Véritables machines à sous, les casinos mobiles rapportent environ 100 000 FCFA par jour à leur propriétaire. Leurs principaux clients : les adolescents.
« Toutes les fois où j’ai parié ici, la machine a bouffé mon argent ». Irmrana, 11 ans, fait partie des nombreux adolescents bamakois désormais accros aux casinos mobiles. Déchaussé, il attend avec plusieurs autres camarades devant un petit hangar qui en abrite trois. Nous sommes dans le fin fond de la gare routière de Sogoniko, en commune VI du district de Bamako.
Ici, se succèdent chaque matin des dizaines d’enfants qui viennent tenter de « multiplier leur jeton ». « Je peux venir avec 100 FCFA et repartir avec 600 ou même 1000 FCFA comme il arrive aussi que je sois dépouillé de tout ce que j’ai. C’est comme ça que ça marche », affirme un autre qui tente de se frayer un chemin entre ses camarades. La plupart attendent des jetons en main et impatients d’approcher l’une des trois machines à sous. Sadio, 37 ans, est le propriétaire des lieux. Il tente tant bien que mal de calmer les adolescents.n quelques secondes, il évalue le nombre de participants. Et invite les trois premiers clients à l’intérieur. Imrana est l’un d’eux.
Deux minutes plus tard, il ressort, s’écarte des autres et va s’asseoir sur une brique. L’inquiétude se lit sur son visage. Il a « misé et perdu 500 FCFA », selon Sadio. Le garçon, en kaki, reste la tête baissée pendant plusieurs minutes. Avant de se lever, sué d’anxiété pour s’en aller.
Pendant ce temps, l’endroit commence à être bourré de monde. Des adultes dont des jeunes femmes viennent d’arriver. Certaines munies de panier semblent être sur le chemin du marché. « Tu m’ajoutes 300 FCFA pour que je joue ? Je te rembourserai », propose l’une d’entre elles à son amie. Elle, c’est Mariam, 21 ans et servante dans une famille à proximité. Ce matin, elle n’a pas de jeton, mais a profité d’une commission pour « passer voir ». Sa camarade, novice, n’est pas d’accord. Elle veut se lancer elle-même, mais insiste qu’on lui montre comment ça marche. Sadio, le gérant du casino, la conduit devant l’écran : « vous insérez une pièce dans ce trou, se trouvant sur le côté droit de la machine. Elle va vous montrer ces icônes, huit au total. Chaque jeton correspond à une icône. Une fois le jeton inséré, vous devez appuyer sur une icône, attendre que la machine tourne avant que le tableau n’affiche le montant que vous avez gagné ». Pour être sûr de gagner, il faut mettre autant de jetons qu’il y a d’icônes sur l’écran. D’un signe de la tête, la jeune dame semble avoir compris le mécanisme.
« Le buffle est méchant »
Après quelques minutes d’hésitation, elle se lance et introduit trois pièces de 100 FCFA. Elle appuie une fois, deux fois et puis trois. A chaque fois la machine tourne et à chaque fois, elle affiche : 0 F.
Chacune des sept icônes représente un animal : une vache, un lion, un singe, un cheval, un tigre, un buffle et un lapin. Il y a une seule qui représente un bébé. Ici, il est attribué à chaque animal une qualification en fonction du nombre de fois qu’il vous fait perdre ou gagner. « Toutes les fois où j’ai parié sur le buffle, la machine a bouffé mon argent. Il est très méchant… », affirme un jeune talibé d’environ 15 ans, originaire de la région de Mopti où vivent encore ses parents. Il explique que dans sa culture, c’est le lapin qui est réputé être très intelligent. « Je parie toujours sur lui. Ça ne marche pas tout le temps, mais il vaut mieux que le buffle », affirme-t-il tout sourire.
« C’est illégal, mais ça rapporte »
A une trentaine de mètres des lieux, est assis Banou, un homme de 56 ans, devant sa quincaillerie. Il observe tous les jours les va-et-vient interminables dans ce petit coin à peine visible dans le grand désordre de la gare. « C’est comme ça tous les jours. Ils sont nombreux à venir ici », affirme-t-il. Banou se rappelle que des parents sont venus se plaindre plusieurs fois chez Sadio, le gérant. « Parce qu’il y en a qui vont voler des pièces de monnaie à la maison pour venir jouer », regrette-t-il.
Sadio, lui, sait que c’est une activité illégale, mais il se défend : « Je ne suis pas le propriétaire. Je ne fais que gérer. Et même si c’est illégal, ça rapporte beaucoup. » Il était apprenti de Sotrama, ce transport public vert qui sillonne les rues de Bamako à longueur de journée. Un jour, un de ses amis « businessman » l’a informé qu’il allait installer des casinos et lui a proposé d’en être le gérant contre 45 000 FCFA le mois. Il n’a pas hésité. Mais il ne sait pas lui-même qui est le vrai propriétaire des machines. Selon Sadio, chacune des trois machines à sous peut rapporter jusqu’à 100 000 FCFA par jour.
Des chiffres que confirme Sory à une différence près. Lui, également propriétaire d’un casino pareil qu’il a discrètement logé au fond de son petit salon de coiffure pour ne pas attirer les indiscrétions du voisinage. Et se mettre à l’abri d’une probable descente policière. « Surtout que Bulldozer Ami (Ami Kane est le gouverneur du district de Bamako, ndlr) ne s’amuse pas. Seuls mes gars et moi gérons nos affaires ici, OKLM* », ironise-t-il