Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Politique
Article
Politique

Opérations de maintien de la paix, cas spécifique du Mali: Aide ou mise sous tutelle ?
Publié le mercredi 26 avril 2017  |  Le Républicain
Patrouille
© aBamako.com par Momo
Patrouille de la MINUSMA à Tombouctou
Tombouctou, le 11 Mai 2015, la MINUSMA a procédé aux patrouilles à Tombouctou
Comment


Si la fin de la guerre froide s’est traduite par une diminution substantielle des risques de conflits armés entre Etats et de confrontation militaire directe ou indirecte entre grandes puissances, elle n’a malheureusement pas permis d’éradiquer la survenance de conflits internes souvent armés et pouvant impliquer des interférences extérieures dans la vie politique de divers pays sur plusieurs continents. L’ouverture démocratique dans des pays naguère soumis à des régimes autoritaires ou dictatoriaux n’a pas suffi non plus à éviter le déclenchement de conflits armés internes mettant souvent en jeu la paix et la sécurité de sous-régions, de régions entières voire du reste du monde.

L’Organisation des Nations Unies et diverses organisations continentales, régionales ou sous-régionales se sont ainsi trouvées en première ligne pour aider à prévenir, gérer ou résoudre lesdits conflits dans le cadre d’opérations connues sous le vocable générique d’Opérations de maintien de la paix (OMP) mais recouvrant toute une gamme allant de la prévention des conflits à l’imposition de la paix. Alors même que l’expression maintien de la paix ne figure nulle part dans la Charte des Nations Unies et que ladite Charte stipule clairement les principes de souveraineté et d’égalité des Etats membres ainsi que celui de non-ingérence dans les affaires intérieures, les opérations de maintien de la paix suscitées par la survenance de conflits internes que la communauté internationale estime être porteurs de dangers pour la paix et la sécurité d’autres pays créent souvent des situations mettant en jeu le respect de la souveraineté nationale et internationale du pays en conflit.

La présente communication examine notamment le cas de la Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA), une opération créée par la résolution 2100 du Conseil de Sécurité de l’ONU datée du 25 avril 2013 et prenant le relai de la MISMA (Mission Internationale de Soutien au Mali sous conduite Africaine) autorisée par ledit Conseil de Sécurité suivant la résolution 2085 du 20 décembre 2012. Après un bref rappel du concept de souveraineté ainsi que du mandat évolutif de la MINUSMA tel que défini et renouvelé par diverses résolutions du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, la communication traitera de certaines situations ayant donné lieu à de sérieuses controverses entre la Mission onusienne et diverses forces politiques et sociales du Mali, voire entre elle et le Gouvernement malien lui-même, portant notamment sur la violation ou non de la souveraineté de l’Etat, voire sa mise sous tutelle. Enfin, la communication proposera des pistes de réflexion et de recommandations susceptibles de réduire la marge d’interférences possibles entre l’exécution normale du mandat de la Minusma et l’exercice plein et entier de la souveraineté nationale et internationale de la République du Mali.

A. Principe de souveraineté et mandat de la MINUSMA

Le principe de souveraineté a une double dimension nationale et internationale. Au plan national, il signifie que l’Etat, en tant que pouvoir politique organisé, exerce la plénitude de ses compétences, notamment ses fonctions régaliennes, sur des populations vivant sur un territoire déterminé. Au plan international, il met en exergue, d’une part l’égalité souveraine des Etats, quelles que soient leurs tailles ou leurs puissances militaires ou économiques et, d’autre part, la non ingérence dans les affaires intérieures des Etats, y compris de la part de l’ONU elle-même.

Destinées à l’origine à être utilisées dans la gestion de conflits armés entre Etats, notamment sous la forme d’observateurs militaires armés ou non armés, les opérations de maintien de la paix à l’intérieur d’Etats connaissant des conflits internes courent très facilement le risque de se retrouver partie prenante auxdits conflits et sur la pente glissante de l’interférence dans les affaires intérieures des Etats concernés, surtout lorsqu’elles deviennent des ‘’missions multidimensionnelles intégrées’’ embrassant pratiquement une large proportion de la gamme des fonctions et missions d’un Etat normal..



A prime abord, il peut paraitre dérisoire pour un pays comme le Mali, qui avait perdu pendant plus de neuf long et douloureux mois le contrôle de plus des deux-tiers de son territoire national du fait de l’effondrement de son Armée et dont l’ordre constitutionnel avait été mis à terre par un coup d’Etat militaire, de prétendre se plaindre aujourd’hui d’atteinte à sa souveraineté par la Force Onusienne. Au surplus, l’exemple réussi de la Sierra Leone témoigne a contrario de la contribution de l’Onu à la restauration de la souveraineté d’Etats mis à mal par une rébellion armée et des bandes de narco trafiquants transfrontaliers. Mais d’autres exemples de partition d’Etats indépendants membres de l’Onu, donc de remise en cause de la souveraineté et de l’intégrité territoriale sous l’égide d’opérations de maintien de la paix, notamment au Soudan et au Kosovo/ex-Yougoslavie, sont régulièrement invoqués pour illustrer la menace que peut représenter à cet égard le déploiement d’une Force onusienne dans la gestion de crises internes.

Aucune disposition du mandat de la Minusma, fortement inspiré de la doctrine Capstone de 2008 et tel que défini successivement et de façon évolutive dans les résolutions nos 2100, 2164 et 2227 du Conseil de Sécurité de l’ONU, ne représente une quelconque violation formelle de la souveraineté de la République du Mali en tant qu’Etat indépendant, membre à part entière des Nations Unies dans ses frontières internationalement reconnues. En fait, ces résolutions rappellent toutes l’attachement des Nations Unies au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Mali et appellent la Minusma à contribuer au rétablissement de l’autorité de l’Etat malien sur l’ensemble du pays.

Cependant, il convient de noter que l’Opération onusienne au Mali a été fortement inspirée et reste substantiellement encadrée aussi bien sur le terrain qu’au niveau du siège à New York, par l’ex-puissance coloniale dont les desseins historiques vis-à-vis du Nord du Mali et des ressources stratégiques dont il regorge continuent à alimenter un climat certain de méfiance et de suspicion au sein d’importantes couches des populations maliennes.

En outre, les forces militaires et de police de la Minusma, mieux pourvues et plus équipées que l’Armée nationale, ne relèvent pas de l’autorité de la République du Mali. Le monopole de la force armée étant l’un des attributs de la souveraineté nationale, cet état de fait peut donc très facilement être interprété et perçu comme hypothéquant l’exercice effectif de ladite souveraineté par l’Etat malien. On peut, du reste, imaginer une ou plusieurs situations où, par exemple, l’exercice des pouvoirs de police de l’Etat malien sur l’ensemble de son territoire et de ses populations pourrait se trouver contrarié par une volonté contraire des Forces onusiennes.

En outre, l’exercice effectif des compétentes étatiques attachées à la souveraineté nationale est facilité, ou a contrario gêné, par le degré de légitimité dont l’Etat bénéficie aux yeux des populations. Or, cette légitimité découle certes des conditions d’accès au pouvoir, mais aussi de l’effectivité des services que les populations attendent et reçoivent – ou pas- de l’Etat. Vu sous cet angle, la délivrance de services sociaux de base par la Minusma, au registre des actions humanitaires ou de développement, peut donc mettre en péril la perception de légitimité de l’Etat aux yeux des populations concernées, surtout dans les zones où, notamment du fait du conflit, l’Etat est absent ou en sous-capacité. Dans cet ordre d’idées, le caractère multidimensionnel et l’organigramme de la Minusma peuvent donner à penser, voire à craindre, qu’il n’y ait un certain risque de création d’une Administration ‘’parallèle’’ à l’Administration publique malienne, donc de duplication voire de compétition et de substitution. A cet égard, l’expérience de la Monuc (aujourd’hui rebaptisée Monusco) en République Démocratique du Congo doit donner matière à méditation dans la mesure où la Force Onusienne fut accusée, non sans raison d’ailleurs, de se comporter tel un Etat dans, sinon au dessus de l’Etat congolais.

Tout en admettant donc que, stricto sensu, le mandat de la Minusma ne déroge en rien à la souveraineté du Mali, il est loisible de se demander si ledit mandat est réellement adéquat et adapté au regard de la situation et des défis réels auxquels le pays est confronté depuis l’avènement de la crise en 2011/2012. Et c’est là que gît le lièvre, comme dirait l’autre ! En effet, là où l’écrasante majorité de l’opinion publique s’attendait à recevoir de la communauté internationale en général, et des Nations Unies en particulier, un appui militaire direct pour la libération totale de toutes les zones tombées sous le contrôle des groupes armés, toutes obédiences confondues, voilà que la sémantique juridique à fortes implications politiques des résolutions définissant le mandat de la Minusma fait une distinction entre d’une part, groupes terroristes et djihadistes – à combattre- et, d’autre part ‘’groupes armés maliens’’, avec lesquels il faut négocier, l’ONU légitimant ainsi le recours à la rébellion armée comme moyen de revendications politiques dans un contexte démocratique quoiqu’imparfait comme celui du Mali. Or, non seulement ces divers groupes, tous armés, fonctionnent selon le système des vases communicants comme il a été donné de le confirmer lors des évènements de Kidal de mai 2014, mais les soit disant groupes armés maliens sont ceux-là mêmes qui non seulement revendiquent la partition du Mali, mais aussi se sont associés – et le restent largement- aux groupes affiliés à la nébuleuse Aqmi (AlQuaïda au Maghreb Islamique) pour allumer la crise dans les régions Nord du Mali.

Cependant, il se trouve que la lettre du Président par intérim de la République du Mali ayant enclenché le processus qui a débouché sur l’envoi de la mission onusienne de maintien de la paix, y compris sous la forme initiale de la MISMA (Mission Internationale de Soutien au Mali sous conduite africaine), demandait spécifiquement un appui contre les groupes djihadistes considérés comme largement composés d’éléments non maliens (Aqmi, Mujao, Boko Haram) et excluait explicitement le MNLA et Ansar Dine! A l’époque, jetant la proie pour l’ombre, l’opinion publique malienne, largement hostile (mais pour des raisons variées) à toute idée d’intervention militaire étrangère, s’était focalisée sur la question de savoir si la lettre du Président par intérim avait reçu l’aval du chef de la junte militaire responsable du coup d’Etat du 22 mars 2012 plutôt que sur le contenu même de ladite lettre.

Un peu à la décharge du Président par intérim, le contenu de sa lettre était, selon toute vraisemblance, le résultat de conciliabules, de négociations et de compromis avec non seulement la CEDEAO, l’Union Africaine et probablement au moins l’un des pays dits du champ dont les affinités avec Ansar Dine sont bien connus, mais aussi avec l’ex-puissance colonisatrice alors même que les liens originels que cette dernière entretient avec les séparatistes du MNLA sont aujourd’hui clairement établis. Cette forte implication de la CEDEAO, de l’Union Africaine et, surtout, de puissances étrangères dans la définition ab initio des termes de référence de l’appui extérieur, y compris dans la rédaction même et dans la présentation du projet des futures résolutions 2085 et 2100 du Conseil de Sécurité de l’ONU, continue à marquer les esprits et à affecter la perception de la Minusma par d’importantes sections de l’opinion publique nationale, y compris celles qui n’avaient pas d’atomes crochus ni avec l’ex-junte militaire, ni avec les sympathisants des groupes djihadistes qui tenaient le haut du pavé avant le déclenchement de l’Opération Serval.

A la décharge de la CEDEAO et de l’Union Africaine, il convient de rappeler que la MISMA marquait explicitement et textuellement une volonté africaine de ‘’ soutien au Mali’’ alors qu’insidieusement le mandat de la Minusma évoque plutôt la ‘’stabilisation au Mali’’, le virement sémantique ayant toute son importance! En réalité, on se rend compte que la résolution 2100 consacre une mise à l’écart des instances africaines du processus décisionnel guidant la Minusma. Des sources généralement bien introduites affirment même qu’une puissance extérieure fortement impliquée dans la création du MNLA, ce groupe armé qui revendique ouvertement et officiellement la partition du Mali, a fortement usé de son influence auprès de divers pays pour les dissuader d’équiper les troupes de la MISMA et d’aider logistiquement à leur déploiement sur le terrain.

C’est donc ce qui pro quo originel, accentué par les propos récents de hauts responsables de la Minusma (bien avant la reformulation du mandat de celle-ci en Force d’accompagnement de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger aux termes de la résolution 2227 du 29 juin 2015) selon lesquels celle-ci n’est destinée à combattre ni les séparatistes, ni les djihadistes, ni même les narco trafiquants, qui continue largement à influencer la polémique sur la violation de la souveraineté du Mali par la Minusma et la budgétairement coûteuse inutilité de celle-ci. La vaste campagne de communication tous azimuts aujourd’hui menée par la Force Onusienne aurait dû être lancée dès l’origine. Les populations et leurs institutions représentatives (Assemblée Nationale, Haut Conseil des Collectivités, Conseil économique, social et culturel, etc.) ayant été tenues à l’écart, y compris par le Gouvernement malien lui-même, de l’ensemble du processus ayant abouti à la conception et à la mise en place de la Minusma, il n’est point étonnant que des suspicions de velléités de mise sous tutelle du pays continuent à prospérer dans l’esprit de nombreuses forces politiques et sociales du Mali.

Mais d’autres facteurs, tenant à certaines actions et initiatives de la Force Onusienne et aux dispositions de l’Accord d’Alger et des textes subséquents, viendront donner du grain à moudre aux milieux sociaux et politiques fortement attachés au respect scrupuleux de la souveraineté de l’Etat malien même affaibli par la crise et des décennies de délitement de la puissance publique et d’effritement de sa légitimité aux yeux d’importantes franges de la population.

B)Principe de souveraineté et actions de la Minusma :

Plutôt que son mandat en tant que tel, ce sont certaines actions et initiatives de la Minusma qui fondent les accusations de violation par elle de la souveraineté du Mali, voire de mise sous tutelle de ce dernier par des puissances étrangères agissant de façon souvent trop ouverte sous le couvert des Nations Unies pour bénéficier du préjugé de neutralité et d’impartialité qui préside aux opérations onusiennes de maintien de la paix.

Parmi ces initiatives, figurent en bonne place la décision de la Force Onusienne d’instaurer à Tabankort, Ménaka et surtout Anéfis, des zones-tampon ou de sécurité. Officiellement destinées à assurer ‘’la sécurité des populations’’, ces zones-tampon n’étaient en fait que des tentatives à peine voilées de protection, voire de sauvetage des groupes armés séparatistes mis en déroute par des groupes d’auto-défense suppléant à l’absence ou à la carence de l’Etat central et de ses Forces Armées et de Sécurité. La réaction des populations de Gao, notamment des jeunes et des femmes de la cité des Askias, lourdement réprimée dans le sang par les éléments armés de la Minusma, en dit long sur la conviction d’importantes franges de l’opinion publique nationale et locale d’un parti pris flagrant de la Force onusienne en faveur des groupes armés séparatistes

Ces décisions de la Minusma ont été prises en violation de son mandat et en usurpation des prérogatives régaliennes de l’Etat malien. En effet, non seulement toutes les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité de l’ONU reconnaissent la responsabilité première de l’Etat malien dans la sécurisation des populations- et du personnel même de la Minusma-, mais la sécurité des populations civiles était plutôt menacée par les groupes séparatistes et djihadistes que les ‘’zones de sécurité’’ protégeaient et sauvait d’une débâcle militaire sur le terrain.

La charge contre la Minusma s’aggrave du fait que ces décisions illégales aux termes même de son mandat ont été prises à l’insu du Gouvernement malien. Qui plus est, en signant avec les groupes armés séparatistes l’acte de création de la zone-tampon autour de Tabankort, la Minusma leur reconnaissait une légitimité et des prérogatives sans fondement. Ce faisant, elle s’exposait à juste titre à des accusations d’immixtion dans les affaires intérieures de l’Etat malien et d’usurpation des missions et prérogatives de ce dernier.

Dans le même ordre d’idées, en organisant des patrouilles mixtes avec les groupes armés (parmi lesquels des auteurs et complices de crimes de guerre et de graves violations des droits de l’homme dans le nord, le centre et le nord-ouest du pays) occupant notamment la zone de Kidal et qu’elle est chargée de cantonner et de désarmer selon au moins l’esprit de la résolution 2100 notamment, la Minusma faisait ainsi elle-même échec à sa mission consistant à aider à la restauration complète de l’autorité de l’Etat malien sur l’ensemble du territoire national.

L’Accord d’Alger, à l’élaboration duquel a contribué la Minusma, viole la Constitution de la République du Mali, remet en cause le caractère républicain, laïc et unitaire de l’Etat malien et n’organise pas le cantonnement, a fortiori le désarmement des groupes armés. Il prévoit en outre la mise en place d’un Comité de Suivi doté d’attributions et de prérogatives dans des domaines régaliens de l’Etat et outrepassant celles normalement reconnues à un médiateur. Et c’est précisément ce Comité de Suivi (au sein duquel siégeaient naguère des ministres maliens souvent responsables de Départements de souveraineté sous la présidence de l’Ambassadeur d’un pays voisin !) qui organise de facto sinon de jure la mise sous tutelle du Mali. Au delà des termes écrits du mandat officiel de la Minusma, le déroulement réel de l’opération de maintien de la paix au Mali ne met pas la Force Onusienne à l’abri de critiques fondées de velléités de mise en cause de la souveraineté de la République du Mali.

Enfin, les tractations qui ont abouti au relevé des conclusions du 5 juin 2015 et à la signature séparée du 20 juin de la même année de l’Accord d’Alger par les groupes armés séparatistes et djihadistes membres de la CMA dénotent une claire connivence du leadership politique et militaire de la Minusma avec précisément ces groupes qui sont à l’origine de la crise multidimensionnelle qui secoue le Mali.

C)Conclusion :

Toute intervention extérieure liée à la résolution de conflits armés intérieurs mettant l’Etat central aux prises avec des groupes rebelles ou contestataires armés court le risque de se laisser entraîner sur une pente glissante pouvant déboucher sur une possible immixtion dans les affaires intérieures dudit Etat, voire une mise sous tutelle de celui-ci. Ce risque est d’autant plus dangereux qu’il peut n’être qu’une simple perception sans fondements avérés dans les faits, car les perceptions sont plus difficiles et plus délicates à gérer que la réalité concrète elle-même. Dans ce contexte, les recommandations suivantes peuvent être formulées.

Premièrement, il y a lieu d’éviter qu’un pays ayant le rôle d’ex-puissance colonisatrice ne soit directement impliqué dans la définition du mandat et dans la direction politique ou militaire d’une opération de maintien de la paix dans une de ses anciennes colonies, surtout lorsque a)le mode de gestion coloniale s’apparentait plus à une colonisation et une administration coloniale directes qu’à celui du type ‘’indirect rule’’ et b) l’histoire des relations post indépendance avec l’ex-colonie n’a pas été sans frictions.

Deuxièmement, il importe de ramener les opérations de maintien de la paix à leur « core mission », celle-ci pouvant varier suivant le contexte et les exigences spécifiques de la crise en question. Autrement dit, la notion de ‘’missions multidimensionnelles’’, donnant une image plutôt floue, tentaculaire et dispersée de l’Opération de maintien de la paix, doit être abandonnée. Dans le contexte du Mali, il y a lieu de recentrer le mandat de la Minusma sur la lutte contre les forces négatives, celles-ci étant définies comme tous groupes armés représentant une menace pour l’autorité de l’Etat, son caractère républicain, démocratique, unitaire et laïc. Ainsi, la Minusma deviendrait une force plus robuste, plus recentrée et plus efficace parce que plus offensive à l’image de la brigade spéciale d’intervention qui a permis de liquider le groupe rebelle armé M23 en République Démocratique du Congo.

Troisièmement, et conséquence directe de la seconde recommandation ci-dessus, les activités ‘’non core’’ devraient être discontinuées et les ressources y correspondantes redéployées soit au profit des Agences déjà existantes de l’ONU elle-même, soit sous la forme de programmes de renforcement/reconstitution des capacités humaines, institutionnelles et matérielles des Administrations publiques nationales ou d’autres institutions de la République, avec la participation et sous le contrôle d’acteurs politiques et sociaux non étatiques, de préférence nationaux et locaux. Cette réallocation et ce ‘’re-routing’’ s’appliquerait aussi bien aux activités dites humanitaires qu’à celles plus centrées sur le développement.

Quatrièmement, il importe de veiller à assurer une appropriation nationale (ownership) de l’ensemble du processus de conception et d’exécution des opérations de maintien de la paix, d’une part en impliquant réellement les populations et leurs institutions représentatives et, d’autre part en faisant en sorte que le contrôle politique des opérations militaires, y compris celles menées par des Forces étrangères connexes à la Force onusienne en vertu d’un mandat du Conseil de Sécurité ou d’accords bilatéraux avec le Mali, n’échappe pas aux autorités nationales légalement et légitimement constituées. Cette exigence d’appropriation nationale pouvant être élargie aux organisations sous-régionales, régionales ou continentales africaines dont le pays d’accueil est membre.

Cinquièmement, il y a lieu de restructurer le Comité de Suivi de l’Accord d’Alger pour en faire assurer la présidence par le Gouvernement malien lui-même, la coprésidence ou vice présidence pouvant être assurée par l’Union Africaine ou la CEDEAO, la Minusma s’occupant du secrétariat.

Sixièmement, en attendant le recentrage de son mandat actuel, la Minusma s’abstiendrait de prendre quelque initiative que ce soit dans des domaines régaliens de la puissance publique qui n’ait pas été discutée au préalable avec l’Etat malien et obtenu l’aval de ce dernier.

Septièmement et enfin, la Minusma devrait se doter d’une stratégie de sortie (exit strategy) qui ne la verrait pas rester trop longtemps au Mali afin de réduire les risques d’enlisement, tout en concentrant l’essentiel de ses ressources là où elles sont véritablement exigées, c’est-à-dire sur le terrain et en dehors de la capitale.





Une communication de Soumana Sako, ancien Premier Ministre

Bamako, le 18 novembre 2015
Commentaires