Au Mexique, il ne fait pas bon être journaliste ! Et si, en plus d’être cet empêcheur de tourner en rond, vous vous intéressez de trop près au juteux narcotrafic, vous signez, vous-même, et à coup sûr, votre propre arrêt de mort.
Selon un décompte macabre tenu par les organisations de défense des droits des journalistes, 105 d’entre eux ont été assassinés et 23 autres sont portés disparus depuis 2000. Trop, c’est trop, disent en chœur ces organisations ! Ce décompte qui n’a pas l’air de s’arrêter de sitôt, justifie largement la colère homérique de 186 correspondants étrangers travaillant au Mexique. En effet, ils viennent de publier une lettre ouverte afin de condamner l’assassinat de leur confrère mexicain Javier Valdez, le 15 mai ». Selon l’édition du 22 mai du journal français
Le Monde, la déclaration a été signée par les représentants des principales agences de presse accréditées au Mexique (AFP, AP, Reuters, EFE, DPA, Bloomberg), des journaux (New York Times, Washington Post, El Pais, Financial Times, Wall Street Journal, The Guardian, Le Monde, Le Figaro, Libération) et de l’audiovisuel (ABC, Al Jazeera, BBC, DW, RFI, RCN, RTVE, Univision). Au total, ce sont 69 médias internationaux qui dénoncent, avec virulence, « la recrudescence des agressions contre les journalistes » dans ce pays. Depuis janvier, pas moins de six journalistes ont déjà été tués pour avoir fait simplement leur job. Le journal français note que l’initiative de la presse internationale rejoint la vague d’indignation, nationale et internationale, provoquée par la mort de cet expert [Javier Valdez] reconnu du crime organisé.
Correspondant régional du quotidien mexicain La Jornada et pigiste pour l’Agence France Presse, il a été criblé de balles à quelques mètres des bureaux de Riodoce, l’hebdomadaire que le quinquagénaire avait fondé en 2003, à Culiacan, dans l’Etat de Sinaloa (nord-ouest), berceau du narcotrafic mexicain, précise le quotidien français. Ces meurtres en série font du Mexique le troisième pays au monde où il ne fait pas bon être journaliste après la Syrie et l’Afghanistan. Le pays figure en bonne place des prédateurs de la liberté de la presse et occupe la très peu enviable 147e place sur 180 au dernier classement mondial établi par RSF.
Les correspondants étrangers, les organisations de défense des médias et de nombreuses autres organisations ruent dans les brancards et adressent un coup de semonce aux autorités locales dont le laxisme voire la collusion avec les puissants cartels de la drogue font régulièrement les gros titres de la presse. Dans leur communiqué, les correspondants soulignent qu’un « accès efficace à la justice est fondamental pour freiner les agressions et assurer l’exercice du journalisme dans des conditions de sécurité et de liberté ».
Pour donner le change à la presse, le président mexicain, Enrique Peña Nieto, s’est engagé à renforcer la protection des journalistes et a déclaré que « Tout crime commis contre un journaliste est un attentat contre la liberté d’expression et la société en générale ». Et d’ajouter : « En tant que président, je vous assure qu’on agira avec fermeté pour arrêter et punir les responsables ». Dans la foulée, le président Enrique Peña Nieto a annoncé des mesures exceptionnelles, dont « le renforcement des moyens alloués au parquet spécial, créé en 2010, pour enquêter sur les crimes et menaces contre la liberté d’expression ».
Ces mesures exceptionnelles prévoient aussi « d’étendre les mécanismes de protection des journalistes (gardes du corps, bouton d’alerte, caméras de surveillance…) qui protègent déjà 196 professionnels menacés ». Mais, dit-on, le chemin qui conduit à l’enfer est pavé de bonnes intentions et, donc, peu d’observateurs avertis accordent du crédit aux professions de foi du président mexicain. Balbina Flores, du bureau de Mexico de l'ONG Reporters Sans Frontières (RSF) est particulièrement dubitative et pessimiste : « On ne voit pas la situation de violence s'arrêter. Quand on pense que les choses vont changer pour de bon, il y a un autre assassinat ».
Sans être un expert, il n’est pas difficile de conclure qu’il y a comme un zeste d’impuissance et un parfum de fatalité qui flottent sur le Mexique, ce beau pays taillé en pièces par les cartels de la drogue, où la violence est aveugle et où il ne fait pas bon contrarier les intérêts des gangs, des mafieux et de l’économie du crime.