Il faut dialoguer avec les extrémistes religieux du Nord-Mali, en l’occurrence Iyad Ag Ghali, dit l’une des recommandations de la Conférence d’entente nationale du 27 mars dernier. Mais le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, l’ignore. Il a étalé (à nouveau) sa méconnaissance des conclusions issues de cette rencontre, le samedi dernier sur les ondes de RFI, en disant : « aucune recommandation de la Conférence d’entente nationale n’a dit cela. La Conférence d’entente nationale n’a pas été actée. Un des participants à la Conférence d’entente nationale a tenu de tels propos. C’est son souhait, sa liberté mais cela n’a pas été acté comme résolution de la Conférence d’entente nationale. Aujourd’hui, vu le rôle que joue le monsieur dont vous avez parlé, ce n’est pas une mission de paix, ce n’est pas une mission au service des peuples mais une mission de terrorisme absolu, d’assassinat des gens. Une telle éventualité est à exclure. C’est clair ». Ces mots de Ibrahim Boubacar Keïta ont provoqué de vives réactions au sein des populations maliennes. La présidente de l’ADEMA association, Mme Sy Kadiatou Sow, qui a participé à ladite conférence, semble être la plus indignée. Et elle n’a pas porté de gants, samedi, pour le faire savoir. Pour cette actrice du mouvement démocratique, IBK n’est ni plus ni moins que dans le déni, le mépris et la fuite en avant. Aussi, a-t-elle martelé : «Monsieur le président, arrêtez de dire ce que vous n’êtes pas capable de faire… Monsieur le président, préoccupez-vous de vos hommes sur le terrain et arrêtez vos voyages interminables. Vous dilapidez les ressources publiques ! »
Extrait de l’intervention de Mme Sy Kadiatou Sow.
«Des dizaines de militaires et autres tombent sur le champ de l’honneur. Lors des funérailles, nous constatons l’absence des autorités. Alors qu’ailleurs, la perte d’un seul mobilise toute la République ; chez nous, même pas un ministre de la République présent aux obsèques. Cela provoque l’incompréhension et beaucoup de frustrations. Cela doit absolument cesser. La présence physique de nos autorités à ces cérémonies funèbres est à la fois une marque de compassion, de solidarité et de reconnaissance. Il est important qu’IBK soit plus sensible pour que les familles dont les enfants sont envoyés à la boucherie se sentent soutenues, considérées et qu’elles comprennent que leurs enfants ne sont pas morts pour rien.
Malheureusement, le président de la République est dans le déni et la fuite en avant. Et ces déclarations constituent à la fois du mépris et de l’insulte pour les participants à la Conférence d’entente nationale. C’est comme s’il affirmait: dites ce que vous avez à dire, c’est moi qui décide et il est hors de question de négocier avec les terroristes qui versent du sang.
Parce que cette question de négocier avec les djihadistes maliens a été débattue au sein de toutes les commissions lors de la conférence et la majorité a effectivement dit qu’il faut envisager cette solution. Cette recommandation apparait clairement dans les recommandations générales : négocier avec les extrémistes religieux du nord, notamment Iyad Ag Aly, tout en préservant le caractère laïc de l’Etat.
Mais, IBK est allé jusqu’à affirmer que cela n’a pas été acté.
Pourtant, lors de la cérémonie de clôture de la conférence, il a dit qu’aucune séance des travaux ne l’a échappé. Monsieur le président, est-ce que vous avez réellement suivie ? Est-ce que vous avez entendu ce que les participants à la conférence d’entente ont eu à dire ? Est-ce que vous savez ce qui se passe dans votre pays ?
…Face à ces déclarations de va-en-guerre, on est droit de se demander si cette conférence d’entente nationale, organisée à grand frais, était si importante que ça aux yeux du président de la République. Est-ce c’était seulement pour dire voilà : La CEN était prévue dans l’accord, je l’ai fait et après quoi qu’on dise, ce n’est plus mon affaire ?
C’est bien de tenir des propos du genre : il est hors de question, il est totalement exclu.
Mais, les Maliens n’ont pas la mémoire courte. Nous nous souvenons des déclarations du même genre à Kayes, lorsqu’il a dit qu’il ne se laissera pas trimbalé par les groupes armés. À l’époque, on se demandait même s’il aurait des négociations. La suite est connue. Non seulement, il s’est laissé trimballé et avec lui la République, mais il est aujourd’hui aux petits soins avec ses groupes armés… Ceux-là qui ont commis des assassinats sont où aujourd’hui ? Quelques-uns ont été poursuivis et arrêtés, mais vite libérés. Certains ont été amnistiés et d’autres sont traités comme des princes ici à Bamako. Ils sont logés, nourris. N’ont-ils pas versé le sang ?
Si vous aviez eu l’humilité d’écouter les autres…
Monsieur le président, les Maliens ont l’habitude des déclarations de ce genre. Vous avez dit beaucoup de choses et vous n’avez rien fait. Alors arrêtez de dire ce que vous n’êtes pas capable de faire. Bientôt quatre ans, si vous étiez capable de régler cette crise seul, sans l’appui de la population malienne, on n’en serait pas là aujourd’hui. Si vous aviez su gérer politiquement cette crise, si vous aviez eu suffisamment d’humilité d’écouter les autres, on n’en serait pas là.
C’est très facile de dire que le terrorisme est maintenant international. Mais on ne peut pas nous comparer à la France ou à l’Angleterre. Ce ne sont pas des situations comparables. Certes les terroristes peuvent frapper à tout moment et partout, mais la France n’a pas une partie de son territoire occupé par les terroristes et les soi-disant djihadistes. Le territoire anglais n’est pas non plus occupé. Or, chez nous, on a une partie du territoire qui est occupé et nous ne savons même pas quand est-ce que nous allons le recouvrer. Et vous, entant que président de la République, ne faites rien, en dehors des discours pompeux, pour rassurer les Maliens… IBK ne fait que se balader, au point que les Maliens ne comptent plus le nombre de voyages qu’il effectue à l’extérieur, mais plutôt le nombre de jours qu’il passe à Bamako.
Monsieur le président, faites à la limite, comme le président français qui a dit clairement qu’il est venu voir ses militaires et qu’il n’acceptera plus que ceux-ci tombent pendant que d’autres pays ne font rien. Faites comme lui ! Préoccupez-vous de vos hommes sur le terrain et arrêtez vos voyages interminables. Vous dilapidez les ressources publiques. Ces ressources-là, nous en avons besoin pour renforcer les capacités des forces armées et de sécurité ; pour régler les problèmes sociaux dans notre pays. Nous en avons besoin pour que l’administration retourne sur le terrain. Les autorités intérimaires ont été installées, mais dans des régions fantômes avec des gouverneurs fantômes qui sont comme des ambassadeurs accrédités avec résidence à Gao. L’administration ne peut pas retourner, s’il n’y a pas le minimum de sécurité.
Le président de la République aurait intérêt à écouter son peuple. Et à se dire que sa décision à lui ne peut pas s’imposer à tout le monde. Il a intérêt à comprendre que cette question a besoin d’être gérée autrement. En ce qui concerne notre association, nous sommes déterminés et nous en appelons à la mobilisation de tous et de toutes. Nous ne pouvons pas laisser le pays continuer à être géré de cette façon-là. On ne peut continuer à se plaindre, chacun dans son coin, et ne pas être capables de se mobiliser aux chevets du Mali. Si le Mali n’est pas là demain, comme le disait le comédien, on est tous cadavéré. Nous voudrons que les Maliens comprennent cela et qu’ils se mobilisent. On a assez souffert, assez pleurer. Il est temps d’agir ».