plus d’assurer le retour des réfugiés, réviser les listes électorales par l’inscription des différents citoyens en vue de l’organisation des élections et de de leur participation. Encore faut-il qu’on ne les empêche pas d’accomplir leurs missions. Il ne faudrait pas, par exemple, qu’en voulant faire des élections rapidement on essaie d’ignorer certains aspects. Aujourd’hui des dizaines de milliers de réfugiés vivent à l’extérieur et qu’on ne peut pas ignorer et à qui on doit permettre de rentrer pour s’exprimer librement en tant que citoyens.
LT : Le MOC peut-il par exemple remplacer l’armée ?
IAM : Vous savez, il y a de cela cinq ans l’armée n’était pas du tout présente. Il n’y avait pas un seul soldat sur le territoire de l’AZAWAD. Aujourd’hui l’armée est de retour dans plusieurs régions, dans plusieurs grandes villes de l’AZAWAD mais il faut commencer à la reconstruire conformément à l’Accord. Les patrouilles mixtes représentent un peu l’embryon de l’armée reconstituée envisagée par l’Accord d’Alger. Il faut qu’on aille vers cela car ça ne sert à rien de se précipiter en essayant d’amener l’armée partout sous prétexte d’une souveraineté ou d’une intégrité. Il ne sert à rien de se précipiter
LT : Les patrouilles sont-elles pour vous un gage de sécurité du processus électoral ?
IAM : En réalité les patrouilles mixtes constituent pour nous les forces nationales et il n’est pas compliqué de les mettre en place avant les élections pour leur permettre de sécuriser le processus.
LT : Quel contenu voudriez-vous faire accepter de l’AZAWAD ?
Pour nous l’AZAWAD et son statut politique doit être compris comme une zone d’autogestion et de libre-administration sur tous les plans : économique, culturel, politique, etc. Je crois que l’Accord permet de le prendre en charge à travers ses dispositions comme l’élection des responsables locaux au suffrage direct. Il faut consolider tout cela et permettre la création des Zones de Développement également prévues dans l’Accord pour que les Azawadiens se prennent en charge sur les plans.
LT : Et qui sont les Azawadiens ?
IAM : Il y a certes des gens qui vous diront qu’ils ne se reconnaissent pas dans l’Azawad. Pour nous, les militants de la CMA sont des Azawadiens. Mais loin de nous l’idée de vouloir en imposer aux autres car nous savons aussi qu’il n’est pas évident de parvenir à une unanimité autour de la question. Des gens qui contestaient l’appellation ont fini par l’accepter ; c’est donc un processus en cours. Nous envisageons une grande rencontre de tous les Azawadiens pour qu’ils discutent entre eux, pour essayer de discuter à l’interne et liquider les questions de divergences politiques qui entravent son acception. Il y a par exemple ceux qui rejettent l’appellation juste parce qu’ils ne pas de même bord politique que ceux qui l’admettent.
LT : En quoi selon vous la Conférence d’entente aura été utile ?
IAM : Je pense que le plus important c’est que la Conférence d’entente a permis aux Maliens tous les bords d’entrer dans une salle, au sein des commissions de travail, de parler, de se dire la vérité même cela pouvait choquer. Cela a beaucoup manqué. Depuis le processus qui a débouché sur la signature de l’Accord d’Alger, on n’a pas pratiquement pas organisé un cadre de cette dimension. Aujourd’hui, il est heureux de constater que les Maliens de Kayes, de Sikasso et Mopti, entre autres, savent désormais ce que pense la CMA par rapport à telle ou telle situation. Cela est très important et représente pour nous un déclic qui pourra nous conduire, à la phase deux, à une entente définitive.