Le projet de révision constitutionnelle en cours provoque des grincements de dents. A la suite de nombreux intellectuels qui ont déjà donné de la voix contre ce projet «insensé», des leaders politiques dont Soumana Sako, Modibo Sidibé et Soumaïla Cissé, affichent leur désapprobation face à cette révision jugée inopportune dans le contexte actuel du pays. Pour les uns, ce projet déposé sur la table de l’Assemblée nationale vise tout simplement à « doter le Mali d’une nouvelle Constitution taillée sur mesure et non à modifier l’actuelle Constitution entrée en vigueur en 1992 ». Aussi, ce futur acte fondamental, bourré d’incohérences juridiques, prépare la partition du Mali. En ce sens qu’il enterre les articles 97 et 98 de la Constitution du 25 février 1992 sur la libre administration des collectivités.
Ce projet de loi de révision constitutionnelle devrait être adopté par les députés le jeudi 30 mars 2017, mais le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, de la justice, des droits de l’homme et des institutions de la République, Me Zoumana N’Tji Doumbia a demandé à l’Assemblée nationale de le renvoyer à cette session d’avril pour complément d’informations.
Pour le gouvernement, après un quart de siècle de pratique démocratique du pouvoir, la Constitution a révélé des lacunes et des insuffisances. L’avant-projet de loi proposé par le Comité d’Experts et adopté par le Conseil des Ministres fait référence dans son préambule à la Charte de Kuru Kan Fuga ou Charte du Mandé adopté en 1236 pour « valoriser le patrimoine culturel et historique du Mali », selon le communiqué du Conseil des ministres. Il prend en compte les clauses de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, valorise les acquis des précédentes tentatives de révision constitutionnelle et corrige les insuffisances de la Constitution du 25 février 1992.
Toujours selon le gouvernement, le projet de loi innove en intégrant le Senat et la Cour des Comptes, parmi les Institutions de la République au nombre de huit, la Haute Cour de justice et le Haut Conseil des collectivités territoriales ne figurant plus sur la liste des Institutions.
Et l’article 118 de la constitution ?
Des innovations vantées par les initiateurs. Cependant, cette réforme constitutionnelle suscite des réserves, et intrigue les Maliens, quant à son objet et au timing.
Le 20 avril dernier, la Commission loi de l’Assemblée nationale a reçu le chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, pour recueillir son avis sur la question. S’il est d’accord que les textes doivent être adaptés au contexte actuel du Mali, l’opposant en chef trouve cependant le moment choisi inopportun. Argument avancé ? Notre Constitution du 25 février 1992 dans son Titre XVI (De la révision) dispose à l’article 118 (alinéa 3) : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire». N’est-on pas en présence de ce cas de figure aujourd’hui en République du Mali ? Peut-on douter de l’atteinte à l’intégrité du territoire lorsque la souveraineté de l’Etat malien n’est que factice dans de nombreuses localités du nord et du centre du Mali ?
Le chef de file de l’opposition fustige aussi la création d’un sénat. Selon, l’institution d’un parlement bicaméral dans le contexte actuel du Mali n’est pas nécessaire. D’autant plus que la nouvelle mouture de la constitution donne des pouvoirs exorbitants au chef de l’Etat. Ce dernier nomme les présidents de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême et du Sénat. M. Cissé assimile cette situation à une monarchie. « Parce qu’il n’y aura aucune institution qui pourra destituer le Président de la République ».
Ainsi, Soumaïla Cissé emboite le pas à plusieurs hommes politiques dont Soumana Sako de la CNAS-Faso Hèrè, Modibo Sidibé de FARE Anka wuli qui avaient rejeté l’accord pour la paix et la réconciliation issue du processus d’Alger, au motif qu’il viole la constitution actuelle.
Le Mali à l’heure du Kuru Kan Fuga
Au-delà de cette irrégularité, d’autres reproches sont faites à cette révision comme la prise en compte de la charte du Kuru Kan Fuga ou Charte du Mandé adopté en 1236, et dont l’Article 8 dispose: « La famille KEITA est désignée famille régnante sur l’empire ».
Ce que les autorités ne disent pas, c’est que la révision de la Constitution fait du président de la République un monarque disposant ainsi de tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). En effet, il a le droit de nommer le premier ministre et de mettre fin à ses fonctions sans qu’il soit nécessaire que celui-ci lui présente sa démission. En d’autres termes, il peut changer ses premiers ministres comme bon lui semble. Aussi, le projet de révision permet au monarque de déverrouiller l’alinéa 2 de l’article 118 de la Constitution qui dit : “(…) La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par referendum”. Le nouveau projet adopté institue une procédure de révision constitutionnelle par voie parlementaire sur la simple saisine du président de la République. Désormais le président de la République aura la main libre de faire et de défaire la Constitution pour s’éterniser au pouvoir. Ce qui constitue un véritable danger pour notre démocratie naissante, selon un observateur.
Enfin, le projet de révision va faire pousser les germes de la partition du Mali posés par l’installation des autorités dites intérimaires en leur donnant une valeur constitutionnelle.
Selon le Dr Bréhima Fomba, juriste et chargé de cours à l’université de Bamako, le futur acte fondamental du Mali contient des propositions de modifications qui organisent véritablement la partition du pays. « Il sent les germes de cette partition, particulièrement aux alentours des articles 92 à 98 », dit-il. Deux articles qui matérialisent suffisamment la constitutionnalisation de la libre administration au Mali.
Selon l’analyse de M. Fomba, l’article 92 est l’acte officiel d’enterrement des articles 97 et 98 de la Constitution de 1992 disposant respectivement que « Les collectivités territoriales sont créées et administrées dans les conditions définies par la loi » et que les « Les collectivités s’administrent librement par des Conseils élus et dans les conditions fixées par la loi ». En effet l’article 97 du nouveau projet stipule: « Les collectivités territoriales de la République sont la Commune, le Cercle, la Région, le District. Toute autre collectivité territoriale, le cas échéant en lieu et place de celles-ci, ou à statut particulier, est créée par la loi ».
Comme si cela ne suffisait pas, le projet de loi constitutionnelle précise : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon et bénéficient dans les cadres législatifs ou règlementaires préétablis d’un large transfert de compétences et de ressources et jouissent de pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriées ». Et l’article 94 participe de cette même logique séparatiste : au niveau de son dernier alinéa : « Toutefois, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ».
En définitive, le sujet de la révision constitutionnelle a tout d’un débat qui vient pourrir la vie déjà insupportable des Maliens qui sont plutôt préoccupés par les innombrables problèmes qui les hantent au quotidien.