Le ministre Kassoum Tapo ne voit pas de contradiction entre les concepts de droits de l’Homme et de reforme de l’Etat. Dans une interview exclusive, Me Tapo, ministre des Droits de l’Homme et de la Réforme de l’Etat, explique sa mission et les grands chantiers auxquels il compte s’attaquer. L’Avocat édifie en outre sur son appartenance politique. Lisez !
Le Prétoire : Vous êtes nommé à la tête d’un ministère qui n’a jamais existé au Mali. Pouvez-vous décrire votre domaine d’action ?
Me Tapo : On ne peut pas dire que ce ministère n’a jamais existé au Mali. Les droits de l’Homme était rattaché au ministère de la Justice et la Reforme de l’Etat a été rattachée tantôt à la Fonction publique, tantôt à l’Administration territoriale et la Décentralisation. Pour une fois, c’est un ministère spécifique qui a été créé et cela peut être paradoxal de joindre la Reforme de l’Etat et les Droits de l’homme. En réalité, ces deux concepts vont de paire. Ma mission, c’est le renforcement de la démocratie. Il faut reconnaitre que le renforcement de la démocratie passe par le respect des droits de l’Homme et le renforcement des institutions démocratiques. Donc, en réalité, il n’y a pas de contradiction.
Ce sont deux missions fondamentales pour un Etat de droit. Ce dont je suis en charge, c’est de préparer et de mettre en œuvre la politique nationale dans les domaines des droits de l’Homme et de la Reforme de l’Etat. Dans ce cadre, je suis chargé de l’élaboration et de la mise en œuvre des mesures de protection et de promotion des droits de l’Homme d’une part et d’autre part, l’élaboration et la mise en œuvre des mesures visant à la consolidation de la démocratie, le renforcement des institutions et la promotion de la gouvernance politique. Enfin, je suis chargé de la conduite des reformes politiques, administratives et institutionnelles concourant à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. C’est un très vaste chantier qui devrait conduire à donner un visage nouveau à l’administration malienne et à nos institutions. Il s’agit de revoir toute la gouvernance politique.
Quels sont les grands chantiers auxquels vous allez vous attaquer ?
Il n’y a pas de priorité car toutes ces politiques vont être mises en œuvre à la fois. La priorité aujourd’hui serait la révision constitutionnelle. C’est sur cette base qu’on doit faire toutes les reformes. On ne peut pas faire les reformes qu’exigent l’accord de paix avant de changer certaines dispositions constitutionnelles. Par exemple, on ne peut pas mettre en place une deuxième chambre où sont représentées les collectivités si on ne modifie pas la constitution. Donc, c’est cela le travail prioritaire. Le projet de loi de révision a été déjà déposé à l’Assemblée nationale qui est en train de faire un travail remarquable. Je vais avoir à défendre ce texte devant l’Assemblée nationale.
La création de ce nouveau ministère suffira-t-elle pour résoudre les problèmes dans ce domaine, quand on sait qu’il y a eu beaucoup de violations de droits de l’Homme au Mali depuis le début de la crise en 2012 ?
Je l’espère bien ! En tout cas ce sera ma mission. C’est un signal très fort qui a été donné par le Président de la République en créant ce ministère-là. Dans un pays comme le nôtre, où nous sommes en situation de guerre, où nous faisons face au terrorisme, la tentation est grande de transformer l’Etat en Etat terroriste. C’est surtout cette situation qu’il faut éviter. Dans pareil cas, il est essentiel de protéger les droits de l’Homme. Il faut que les droits de l’Homme soient scrupuleusement protégés, y compris les droits des terroristes. Je pense que c’est ce signal que le président de la République a voulu donner au monde entier. Je pense que je suis en domaine connu. J’ai déjà été membre de la Commission nationale des droits de l’Homme. En tant qu’avocat, je veillerai à ce que les droits de tous les citoyens soit respectés. Les droits humains sont des droits inhérents à la personne humaine, quelque soit la situation dans laquelle elle se trouve.
Quelle place allez-vous accorder à la peine de mort ?
Je suis un militant de l’abolition de la peine de mort. Depuis 2000, j’avais déjà invité Robert Badinter, qui a fait abolir la peine de mort en France, à Bamako pour un colloque. Etant député, j’avais initié une proposition de loi et je crois que le gouvernement même, dans la dernière législature, avait déposé un projet d’abolition de la peine de mort. Je crois que très bientôt je vais reprendre ce projet et surtout discuter avec les acteurs intéressés. Autrement dit, ceux qui semblent s’opposer à cette abolition. C’est un combat d’arrière-garde. En abolissant la peine de mort, nous allons donner au Mali sa place dans les grandes nations démocratiques. Je vais m’atteler à prouver à ceux qui s’opposent que la peine de mort dans le code pénal n’a rien à voir avec la peine de mort issue de la Charia qui, d’ailleurs, ne s’applique pas au Mali. Nous sommes un pays laïc. Je vais reprendre le débat pour montrer pourquoi aujourd’hui le Mali doit abolir cette peine qui n’a pas été appliquée depuis plus de trente ans.
Quels seront vos rapports avec les organisations de défense des droits de l’Homme ?
Ce seront mes partenaires privilégiés. Je vais m’appuyer beaucoup sur toutes les ONG qui se battent au quotidien dans le domaine des droits de l’Homme pour qu’ensemble, nous travaillions à la promotion des droits de l’Homme dans notre pays.
Quelle suite allez-vous accorder au projet de reforme de l’administration publique en cours d’exécution?
Le Commissariat au développement institutionnel (CDI) a été rattaché à mon département. C’est un service très important par lequel passe toutes les décisions portant sur l’organigramme du travail de l’Etat. Tous les secteurs de l’Etat ou toutes les décisions visant l’organisation passent par le CDI. Donc, c’est un service transversal qui s’occupe de la reforme à tous les niveaux de l’administration. Donc, ce département me permettra de réunir toutes les synergies pour arriver à un changement de gouvernance. Reformer l’Etat, c’est le reformer sur les plans administratif, politique, institutionnel et financier. En clair, il nous faut un Etat moderne, avec une gouvernance indiscutable, démocratique et performante.
En vous confiant un tel poste, qu’est-ce qu’on peut décrypter comme message, sachant bien que vous n’avez jamais travaillé dans l’administration publique ?
Le Président de la République est très attaché au respect des droits de l’Homme même en cette période de lutte contre le terrorisme. Il est également attaché aux questions de gouvernance. J’ai senti ma nomination comme une très lourde mission et je vais m’y attacher. Peut-être que le fait de n’avoir pas travaillé dans l’administration facilitera les choses, parce que reformer en tant qu’administrateur, c’est un peu plus difficile. Il faut savoir que depuis des années, on a essayé de rattacher la reforme de l’Etat tantôt à la Fonction publique, tantôt à l’Administration territoriale et la Décentralisation. Maintenant que c’est devenu un département à part entière, on n’a plus d’excuse. Cela signifie que le Président nous a donné tous les moyens pour reformer véritablement l’Etat. La reforme de l’Etat va de paire avec le renforcement de la démocratie. Le renforcement de la démocratie exige le respect des droits de l’Homme. C’est dans ce sens que je vois cette mission.
Quels seront vos rapports avec le ministre de la Justice ?
Il est évident que je ne peux pas m’immiscer dans le domaine de la Justice dans la mesure où il y a un ministre pour cela. Il faut retenir que la justice a ses prérogatives. Par contre, on peut réfléchir pour voir ce qu’il faut reformer pour améliorer la distribution de la justice.
Lors des législatives de 2013, vous vous êtes présenté sous les couleurs de l’UDD, ce qui a créé une confusion dans l’opinion publique. Peut-on affirmer que vous demeurez militant de l’Adema ?
J’ai eu l’occasion de m’expliquer déjà sur ce sujet alors que je ne m’attendais pas à être membre du gouvernement. J’avais présenté ma candidature en 2013 à la députation sous les couleurs de l’UDD pour éviter les luttes fratricides au sein de l’Adema. Cette page étant tournée, je suis redevenu Adema si jamais je n’avais pas été. A mon avis il n’y a pas de problème à ce sujet. Je me considère comme un militant Adema. Et même si j’avais annoncé que j’ai pris ma retraite à un moment donné, ça aussi j’ai eu à l’expliquer. Je suis obligé maintenant d’aller sur le terrain et de reprendre le combat politique. D’ailleurs, je n’ai même pas enttendu aujourd’hui, car je me suis impliqué dans ma section à Mopti, lors des élections communales et la législative partielle qui a eu lieu à Mopti. Ma base sait très bien que je suis un militant à part entière de l’Adema.