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Mandat présidentiel a durée illimitée ! Ibrahim Boubacar Keïta ouvre la brèche…
Publié le lundi 15 mai 2017  |  L’aube
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Lancement des festivités du centenaire du Président Modibo Keita
Bamako, le 11 juin 2015, le CICB a abrité la cérémonie de lancement des festivités du centenaire du Président Modibo Keita, c`était sous la Haute présidence de SEM, Ibrahim Boubacar KEITA
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Le communiqué du conseil des ministres extraordinaire du 10 mars 2017 relatif au projet de loi portant révision de la Constitution n’a pas fini, le temps aidant, d’étaler au grand jour le mensonge d’Etat qui le caractérise à bien des égards. Outre que ce projet, contrairement à ce que dit le conseil des ministres, est totalement différent de l’avant-projet de loi constitutionnelle élaboré par le Comité d’Experts qui a été jeté à la poubelle, il remet en cause la durée normale du mandat du Président de la République. Analyse.

Au travers de tripatouillages au niveau de l’article 36 de la Constitution de 1992 irrégulièrement transformé en article 12, le Président IBK dans son projet de loi constitutionnelle a opéré ce qu’aucune des deux précédentes tentatives de révision constitutionnelle n’avait osé faire : ouvrir une brèche béante vers une durée illimitée du mandat présidentiel. Le projet de loi constitutionnelle remet effectivement en cause la durée normale de 5 ans du mandat présidentiel à travers le dispositif de gestion du scrutin présidentiel consécutif à une situation de vacance de la présidence de la République ou d’empêchement absolu ou définitif constaté.



QUE DIT LA CONSTITUTION DE 1992 ?

La Constitution de 1992 à son article 36 est assez dissuasive par rapport aux velléités de manipulations que le Président IBK a l’intention de constitutionnaliser à travers l’article 12 de la « nouvelle Constitution » qu’il entend octroyer au peuple malien. L’article 36 de la Constitution de 1992 est ainsi libellé : « Lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre. En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée Nationale. Il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans. L’élection du nouveau Président a lieu vingt et un jour au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement… ». A juste titre, on voit bien que le Constituant de 1992 n’a prévu aucune possibilité d’entorse aux délais d’élection du nouveau président qui doit intervenir 21 jours au moins et 40 jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement. Il s’agit de délais qui ne souffrent d’aucune dérogation expressément prévue par le Constitution.

Les Présidents Alpha O. Konare et Amadou T. Toure Fidèles à l’esprit de 1992

En d’autres termes, la Constitution de 1992 n’a prévu aucune prolongation de ce délai maximum de 40 jours ni aucun report possible de l’élection du nouveau Président de la République. Les principales insuffisances jusque-là soulevées relativement à l’article 36 et auxquelles les Présidents Alpha O. KONARE et Amadou T.TOURE , à travers leurs tentatives respectives de révision de la Constitution de 1992, ont tenté d’apporter des réponses ont essentiellement porté sur l’insuffisance des délais prévus jugés irréalistes, l’hypothèse où la personnalité devant assurer l’intérim serait elle-même empêchée, la question de la candidature du Président par intérim à cette élection.

A cet égard, on se contentera simplement de rappeler que les nouveaux délais proposés ont généralement varié de « 45 jours au moins et 60 jours au plus » avec le Président Alpha O. KONARE, à « 90 jours au moins et 120 jours au plus » avec le Président Amadou T.TOURE. S’agissant de l’hypothèse où la personnalité devant assurer l’intérim (le Président de l’Assemblée nationale) serait elle-même empêchée, la loi constitutionnelle du Président Alpha O. KONARE proposait le Président du Haut Conseil des Collectivités alors que celle du Président Amadou T. TOURE proposait le Président du Senat et même le Premier ministre en cas d’empêchement de ce dernier. Notons que le projet du Président Amadou T. TOURE précisait que la personnalité assurant les fonctions de Président de la République par intérim ne pouvait être candidat à ladite élection.

IBK OUVRE LA BRECHE …

A rebrousse-poil des antécédents de révision constitutionnelle évoqués plus haut, le projet de loi constitutionnelle du Président IBK ouvre de manière insidieuse, la brèche de la remise en cause de la durée du mandat présidentiel. Le chemin tortueux du projet de loi constitutionnelle menant à ce résultat dangereux et qui s’assimile en réalité à un labyrinthe sans issue, emprunte les alinéas 1, 2, 3, 4, 5 et 6 de l’article 12 qui ouvre la possibilité constitutionnelle d’une prolongation déguisée de la durée normale de 5 ans du mandat présidentiel.

En ses alinéas 1er, 2 et 3 le nouvel article 12 est ainsi libellé : « Lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre (aliéna 1). En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie conjointement par le Président du Sénat, le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président du Sénat (alinéa 2). Quand la vacance ou l’empêchement du Président de la République est déclarée définitif par la Cour constitutionnelle, il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans (alinéa 3) … ». Le supplice de l’article 36 de la Constitution de 1992 se poursuit. Les rajouts à travers les alinéas 4, 5 et 6 qui vont complètement dénaturer l’article 36 sont les suivants : « Le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le chef du gouvernement, quarante-cinq (45) jours au moins après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l’empêchement (alinéa 4).

La Cour constitutionnelle peut proroger dans tous les cas les délais de l’élection sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de quatre-vingt-dix jours (90) après sa décision (alinéa 5).

Si l’application des dispositions du présent article a eu pour effet de reporter l’élection à une date postérieure à l’expiration des pouvoirs du Président en exercice, celui-ci ou son intérimaire demeure en fonction jusqu’à l’investiture de son successeur (alinéa 6) … ».

L’analyse des alinéas 4, 5 et 6 ci-dessus renvoie aux commentaires suivants qui incitent plutôt au scepticisme.

L’alinéa 4 ne fixe aucune durée limite maximum pour l’organisation du scrutin et se contente du délai minimum de 45 jours. La raison en est qu’en réalité, l’alinéa 4 ne fixe aucun délai du tout, puisqu’il dispose que la force majeure suffira à se défaire totalement du carcan de tout délai quelconque : « Le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force majeur … ».

La même apparence de délais limites est projetée par l’alinéa 5 qui créé l’illusion d’une limite maximum de 90 jours dans laquelle la Cour constitutionnelle serait prétendument enfermée : « La Cour constitutionnelle peut proroger dans tous les cas les délais de l’élection sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de quatre-vingt-dix jours (90) après sa décision ». Quel crédit peut-on accorder à ces 90 jours maximums quand on sait de toute façon, conformément à l’alinéa 4, que rien ne pourrait faire obstacle à un dépassement éventuel de ce délai, encore une fois, pour raison de force majeure. D’autant que, comme pour couronner cette aventure de la durée illimitée du mandat présidentiel dans laquelle le projet de loi constitutionnelle veut traîner le Mali, l’alinéa 6 vient y planter sa touche de confusion totale en ces termes : « Si l’application des dispositions du présent article a eu pour effet de reporter l’élection à une date postérieure à l’expiration des pouvoirs du Président en exercice, celui-ci ou son intérimaire demeure en fonction jusqu’à l’investiture de son successeur ». En somme par le truchement de cet alinéa, le projet de loi constitutionnelle se dévoile en mettant à nu son intention réelle qui est de permettre aussi bien au « Président de la République par intérim » qu’au « Président de la République en exercice » de demeurer en fonction au-delà de l’expiration de son mandat normal. C’est à dire que l’un ou l’autre demeure en fonction « jusqu’à l’investiture de son successeur ».

Chacun peut mesurer à sa juste valeur, jusqu’où une telle proposition peut conduire le pays. Les Maliens sont avertis ! Nous sommes convaincus pour ce qui nous concerne que si cette modification passait, le Président en exercice ou le Président intérimaire ne manquera pas d‘arguments qu’il ferait inscrire sur le dos de la force majeure, pour repousser le scrutin présidentiel hors des délais constitutionnels normaux. Tout se passera comme si la modification revenait simplement à soustraire le Président de la République de tout délai en ce qui concerne l’élection du nouveau Président devant lui succéder et subséquemment à soustraire de toute limitation, la durée normale du mandat présidentiel.

Ce tripatouillage qui substitue à l’article 36 de la Constitution de 1992, une pâle copie de l’article 7 de la Constitution française ne peut s’inscrire que dans la lignée de ces réflexes de mimétisme qui font fi des comportements des acteurs qui sont en réalité les seuls baromètres de la pertinence de toute règle ou institution juridique. En l’occurrence, il est dangereux pour la stabilité politique de notre pays, d’ouvrir explicitement une telle brèche dont on est quasi certain qu’elle sera abusivement exploitée et détournée à des fins de maintien au pouvoir au-delà des délais constitutionnels dans l’esprit de briguer un mandat auquel l’on n’a pas droit.

Est-il besoin, si l’on ne mijote pas un agenda caché, d’inscrire expressément dans la Constitution, l’argument de la force majeure pour repousser le scrutin présidentiel hors des délais constitutionnels normaux ?

Dr Brahima FOMBA

Chargé de Cours à Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako(USJP)

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