La Conférence d’entente nationale (CEN) s’est tenue au Palais de la culture Amadou Hampâté Ba de Bamako. Ce fut sûrement un grand moment d’échanges et même de communion entre des fils de notre pays. Nous vous en félicitons en attendant les résultats concrets de vos assises.
Cependant, notre sens élevé du patriotisme ne nous permet pas de garder un silence coupable sur l’amertume des donso-chasseurs occasionnée par leur exclusion de cette Conférence d’entente nationale. Dans les faits, hormis quatre cartons d’invitation pour les cérémonies d’ouverture et de clôture, aucun donso-chasseur n’a été convié à participer à ladite conférence.
Monsieur le président de la Conférence nationale d’entente, les donso-chasseurs du Mali sont indignés par ce manque de considération manifeste à l’égard de leur confrérie, l’un des plus anciens et authentiques regroupement socioculturels de notre pays. Ne vous en offusquez pas, car les faits sont têtus et les actes posés sont sans appel.
En effet, votre Conférence d’entente nationale s’est tenue en ignorant souverainement l’existence de la confrérie des donso-chasseurs du Mali. Ceux-là qui sont d’hier et d’aujourd’hui, du Manden, du Bélédougou, du Macina, du Wassoulou, du Kénédougou, du Ganadougou, du Ségou, du Seno, du Koréri, du Brico, du Kaarta, du pays Dogon, du Wagadou, du Koumbi, etc.
M. le président, nous ne doutons pas que votre équipe ait été bien documentée sur les “forces vives du Mali”, sur la société civile malienne en ce qu’elle renferme d’authentique et d’historicité avérée. Nous ne doutons pas également que vous ayez fait le tour complet de la structuration socioculturelle de notre pays pour choisir ceux qui sont dignes de participer activement et valablement à votre Conférence d’entente nationale. Or donc, d’où vient la décision d’écarter les donso-chasseurs de vos assises dites nationales ?
Nous n’allons pas préjuger de vos intentions, loin s’en faut. Mais permettez-nous de vous présenter la situation telle que nous la percevons tout en vous exprimant les raisons de notre profonde indignation. Mais tout cela dans le seul but d’avancer dans le bon sens !
M. le président, au moment où se tiennent vos assises, la presse locale et internationale se fait l’écho de ce qui se passe dans le Macina, le Seno, le Koumbi et le Koréri. Ce sont les donso-chasseurs qui se trouvent en première ligne face aux jihadistes qui les considèrent comme le dernier rempart de la localité. Et ce, malgré eux.
Du point de vue de ces bandits armés, les donso-chasseurs forment le seul regroupement social qui clame haut et fort son opposition à leurs velléités en défendant leurs croyances ancestrales. Ce faisant, ne défendent-ils pas le caractère laïc de la République ? Combien d’entre eux ont ainsi payé de leur vie et continuent de le faire en attendant la maîtrise totale de la situation par les FAMa ?
Alors, M. le président, à cause de cette seule situation, un tel regroupement apolitique, loin d’être une milice, n’avait-il pas son mot à dire dans les débats d’entente nationale ? La confrérie des donso-chasseurs ne constitue-t-elle pas une autorité traditionnelle représentative et crédible à vos yeux ?
Par ailleurs, nous ne vous apprenons rien en affirmant que depuis 2012, les donso-chasseurs du Mali, dans l’ombre et sans triomphalisme, ne cessent de fournir des renseignements précieux aux FAMa. Ils sont les seuls à parcourir, de jour comme de nuit, les brousses lointaines que traversent les envahisseurs et où ils campent, au besoin.
Au nom de la patrie, les donso-chasseurs se sont autosaisis de cette mission de signaler toute présence suspectes dans les différentes forêts du pays. Certains d’entre eux ont perdu leur vie dans ces brousses orphelines et ont toujours été oubliés dans cette comptabilité macabre des victimes civiles. Seuls leurs confrères continuent de leur rendre hommage !
M. le président, l’indignation des donso-chasseurs est d’autant plus grande que même en ayant accepté d’envoyer leurs représentants, très visibles, pour honorer votre invitation, vous ne vous êtes pas avisés d’une quelconque méprise possible. Que faut-il tirer comme enseignement, dans ce cas ? Sans vouloir vous charger injustement, notre confrérie, en ses différentes associations (trois), a considéré qu’il s’agissait d’une exclusion pure et simple de votre part. Et pourquoi donc ?
– Est-ce parce que nous, donso-chasseurs, ne sommes pas assez représentatifs dans le pays ?
Et pourtant, dans nos campagnes, pas moins de 60 % des hommes qui comptent sont membres ou sont sympathisants de la traditionnelle confrérie des donso-chasseurs.
– Est-ce parce que nous, donso-chasseurs du Mali, n’avons rien fait pour barrer la route aux envahisseurs et œuvrer pour la paix ?
Et pourtant, de nombreux donso-chasseurs ont été privés de leur vie et continuent de la risquer pour informer les FAMa et pour s’opposer frontalement aux jihadistes et bandits armés dans le Macina et Koréri, par exemple.
– Est-ce parce que nous, donso-chasseurs du Mali, n’avons pas assez mérité de la nation ?
Et pourtant, nous demeurons les dignes et fiers héritiers de ceux qui ont fondé près de 90 % des villages (devenus villes), des principautés, royaumes et empires de ce pays.
Par ailleurs, vous dites que votre conférence a pour but l’élaboration d’une charte. Et pourtant, pour votre gouverne et celle de votre équipe, les donso-chasseurs du Mali sont à l’origine de l’une des plus anciennes chartes de l’humanité. Excusez du peu, M. le président ! Manden basigikan ou Manden kalikan ou le Serment du Manden ou la Charte du Manden.
Au XIIIe siècle, c’est bien cette charte, œuvre majeure des donso-chasseurs, qui a permis de stabiliser le Manden pour conduire à la fondation de l’Empire du Mali sous Soundiata, un maître de la confrérie des donso-chasseurs. C’est également le texte de cette charte qui fait la fierté des intellectuels noirs à travers le monde et qui a fait l’objet d’un classement par l’Unesco dont vous fûtes l’un des très éminents cadres. Si de nos jours, M. le président de la République aime à dire que “nous étions quand d’autres n’étaient pas”, c’est évidemment grâce à l’œuvre des donso-chasseurs que cette affirmation est une vérité taillée dans du roc !
M. le président, l’indignation des donso-chasseurs a atteint son paroxysme quand vous avez fait toute la place à ceux-là qui ne sont que d’aujourd’hui. En même temps, vous avez souverainement ignoré ceux qui sont d’hier, les vrais détenteurs de nos authentiques valeurs de civilisation qui fondent notre identité africaine et malienne.
N’avaient-ils pas le droit de participer à un tel forum sinon d’en être, tout au moins, des témoins privilégiés ? Les donso-chasseurs n’ont-ils pas tant fait pour ce pays pour devenir, aujourd’hui, des enfants illégitimes de la République ? Tout cela à cause de leur attachement indéfectible aux valeurs spirituelles, religieuses, éthiques et sociales de nos ancêtres !
M. le président, certainement que vous ignoriez l’état d’âme des donso-chasseurs du Mali après leur absence remarquée de vos débats d’entente nationale. A présent, c’est fait.
Nous espérons humblement et respectueusement n’avoir pas heurté votre sensibilité et vos convictions dans cette si longue lettre. Si tel était le cas, nous vous présentons toutes nos excuses car notre propos ne saurait s’inscrire dans une outrecuidance à l’égard d’un ancien comme vous. L’éthique des donso-chasseurs la proscrit formellement.
Nous vous remercions de votre patience et de votre bonne compréhension.
M. le président, veuillez recevoir l’expression de notre considération distinguée.