C’est cette salve que m’a lancée ce soir à l’aéroport de Sénou un expatrié avec lequel j’ai sympathisé dans l’avion qui nous ramenait à Bamako. C’était une attaque frontale, comme s’il mettait un bémol à la fière et orgueilleuse description des lieux que je m’étais proposé de lui faire, du tarmac jusqu’au tapis-bagage. Le tapis-bagage justement, la fausse note à cette symphonie dont l’entame a été éblouissante pour notre visiteur, son dernier voyage à Bamako remontant à 2008.
Me demandant pourquoi il n’y a aucun bus à l’arrêt de notre avion, je lui fis gaillardement savoir que ce n’est plus la peine, que de l’intérieur de l’appareil les portiques mènent jusqu’aux formalités de police et de douane, «comme dans tous les aéroports sérieux du monde», ajoutai-je avec un brin de sérieux. Le visiteur me donna raison et lâcha même un «ben dis donc…» lorsqu’on emprunta l’escalator qui mène au grand hall d’arrivée. Contrôle de carte de vaccination 5 secondes, contrôle et formalités de police 15 à 20 secondes. Interloqué le visiteur se tourne vers moi et crie «mais maintenant votre aéroport peut être certifié…».
Prenant la balle au bond, je lui réponds : «Tu n’as encore rien vu, viens voir notre tapis-bagage». Et c’est là que les dieux de l’atalakou m’ont lâché. Un vent, du genre de ceux qui précèdent les pluies, souffla sur Sénou et soudain tout devint noir : une coupure d’électricité. Comme s’il attendait la moindre petite faille à la présentation des lieux, notre ami sauta sur l’occasion : «Normalement le groupe électrogène doit prendre le relais».
Bien sûr que ça va venir, c’est systématique ça, comme dans tous les aéroports sérieux du monde, lui dis-je encore fièrement ignorant que j’allais au devant d'une petite humiliation. Le hall d’arrivée ne sera éclairé que dix bonnes minutes après. Dans un mouvement d’ensemble, tous les passagers firent mouvement vers le tapis-bagage. Patatras, la première valise apparut une trentaine de minutes plus tard, au moment où les nerfs commençaient à lâcher.
Information prise auprès du personnel : «le groupe électrogène est défaillant. Son système d’inversion automatique est nul, il ne prend pas systématiquement le relais après les coupures d’électricité». C’est cet instant que l’ami choisit pour m’assener sa gifle : «Donc vous les Maliens vous mangez une souris et (quand vous en) arrivez à sa queue vous vous dites rassasiés ?» La métaphore était imparable. Comment peut-on investir autant de milliards dans une infrastructure (appréciée et saluée par tous) et pécher dans des détails ?
Oui, à cause d’un groupe électrogène défectueux, on peut refaire au sol le même temps de vol à attendre son bagage au nouvel aéroport international Modibo Keïta Sénou.