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Art et Culture

Yaya Coulibaly, Marionnettiste “Je suis en train de m’investir pour sauvegarder les marionnettes traditionnelles
Publié le samedi 29 avril 2017  |  Aujourd`hui
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Homme de culture, Yaya Coulibaly est un marionnettiste de renommée internationale. Dans l’interview qui suit, il évoque l’activité de marionnettiste (de la fabrication à l’animation des marionnettes) mais aussi de la culture malienne. Entretien !

Aujourd’hui : Nos lecteurs peuvent-ils savoir qui est Yaya Coulibaly ?

Yaya Coulibaly : Je peux dire que je suis l’enfant de la marionnette. Quand je suis né, le premier élément sur lequel j’ai ouvert les yeux est une marionnette. Je suis un héritier des marionnettes. Je suis né passionné de marionnettes dans sa diversité d’espèces et d’expressions. Aujourd’hui, je constate que certains ont essayé de s’accaparer des marionnettes. Moi je suis le représentant du conseil des anciens marionnettistes. Parce que j’ai fait la même formation que ces anciens. Ce qui fait que j’ai l’impérieuse obligation de m’assumer à vie pour la sauvegarde des marionnettes, pour que le spectacle, l’art des marionnettes ne disparaisse pas. Donc, il va falloir qu’on fasse beaucoup attention. Il faut que nous passions par un canevas de transmission des savoirs aux enfants. Mais, il faudrait que les jeunes aussi aient un temps d’écoute. Cela est important.

La société malienne est touchée par un gros problème, un phénomène qui est l’argent. Tout le monde veut avoir de l’argent facilement. Aujourd’hui, être autour de la marionnette, c’est peut-être se montrer politiquement, avoir un petit quelque chose de gauche à droite. Est-ce que de pareils gens peuvent-ils comprendre le message de la marionnette ? C’est difficile. Cela fait plus de 45 ans que je fais les marionnettes. J’ai commencé quand j’étais tout petit.

Qu’est-ce qu’il faut donc faire ?

Je suis en train d’initier des jeunes sur des thématiques, notamment sur comment les marionnettes traditionnelles ont survécu jusqu’à aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Je suis en train de m’investir pour sauvegarder les marionnettes traditionnelles, comme je l’ai toujours fait sur les plans national et international. Ce qui fait qu’au mois de janvier dernier, j’avais présenté une très grosse exposition à l’Institut français sur comment le Mandé est né. J’ai présenté 1 795 marionnettes.

La seule collection de marionnettes que l’humanité possède est la collection de marionnettes qui est chez moi. J’ai 25 000 marionnettes chez moi, à la maison, qui sont entre le 6e siècle et maintenant. Ce sont de vraies marionnettes d’origine donc hors de la piraterie. Je souhaite que la marionnette puisse résister avec sa musique, ses chansons, ses danses, même sa tradition vestimentaire. Dans le temps, il était interdit à un danseur de marionnette de porter un pantalon. Il y avait des tenues spéciales pour la danse des marionnettes. Le facteur de mobilisation, le facteur qui respectait les codes traditionnels faisait qu’on était obligé de suivre le groupe, en fonction des classes d’âge. Les marionnettes nous rappellent ça.

On dit aussi que les marionnettes transmettent des messages dont celui de la paix. Comment cela ?

Les marionnettes sont facteur de mobilisation. Quand les premières pluies tombent, les marionnettes sacrées doivent sortir pour danser. Ce qui donne lieu aux fêtes de semailles. Et après la récolte, c’est l’occasion de remercier le ciel de nous avoir donné à manger. En ce moment, tous les animaux, les hommes, parce que l’homme est aussi un animal, se retrouvent dans la fraternité pour danser.

Ce qui est facteur de cohésion sociale. Si les Maliens pouvaient se définir à travers leur culture, on n’allait pas parler de paix aujourd’hui au Mali. La paix est dans le quotidien des Maliens. A travers les marionnettes, les Maliens vivent la paix au quotidien. Je suis écœuré de voir des commissions de réconciliation. On va réconcilier quoi pendant que tous les éléments sont dans nos cultures depuis des millénaires pour nous aider à avancer. Il est important de le savoir. Il faut que les Maliens regardent un peu en arrière.

Parce qu’à une époque de l’évolution des nations, il y a des moments de blocage. Et il faut que les hommes se mettent ensemble pour débloquer la situation. Si on ne le fait pas à temps, le temps finira par agir lui-même et en ce moment il sera trop tard. Maintenant, les jeunes Maliens sont en train d’évoluer sans repères, ils ne suivent pas de vraies formations. C’est ce qui fait que je suis en train de former des jeunes.

Je suis comme un kamikaze. Je suis en train d’accompagner les jeunes sur tous les aspects de la marionnette, notamment la fabrication, les manipulations, le déplacement sur scène parce qu’il y a une trajectoire dans la danse des marionnettes, dans sa qualité. Tout cela fait partie de mes fonctions. Pour cette transmission du savoir, il faut que les jeunes soient motivés, mais uniquement sur le plan financier. Mais il faudra que les jeunes sachent qu’ils sont en train d’hériter de quelque chose d’exceptionnel. Parce que notre problème, c’est que le Malien n’aime pas lui-même, le Malien n’aime pas sa culture alors qu’on a tout ici au Mali.

Le Mali regorge de tout ce que les Maliens ont besoin dans la vie. Si les Maliens se montraient capables sur le plan culturel, ils pourraient mobiliser toute la planète en un mois. Et pour cela, ils n’ont pas besoin de subventions. Il suffit qu’ils fassent preuve de créativité, de transmission de père en fils, de génération en génération. Mes marionnettistes n’ont jamais été à l’école. Mais ils peuvent faire vivre des animaux à travers la danse des marionnettes pour faire passer des messages de fraternité, de cohésion, de vivre ensemble. Ce qui est très beau, important, ce qui est le reflet de notre société.

La danse des marionnettes est le dernier élément qui nous fait croire en la vie. Dans la cosmogonie Bamanan, quand Dieu créa le monde, il y avait le règne animal. L’homme a beaucoup appris avec les animaux. Ce qui fait que depuis l’aube des temps, les animaux et les humains ont vécu ensemble. Et les humains ont beaucoup appris avec les animaux. Même demain, il y aura encore de vieux Bamanan capables d’interpréter les chants des oiseaux ou d’un animal.

A titre d’exemple, quand une hyène ricane le petit soir derrière le village, tout le monde sait que cela annonce la bonne saison. Et quand une hyène traverse précipitamment un village en plein jour, cela annonce la catastrophe. Au village, on sait que la tourterelle est toujours la messagère.

Quelle signification donnez-vous à la danse dans la manipulation des marionnettes ?

Dans la manipulation des marionnettes, la danse signifie la vie. La danse, c’est la marche du monde. La danse signifie prendre l’élan dynamique. Si nous ne prenons cet élan dynamique, nous allons à reculons. La danse des marionnettes, c’est comme la marche des militaires qui vont en avant. Dans la danse des marionnettes, nous faisons passer des messages soit de tristesse, soit de joie, de transmission.

Chaque danse des marionnettes est codifiée. Et la chanson est sa parole. Cette chanson permet à des gens qui ne sont pas de la classe d’initiation de comprendre le langage populaire car le profane n’existe pas dans notre société. Cette danse est aussi thérapeutique car l’apparition de la marionnette sur la place publique crée la joie, le revivre. La danse est la victoire de la vie sur la mort car l’élan de la vie ne doit pas s’arrêter. La danse nous rappelle que quelles que soient les difficultés de la vie, il faut mettre en valeur ce qui est positif. La marionnette est l’âme du peuple Bamanan.

Tout le monde peut-il être marionnettiste ?

Non, non et non ! Tout le monde ne peut devenir marionnettiste. Cela n’est pas possible. Etre marionnettiste est un don de Dieu. Pour être marionnettiste, il faut une initiation par des talentueux. Il y a aussi le calendrier de naissance des marionnettistes qui est tenu en compte comme mon cas. Je suis né un jour sacré. Dans la tradition Bamanan, c’est à l’enfant né un jour sacré qu’on doit transmettre, même s’il n’est pas l’aîné. Le marionnettiste est d’abord un scientifique, un thérapeute, un magicien.

J’ai hérité des marionnettes. Cet héritage se fait de père en fils, de génération en génération depuis le 11e siècle. C’est pour cette raison que je dis que je suis l’enfant de la marionnette. Ce qui fait que Kirango a été érigé en village festivalier par Biton Coulibaly. C’est comme ça que tous les villages se retrouvaient à Kirango pour 15 jours de festival.

Aujourd’hui : Nous avons vu des femmes dans votre troupe. Elles peuvent aussi être des marionnettistes ?

Les femmes jouent un grand rôle dans toutes les manifestations initiatiques au Mali. Dans les marionnettes, les femmes jouent un rôle important. Sans les femmes, la marionnette n’existe pas. Dans le temps, chaque festival avait une marraine, une femme respectée. C’est elle qui collectait les plus beaux pagnes des villages qui servaient à couvrir les marionnettes. A la fin du festival, c’est elle qui ramassait les pagnes pour les remettre à leurs propriétaires.

Durant les festivals, les femmes étaient chargées de l’accueil, de la restauration des festivaliers. Cela est très important. Et quand les hommes se retiraient dans les bois sacrés, ce sont les femmes qui préparaient à manger. Ce sont les femmes qui balayaient et arrosaient la place publique devant abriter le festival. Ce sont les femmes qui transportaient les instruments de musique pour les lieux du festival. Et quand les soirées finissaient, quelle que soit l’heure, ce sont les femmes qui ramenaient les instruments de musique à la maison. Les carnavals permettaient aux femmes de se défouler.

Quelles ont été les grandes difficultés auxquelles vous avez été confrontées ?

La première difficulté à laquelle nous sommes confrontés est le problème de subvention. Parce que le travail sur les marionnettes a un coût. Pour faire des marionnettes, il faut le bois du Kapokier (Boumboum en Bamanankan), le bois du raisin sauvage (N’Pekoun), le bois du figuier (Toro) et le Mélina arborea (allumette jirinin), qui sont des types de bois. Comme je suis dans un registre de conservation, les marionnettes qui sont fabriquées dans le Kapokier sont attaquées par des insectes, alors que je n’aime pas utiliser des produits chimiques sur mes bois. Parce que les marionnettes sont comme des êtres humains. On peut les toucher, les sentir sans se laver les mains. Donc, quand je fabrique mes marionnettes, c’est pour l’éternité.

J’utilise aussi le bois du manguier. Les marionnettistes ont aussi des difficultés dans la production, la promotion, la diffusion des marionnettes. L’autre grosse difficulté, c’est à qui transmettre le savoir sur les marionnettes. Les jeunes sont très pressés d’apprendre, ils n’ont pas la patience d’attendre et d’assimiler le savoir. Ce qui fait qu’on est en train de pirater les marionnettes du Mali. Ensuite, les autres pays sont en train de pirater les marionnettes du Mali devant les Maliens. Alors, il faut une vraie politique culturelle de la part de l’Etat, des autorités locales. Le Mali est à l’origine de la marionnette.

Et cette paternité a été donnée au Mali par des marionnettistes d’autres pays durant la Semaine internationale des marionnettes à Paris. Malheureusement, au niveau du programme d’enseignement, il n’y a pas de section marionnettes à l’Institut national des arts (Ina). Au Conservatoire Balla Fasséké, c’est du n’importe quoi là-bas, alors que les marionnettes constituent une richesse culturelle. Les autres viennent au Mali pour apprendre les marionnettes pour ensuite s’approprier la paternité. Au Mali, on est spécialiste de tout et de rien.

Une autre difficulté, c’est le regard des autres sur les marionnettistes. Les marionnettistes sont mal compris. Certains les considèrent comme des animistes (des cafres). A Magnambougou, des voisins sont venus m’agresser en me traitant de cafre. Pour dire que les marionnettistes ne sont pas respectés au Mali, alors que nous sommes profondément ancrés dans la culture. Ce que les gens ne savent pas, j’étais fonctionnaire de l’Etat. J’ai démissionné pour me rapprocher de mon peuple à travers les marionnettes. J’ai fait 35 fois le tour de la terre avec mes marionnettes. Dieu m’a donné cette chance. J’ai des difficultés au niveau de l’aéroport de Bamako quand je veux voyager avec mes marionnettes. Partout au monde, c’est le tapis rouge qui est étalé devant moi.

Aujourd’hui, je suis érigé patrimoine vivant de l’humanité. A Toulouse, on m’a donné un grand trophée au nom de l’Afrique. Je suis Chevalier de l’ordre national du Mali. Donc, le Mali a l’obligation de me prendre en charge et me protéger. Je suis le vrai marionnettiste, je suis dans le vrai. Qu’est-ce que je n’ai pas fait, qu’est-ce que je n’ai pas donné pour le Mali pendant mes 45 ans de carrière ? Je suis professeur d’Université, d’Académie aux Etats-Unis, en Angleterre, en France, en Allemagne. Mais ici au Mali, je suis un blabla dans la rue. Aussi, je suis souvent incompris parce que souvent dans des festivals, on ne me donne pas le temps de jouer, de montrer tout ce que je veux montrer dans la danse des marionnettes. J’ai un pied dans la tradition et un pied dans la modernité.

Je veux qu’on me donne le temps de jouer. Parce que les jeunes des villages veulent voir ma façon d’évoluer sur scène. Ce qui leur permet d’avoir l’engouement des marionnettes. Il m’est difficile de faire une prestation en 5 minutes. Je suis souvent gêné par ça.

Réalisé par Siaka Doumbia
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