Il aurait pu égaler les performances internationales de Salif Kéita alias Domingo. Yacouba Traoré dit Yaba n’a pu malheureusement exporter son talent. Victimes de coups bas et d’incompréhensions, il n’aura été finalement qu’un héraut de notre sport-roi au plan sous-régional. Retour sur la carrière sportive et extra-sportive de l’un des plus grands footballeurs de tous les temps au Mali.
n 2001, à la veille de la Can-2002, quand nous nous rendions à Kayes par train, pour assister à un match amical des Aigles, Kalilou Cissé dit Yaba National nous a fait un témoignage mémorable. Le défunt supporter emblématique du Stade malien de Bamako et des équipes nationales du Mali disait ce jour-là que le football est une question de chance et de destin, “sinon, il n’y a pas un enfant au Mali qui a plus de talent et qui sait jouer au ballon plus que son idole Yaba”.
Emouvant ! Ces propos venaient du fond du cœur de l’un des fidèles parmi les fidèles de l’ancien international du Stade malien de Bamako. Ce ne sont point des fleurs de complaisance assimilables à l’idolâtrie entre les deux hommes. Le public sportif malien d’antan savait bien les qualités techniques de Yacouba Traoré dit Yaba.
Il n’y a aucune ambigüité sur son talent. Qui ne se rappelle encore de ses accélérations et arrêts-blocages au point qu’un arbitre de touche s’est écroulé en voulant épouser son rythme ? Bref, l’enfant du Badialan-II avait le don de se faire discret, pour ensuite enclencher inopinément l’offensive, se rabattant vers l’intérieur avant d’envoyer un missile au gardien.
En finale de la Coupe du Mali de 1982 contre l’AS Biton de Ségou, on se rappelle de ses dribles sur le défenseur ségovien “Joe Frazier“, pour offrir le 4e but à Seydou Diarra dit Platini. Deux ans plus tard, par ses accélérations, il offrait le premier doublé à son club en finale de la 24e édition de a Coupe du Mali contre le Djoliba en compagnie des Bréhima Guèye, Lassine Soumaoro, Mamadou Coulibaly dit Kouicy, Abdoulaye Kaloga, Seydou Diarra alias Platini et autres. Et ce coup franc qu’il a marqué en 1989 contre la Guinée-Bissau, en Coupe Cabral, pour propulser en demi-finales les Aigles, qui finiront par remporter leur premier trophée contre la Guinée Conakry (3-0) ? Du nectar !
L’histoire de Yacouba Traoré dit Yaba est tellement riche qu’on se perd dans ses méandres. Nous étions tout jeunes en 1982 quand nous nous précipitions sur lui pour lui serrer la main et récupérer le reste de son sachet d’eau. C’est ce même Yaba qui nous a reçus à son domicile à Djicoroni-Para la semaine dernière.
Dommage qu’il n’a pas pu nous faire une petite démonstration de son art du dribble éliminatoire. Et pour cause : Yaba est alité, victime d’un accident de la circulation dans l’ACI-2000 le 7 mai courant. Cependant, c’est avec un moral de fer et un mental d’acier que l’ancien métronome du Stade Malien de Bamako et des Aigles du Mali nous a tenus en haleine. Petite parenthèse : au même moment, les Aiglonnets jouaient contre l’Angola leur match qualificatif pour les demi-finales de la Can cadets qui se joue présentement au Gabon. Pratiquement, tous les enfants du quartier viennent suivre les matches dans son salon. Un tel rassemblement est naturellement cause de bruits. Mais leur mentor a tenu à leur dire d’en faire moins parce que ce jour-là, dimanche 21 mai 2017, est un grand jour pour lui, avec la visite d’un journaliste chez lui. Nous avons ainsi pu réaliser notre entretien dans un silence de cimetière, interrompu seulement par les buts des Aiglonnets (victoire 6-1 pour le Mali).
Faye, le maître !
L’homme nous parle de tout : ses débuts, sa carrière, les anecdotes. L’enfant du Badialan-II avait beaucoup à dire.
Né en 1963 à Bamako, Yacouba Traoré dit Yaba commence à jouer au ballon avec ses amis d’enfance, Bissi Sangaré dit Gigla, Abdoulaye Doumbia dit Mathieu, Oumar Doumbia dit Barou et Moussa Konaté dit Golba, dans son quartier natal, le Badialan-II dans les années 1973-1974. C’est la même année que son destin est tracé dans les annales du football malien. En quoi ? Yaba s’explique
“Aly Koïta dit Faye, à l’époque entraîneur des catégories d’âge du Djoliba AC, invitait les équipes de quartier à livrer les matches amicaux contre ses jeunes. C’est dans ce cadre que notre équipe a joué contre les minimes du Djoliba. Ce jour-là, j’ai marqué son esprit et il a tout fait pour que je vienne jouer au Djoliba, dans la catégorie des minimes. C’était un honneur pour moi, mais j’ai exigé que mes amis soient avec moi. Faye a accepté cette condition. Malheureusement, en 1976, au moment d’intégrer la catégorie des cadets, le groupe s’est disloqué. Mes amis ont abandonné le terrain pour diverses raisons. Mais moi, j’ai continué, en signant ma première licence, les Moussa Kéita dit Dougoutigui, Adama Traoré dit Adama Boxeur, feu Sory Gouanlé dit Petit Sory, un garçon très talentueux, étaient mes compagnons. Je ne resterais pas longtemps au Djoliba. Les faits se sont précipités à telle enseigne que j’ai été dépassé par la tournure des événements”.
L’alerte de Djibril Traoré
En 1978, lors d’un match amical contre les cadets du Stade, Yaba malmène les cadets stadistes, entrainés à l’époque par notre confrère et doyen Djibril Traoré de la RTM (actuel ORTM). Yaba se rappelle encore que ce jour-là, Djibril était mal chaussé, et Faye lui a offert une paire de training neuve. Immédiatement après cette rencontre, Djibril est allé voir les dirigeants du Stade, pour leur dire que l’équipe est en train de perdre un digne fils de la famille. Et de leur instruire de tout faire pour récupérer le frère de Diofolo Traoré. Quand les dirigeants sont venus dans leur famille, Yaba a rejoint Sadia Cissé à Badalabougou pour lui expliquer ce qui se tramait. Ce dernier l’amène chez feu Tiéba Coulibaly. Paradoxalement, Tiéba donne son accord, au motif qu’il veut éviter tout incident avec son homologue du Stade malien, feu Fousseyni Diarra.
Malgré tout, Yaba n’était pas dans une logique de transfert, surtout que Faye l’entretenait bien. A l’issue d’un conseil de famille, l’autorité parentale prend le dessus sur la fougue juvénile. Il rejoint les Blancs de Bamako et signe sa première licence en 1979. Il intègre immédiatement la catégorie senior. Le talent est incontestable. Cette période consacre le début d’une longue et riche carrière qui le conduira dans la foulée durant deux ans à l’AS Biton de Ségou.
Yacouba Traoré dit Yaba a vécu sa première sélection en équipe nationale avec l’entraîneur Idrissa Touré dit Nani, lors des éliminatoires de la Can contre la Gambie. Première sélection, premier but avec les Aigles. Il ne quittera d’ailleurs l’équipe nationale que 8 ans après. Entre-temps, il a fait un tour à l’AS Biton de Ségou en 1986 à la sollicitation de feu Amary Daou, qui lui a offert une maison.
Foudroyé par la déception
Revenu au Stade en 1988, il prend sa retraite deux ans plus tard, après le sacre des Aigles en Coupe Amilcar Cabral. Mais qu’est ce qui a précipité une telle décision alors que Yaba avait encore de la vivacité pour continuer ? L’enfant du Badialan-II revient sur une histoire qui aurait dû lui ouvrir les portes de l’Europe :
“Lors des éliminatoires de la Can-1990, le Mali a doublement battu le Libéria. Au du match retour j’ai tapé dans l’œil d’un recruteur français du nom d’Ozeh Denis. J’ai voulu gérer les choses clandestinement, mais mon grand-frère, feu Karim Traoré alias Djo Kolon a exigé qu’on informe les dirigeants du Stade. A ce niveau, il n’y a eu aucun problème. Mais le Mali devrait abriter la Coupe Cabral, et les autorités ont donné comme consigne aux Aéroports du Mali, de ne laisser aucun joueur sortir : premier coup dur. Après notre sacre, je suis parti en France faire le test. Mais cette fois-ci en compagnie de l’enfant de Denis qui était en mission : deuxième coup dur. Parce que l’absence de celui qui m’a repéré n’arrangeait pas les choses. Arrivé à Orly, j’ai livré deux matches et les mecs étaient très contents de mes prestations. Pour moi, mon test a réussi. Les dirigeants m’ont dit de retourner et qu’ils vont me rappeler. Ce qui n’a jamais été fait. Mais j’ai compris une fois en France que je pouvais gagner ma vie et assurer mon avenir, si j’avais eu la chance d’évoluer là-bas. Avec mon talent, le football allait m’ouvrir les portes du reste du monde. Les réalités ne sont pas les mêmes. J’ai été foudroyé par la déception. C’est ainsi que j’ai eu le dégout du football et j’ai décidé d’arrêter”.
C’est paradoxal que Yaba ne relève aucune déception au Stade malien de Bamako durant sa riche carrière. Mais, il donne comme explication la grande estime des dirigeants et des supporters à son égard.
Parmi ses meilleurs souvenirs, Yaba évoque la finale de la Coupe du Mali de 1982, contre l’AS Biton de Ségou.
Les mauvais ? La finale perdue en Coupe UFOA contre le New Nigerian Bank. Cependant, la déception qu’il n’a pas pu digérer est son exclusion de l’internat avec son ami Bakary Diakité dit Bakaryni. Que s’était-il passé ? Après son transfert à Ségou, le Biton a livré un match de championnat à Bamako contre le Stade malien de Bamako. Rencontre au cours de laquelle son but a été refusé par l’arbitre central Issoufa Diakité. N’ayant pas pu retenir leurs émotions, Bakary et lui ont été très discourtois vis-à-vis du référé. Ce qui leur avait valu une suspension, tombée malheureusement au moment d’un regroupement des Aigles au lycée de Badalabougou. Avec le recul, il se dit convaincu que s’ils étaient des joueurs du Djoliba ou du Stade, ils ne seraient jamais suspendus ou exclus comme des malpropres.
Autre temps, autres mœurs !
Yacouba Traoré dit Yaba pense qu’on ne saurait faire de comparaison entre sa génération et celle d’aujourd’hui. Les jeunes des années 2000 ont eu le football comme cadeau. En leur temps, l’amour du club, le talent, le travail et la discipline constituaient les conditions des entraîneurs.
Dans chaque équipe, il y avait des vedettes et un leader. Au Stade, le guide était Lassine Soumaoro, qui veillait sur tout le monde, avec des ordres à exécuter sans murmure. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Sur quel joueur malien on peut compter à tout moment dans les situations difficiles ? Il n’y en a pas, selon Yaba. Pourtant, poursuit-il, ils sont dans toutes les conditions, contrairement à leur époque où la prime d’internat était de mille (1000) F CFA, et la prime de voyage trente mille (30 000) F CFA.
Sans se prononcer directement sur les crises qui affectent le football entre les dirigeants aux niveaux fédéral et club, Yaba résume le tout à une question d’intérêt “parce que chacun veut couillonner les autres, forcément il y aura divergence aux conséquences incalculables”.
A la question de savoir si le football l’a nourri, l’ancien joueur du Stade malien et de l’équipe nationale ne tourne pas autour du pot : il reconnait qu’il doit tout au football. Et, il vit aujourd’hui grâce à ses relations issues du football, donc ne saurait être un ingrat vis-à-vis de la discipline. Il pense même que Karounga Kéita dit Kéké a raison : en affirmant que “le football n’est pas ingrat, mais ce sont les hommes qui le sont”.
Depuis 2004, il est éducateur de football au centre Ouezzin Coulibaly dans le cadre du projet de réinsertion pour les anciens sportifs, initié par le président Amadou Toumani Touré. Contrairement à beaucoup d’anciens joueurs, Yaba assure qu’il ne peut pas s’éloigner du football malien. Partout où il va, on parle football.
Des anecdotes
En avril 2005, les Eléphants de Côte d’Ivoire étrillent les Aigles du Mali par 6 buts à 0 à Abidjan. Cela a beaucoup marqué Yaba, pour la simple raison qu’à la veille du match, une Malienne d’Abidjan était venue à l’hôtel avec sept tas de poudre de fusil. Elle a demandé qu’on mette du feu à ces poudres dans une chambre. Ce qui nous permettrait de gagner le match. Les joueurs et le staff se sont réunis dans la chambre de l’entraîneur, pour effectuer l’opération.
Sur sept tas de poudre de fusil, un seul a échoué. Et les Aigles ont été laminés par 6 buts à zéro. Le septième but, marqué par Youssouf Falikou Fofana a été refusé. Donc, Yaba pense trente deux ans après que leur compatriote les a maraboutés et trahis au profit des Ivoiriens. Cela l’a beaucoup marqué.
Autre anecdote, c’est la visite d’un supporter du Djoliba vers les années 1983-1984, venu lui remettre la somme de cinquante mille (50 000) F CFA, excipant qu’il sait jouer au ballon, et que le Djoliba a commis l’erreur de le laisser partir. Son regret : il n’a pris aucune filiation dudit supporter qui a disparu après leur entretien.
Entre Yaba et feu Yaba
Notre entretien a pris une douche froide quand nous avons abordé son culte par le grand supporter Kalilou Cissé dit Yaba National. Cet homme a quitté son village natal, Kolokani, pour faire du commerce de céréales à Bamako, plus précisément au marché de Diafarana. Il finira par devenir un grand supporter du Stade malien de Bamako, de Yaba et des équipes nationales du Mali.
Son affection pour Yaba depuis son jeune âge était connue de tous. Kalilou venait dans leur famille à sa guise, de telle sorte qu’une familiarité s’est cultivée entre lui et tous les parents de Yaba. Celui-ci reconnait, dans une forte émotion, qu’il ne peut pas payer Kalilou pour tout ce qu’il a fait pour lui. Dans sa jeunesse, c’est Kalilou qui assurait son carburant, ses petits besoins. Son amour pour le Stade et Yaba a fini par jouer sur la prospérité de son commerce. Parce qu’il n’avait plus le temps d’aller prendre les céréales en brousse, pour les revendre à Bamako. Finalement, il a chuté et est tombé en disgrâce. Qu’est-ce que Yaba a fait pour lui, quand Kalilou a eu des problèmes ?
Très embarrassé par l’apostrophe, l’ancien international a eu de la peine à répondre et hésitait, comme si une force étrangère, plus puissante que sa volonté le retenait dans sa tentative de réponse. Un des amis de Yaba qui assistait au débat a pris la parole pour dire qu’en réalité, “Yacouba a acheté deux motos pour Kalilou au moment où il avait des difficultés, en plus d’autres petits gestes symboliques”. C’est alors que la langue de Yaba se délie. Les larmes aux yeux, pour dire que c’était juste pour lui rendre la monnaie de sa pièce, mais pas dans une logique de payer ou de compenser ce que son supporter a fait pour lui. D’ailleurs, il ne peut en aucun cas égaler Kalilou, qui a baptisé un de ses enfants de son nom. Mais, ainsi va la vie, chacun gouttera à la mort.