Notre frère, ami et camarade de promotion, le sergent de Police Bakary Oumar Dembélé s’est éteint le lundi 1er mai 2017. Le mal qui le rongeait depuis près de trois ans a finalement eu raison de sa résistance. Très aimable, celui que ses camarades du lycée Ibrahim Ly (promotion 1995-1998) avait affectueusement appelé “Bakary Koniba”, a été un élève exemplaire et un flic dévoué à sa mission.
Pris en otage à Kidal après la visite de l’ancien Premier ministre Moussa Mara, le 16 mai 2014, Bakary O. Dembélé a regagné Bamako en juillet de la même année avant de tomber malade. Il recouvra ensuite sa santé et reprit service.
“En fait, il n’a jamais recouvré sa santé à 100 %. On sentait qu’il souffrait en silence. Chaque fois qu’on lui demandait de se reposer pour se soigner, il disait : ça va aller, je vais beaucoup mieux”, nous a confié l’un de ses supérieurs. Et comme l’a témoigné un jeune confrère et ami du défunt, “l’homme est resté stoïque… Il est tombé les armes à la main”.
Il a mis sa mission au-dessus de sa santé au point de mourir à la tâche. C’est en effet dans l’après-midi du vendredi 28 avril 2017 qu’il a eu un malaise alors qu’il était en service. Malgré l’assurance donnée à ses camarades, il ne s’en relèvera pas. “Major” a été conduit en sa dernière demeure le lendemain, mardi 2 mai 2017, par sa famille, ses parents et amis ainsi que ses “classes” inconsolables.
Des chaises, des bâches, des baffles (amplificateurs) ! Voilà la contribution de la direction via le GMS à ses obsèques. Et même là, les frais occasionnés seraient assurés par le service social dont les fonds sont prélevés sur les salaires des policiers. Selon ce que nous avons pu observer, ce sont ses “classes” (camarades de promotion) qui se sont cotisés pour apporter leur soutien à la famille éplorée, à la jeune veuve et à la petite orpheline.
Bakary s’est sacrifié pour la nation, pour défendre la République. Mais, qu’est-ce que le pays a fait pour lui ou fera pour sa famille ? Un ancien de la police malienne est pessimiste. “Il ne faut pas s’attendre à grand-chose. Cela se limite seulement à la mobilisation pour les obsèques. Il n’est même pas sûr que ses ayants droit puissent bénéficier de son salaire de ce mois de mai… Ce sont vraiment sur ses vrais amis, dans la police et dans la vie civile, que sa famille peut maintenant compter”, nous dit ce dernier avec amertume.
Selon nos investigations, pendant sa période de captivité, ce sont ses camarades de promotion qui s’organisaient pour payer sa location et veillaient à ce que sa femme et son enfant ne manquent presque de rien.
Arraché aux siens à la fleur de l’âge, ce jeune policier a souffert le martyre dans sa chair, dans son âme et dans son cœur avant de s’éteindre, avec certainement beaucoup d’amertume, mais sans regret d’avoir choisi ce corps qu’il aimait tant.
Face au mal qui s’est manifesté en lui dès son retour de captivité (lui et ses camarades n’ont bénéficié d’aucune prise en charge psychologique), il s’est retrouvé presque seul, soutenu par sa famille et ses amis dans la police. Aucune aide de la hiérarchie ou de l’Etat.
Ce qui n’est pas surprenant pour des confrères qui, le mardi 15 juillet 2014, avaient été témoin de leur retour au bercail grâce à la médiation algérienne. Ce jour, un avion transportant des ex-otages (militaires et policiers maliens) avait été accueilli par le Premier ministre Moussa Mara et d’autres membres du gouvernement. Au retour, l’avion algérien avait aussi ramené à Kidal 41 rebelles touaregs.
Mais ce qui avait réellement marqué les esprits ce jour, c’est que les ex-otages, ces braves jeunes qui avaient risqué leur vie pour défendre la République, ont été obligés de mettre la main à la poche pour rentrer chez eux.
Et beaucoup d’entre eux avaient été surpris ce jour par le comportement des autorités. Surtout qu’ils avaient déjà le sentiment d’avoir été abandonnés au front par la hiérarchie lors de la bataille du 21 mai 2014.
On se rappelle que “l’Opération de sécurisation” lancée le mercredi 21 mai 2014 (sans aucune préparation logistique, notamment au niveau des renseignements et la logistique) lancée par le gouvernement avait tourné au carnage et à la débandade dans les rangs des forces armées et de sécurité. Officiellement, elle visait à reprendre le gouvernorat de Kidal où six fonctionnaires avaient été tués le 17 mai 2017.
Le MNLA et ses alliés avaient annoncé avoir tué 40 militaires et policiers, cinquante blessés et 70 faits prisonniers. Si le bilan avait été confirmé par des sources indépendantes, on ne saura jamais combien de militaires, de gendarmes, de gardes et de policiers ont réellement perdu la vie à Kidal ce jour.
Abandonnés à leur triste sort depuis l’aéroport
Pis, les otages étaient détenus dans des conditions atroces sans que les autorités maliennes ne protestent ou que des organisations des droits de l’Homme ne crient au scandale. Dans un pays où on se soucie réellement des hommes chargés de la défense de la patrie et de la sécurité des citoyens, les otages auraient fait l’objet de contrôles médicaux poussés et d’une prise en charge psychologique.
Et cela afin de s’assurer qu’ils sont aptes encore à servir ou, dans le cas contraire, penser à leur reconversion afin qu’ils ne se retrouvent jamais oisifs. Hélas, les nôtres ont été abandonnés à leur sort à l’aéroport. Comme si on leur reprochait d’être revenus en vie ou d’être les coupables de ce qui leur était arrivé.
L’Assemblée nationale, lors de sa session d’octobre 2016, a d’ailleurs adopté une résolution reconnaissant la gravité des faits avec morts d’hommes et demandant au gouvernement de procéder à des enquêtes plus poussées pour rétablir la vérité.
Mais, la reconnaissance de la nation aux vraies victimes (administrateurs, militaires, gardes, gendarmes, policiers pris en otages ou morts) de ces “faits regrettables” ont visiblement été oubliées dans cette résolution.
Aucune assurance pour sa vie et sa carrière, aucune considération pour un élément en difficulté ; aucune garantie d’une quelconque reconnaissance. Et pourtant, nous attendons tout, y compris le sacrifice suprême, de ces hommes qui n’ont le plus souvent que leur passion du métier et leur patriotisme pour accomplir leur mission.
Comment se livrer totalement à une cause alors qu’on est conscient que si jamais on tombe malade ou qu’on perde la vie, ses ayants-droit seront livrés à eux-mêmes ? La reconnaissance de la nation doit-elle se limiter aux larmes de crocodiles versées sur les cercueils couverts des couleurs nationales et de vaines promesses de vengeance ?
Il est vrai que, à l’initiative du ministère en charge du Développement social, l’Assemblée nationale a voté pendant la session d’octobre 2016 la loi instituant les “Pupilles de la République” en vue de prendre en charge les enfants mineurs des agents de l’Etat qui perdent la vie en mission ainsi que les enfants mineurs délaissés sans tuteur connu.
Ce qui facilite l’adoption de mesures de protection sociale, spécifiques aux enfants orphelins dont les parents ont perdu la vie dans l’exercice de leur fonction, ainsi qu’au cours de mission et de services exceptionnels. Est-ce que suffisant ?