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Le français, langue d’expression de la République du Mali : Réalité
Publié le lundi 29 mai 2017  |  Le Sursaut
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Dans notre précédente livraison, nous vous avons présenté la première partie de cette étude sous le titre : « Le français, langue d’expression de la République du Mali : controverse, polémique ». Cette semaine, nous vous en livrons la suite. Cette publication nous est inspirée par ce passage du projet de révision constitutionnelle actuellement soumise à l’appréciation des élus de la Nation : « Le français est la langue d’expression officielle. La loi favorise et détermine les modalités de promotion des langues nationales. » (Titre I, article 3, alinéa 4 et 5).
La formulation ne donne pas satisfaction à tout le monde. Sur la question, les avis sont partagés. Certains souhaiteraient que l’on revienne à la formulation que proposait le projet avorté de révision sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, formulation qui faisait des langues nationales, des langues d’expression officielle au même titre que le français. Les adeptes du « Ngo » veulent nous mettre à leur école, nous amener à abandonner le français, langue étrangère, de surcroît, langue du colonisateur pour lui substituer le « ngo ».
A l’issue des Deuxièmes assises de la Convention des partis politiques de la Majorité Présidentielle (CMP), « certains participants ont déploré qu’à ce stade d’évolution de notre pays, les langues nationales ne soient pas officialisées. Ils proposent la poursuite de la promotion des langues nationales et que le processus de leur officialisation débute dès maintenant. Ces derniers ne confondent-ils pas « officialiser » et « adopter comme langue officielle » car, la loi, depuis la Première République, a officialisé les langues nationales ?
Quoi qu’il en soit, nous vous livrons ci-après la deuxième partie de notre étude, pas pour en rajouter à la polémique, mais pour inciter à une réflexion afin de répondre à la question suivante : « En définitive, le français n’est-il pas devenu une langue africaine ? »
La réalité est que, sans avoir formulé, de manière explicite, une politique linguistique, le Mali, à l’instar des autres pays subsahariens d’expression française pratique une politique linguistique faite de bon sens et de prudence ; ce que d’aucuns considèrent comme une manque de volonté politique. La Constitution dispose : le français est la langue d’expression officielle, la loi détermine le statut des langues nationales. Une concision à la limite du laconisme. Toutefois, il n’existe nullement des partisans du tout français : tous les francophones maliens, quelques individualités, quelques groupuscules exceptés, pratiquent le bilinguisme. C’est à la lumière de cette réalité que seront formulées, ci-après, quelques opinions personnelles inspirées par certaines déclarations couramment entendues.
Aucun pays ne s’est développé avec la langue d’un autre pays
Assertion fort discutable pour deux raisons. Première raison : des pays comme la France, l’Espagne, le Portugal, la Roumanie ont abandonné leurs langues originelles, le celtique ou le dace, pour adopter le latin à la suite de la colonisation romaine. Dans le vocabulaire du français il subsiste à peine cinq cents mots d’origine celtique. Cependant, il s’agit là de simples références, pas d’exemples proposés comme modèles.
Deuxième raison : la langue de l’autre n’existe pas. Et, avec le temps, la langue maternelle aussi cessera d’exister. Certes, la langue est un élément capital du patrimoine culturel : point de culture sans une langue qui lui soit propre et qui l’exprime ; mais la langue est également un outil de travail, un instrument et, dans ce cas, tout dépend de l’usage qu’on en fait. Nous ne sommes pas le premier à soutenir que la langue de l’autre n’existe pas. Avant nous, un homme qui n’a de leçon de nationalisme à recevoir de qui que ce soit, le Président Modibo Kéïta, dans un discours à la fois bilan et programme prononcé à l’Assemblée nationale le 20 janvier 1961 déclarait : « Chacun, dans sa sphère propre, apportera ainsi sa contribution à la résurrection de notre héritage colonial, à la restauration de notre personnalité et, donc, à l’affirmation de notre Nation.
« Aussi n’est-il pas inutile d’insister sur le rôle que devront jouer dans une telle optique les langues vernaculaires : elles constituent, sans nul doute, les instruments les plus sûrs et les plus populaires qui permettront à nos masses rurales de donner toute la preuve de leur capacité. Cela n’exclut pas, bien sûr, la nécessité pour elles d’apprendre la langue française qui facilitera leur adaptation aux courants d’idées modernes ». ( KEITA (M.). – Discours et interventions. Sdnl. Page 31
La citation retient l’attention, non seulement par le fait qu’elle reconnaît la nécessité du bilinguisme pour une ancienne colonie française comme le Mali, mais également parce qu’elle servira de fondement à une alphabétisation des masses rurales en français.
Et l’orateur de justifier, par la suite, l’option en faveur du français et l’inexistence de « la langue de l’autre » : « Pour faciliter la compréhension entre tous les peuples de la terre, nous ne jetterons d’exclusive sur aucune langue même si, pour des raisons pratiques évidentes, nous choisissons la langue française comme langue officielle.
« En effet, la langue est un instrument de travail dont aucune nation au monde ne peut revendiquer le monopole.
« Notre rôle à nous est de faire de ces langues des outils propres à traduire notre pensée dans les domaines les plus variés. Nous en ferons les vecteurs les plus fidèles de l’esprit africain.
«Ouvert à tous les vents du monde, notre pays saura tirer profit des données positives des autres civilisations, qu’elle soient de l’Est ou de l’Ouest… » (Idem)
L’emploi du français comme medium d’enseignement est la cause des échecs scolaires et de la baisse du niveau des apprenants.
C’est ce qu’une perception superficielle permet de constater. Effectivement, la plupart des élèves et des étudiants ne comprennent pas les cours et, par conséquent, ne peuvent exercer leurs capacités d’abstraction et de réflexion parce qu’ils ne comprennent pas la langue dans laquelle les cours sont dispensés.
Mais la réalité est tout autre : il y a échec et baisse de niveau parce qu’il y a eu une démocratisation de l’enseignement qui ne s’est pas accompagnée d’un financement adéquat autorisant la disponibilité de ressources suffisantes pour créer les infrastructures, assurer l’équipement et la documentation, susciter la vocation et la motivation et, partant, fiabiliser les évaluations. Il est indéniable que la baisse du niveau en français entraîne la baisse du niveau dans les autres matières. Mais la baisse du niveau en français est une conséquence, non une cause.
L’usage du français exclut 90 % de nos populations du processus de développement.
Ce n’est nullement ce qu’il est donné de constater quand on se rend auprès des acteurs du développement en milieu rural : les campagnes d’alphabétisation en langues nationale et les campagnes de vulgarisation en langues nationales, ont fait d’eux des producteurs modernes.
C’est là que doivent être appréciés les efforts fournis par l’Etat en matière de politique d’alphabétisation fonctionnelle en langues nationales. Des chiffres existent, suffisamment édifiants.
En 2009 (l’on voudra bien nous excuser de ne pas disposer de statistiques plus récentes), 37 741 auditeurs dont 15 552 de sexe féminin (soit 41,15 % de l’effectif) sont recensés dans 1 302 CED (Centre d’Alphabétisation Fonctionnelle) avec des enseignements dispensés dans les langues nationales. Par la suite, ce sont 61 770 auditeurs dont 30 000 de sexe féminin (soit 48,56 % de l’effectif) qui fréquentaient ces centres, tandis 281 auditrices terminaient des formations dans les spécialités suivantes : coupe, couture, coiffure, transformation agro-alimentaire saponification et teinture.
D’aucuns trouveront que les effectifs ci-dessus cités, rapportés à l’échelle nationale, sont faibles. L’important est que ces chiffres soient. Une politique est amorcée, ses prémices incitent à sa poursuite. Elle donne la preuve que les langues nationales ne sont nullement négligées, qu’elles peuvent servir de tremplin pour des promotions sociales. Certes, elles n’autorisent pas l’accès à la Fonction publique ni aux hautes charges de l’Etat. Mais, combien de Maliens sont employés par la Fonction publique ? Combien d’entre eux exercent ces charges ? Un changement de mentalité et de comportement permettra de saisir la pertinence de l’utilisation des langues nationales pour promouvoir et assurer d’un développement durable.
Du reste, la connaissance du français ne garantit pas toujours la participation au développement national. Constamment, les partenaires au développement ont eu à déplorer la corruption des élites francisées. Celles-ci, plutôt que de mettre les connaissances acquises au profit de l’épanouissement de leurs concitoyens, saisissent leur position privilégiée au sein de l’appareil d’Etat pour se conduire en vrais prédateurs.
La scolarisation en français à l’âge de sept ans provoque un traumatisme chez l’enfant.
Traumatisme inventé pour les besoins de la cause ou traumatisme réel ? En tout cas idée fort discutable. Il est arrivé que des intellectuels informent sur les circonstances dans lesquelles s’est effectué leur premier contact avec la langue française. Nulle part nous n’avons lu, sous la plume de l’un d’entre-eux, allusion à un quelconque traumatisme. Bien au contraire, nous admettons avec le pédagogue Alain que l’enfant ne souhaite nullement être maintenu dans l’enfance. Il éprouve le besoin de se valoriser aux yeux des adultes et c’est avec une légitime fierté qu’il se prévaut de ses premiers acquis sur le chemin de la socialisation.
Mais notre cas peut ne pas être probant. Aussi écartons-le pour rappeler celui de Amadou Hampâté Bâ, homme de tradition par excellence et, par conséquent, peu susceptible d’être soupçonné d’assimilé. Dans la première partie de sa biographie, (BA (A.M.). – Ankoullel, l’enfant peul. Editions Actes Sud, Paris, 1991-1992, pages 330-343.), sous le sous-titre « La première classe » il a narré sa prise de contact avec le français :
« …J’écoutais attentivement et répétais après les autres, m’appliquant à bien retenir les paroles même si je n’en comprenais pas le sens (…) Ce simple exercice de mémoire ne présentait pour moi aucune difficulté, d’autant que mon désir d’apprendre le plus vite possible la langue de « mon ami le commandant », j’y mettais toute mon ardeur. »
Et cette ardeur fut couronnée de succès car, «en un mois, j’avais appris par cœur tout mon alphabet et pouvais l’écrire correctement. A la fin du deuxième mois, je connaissais parfaitement mon syllabaire. »
Certes, il reconnaît ne pas savoir « décrire le processus par lequel les nouveaux élèves parvenaient à parler rapidement le français, car le maître ne traduisait absolument rien en langue locale des leçons qu’il nous dispensait. » Mais cela devait être un processus très efficace dans la mesure où, « grâce à cette méthode, je mis peu de temps à pouvoir m’exprimer en français ».
Et, comme pour ruiner la thèse selon laquelle l’immersion précoce dans la langue étrangère provoque un traumatisme Amadou Hampâté Bâ conclut : « Cela n’a rien d’étonnant quand on pense que la plupart des enfants africains vivant dans des milieux où cohabitent généralement plusieurs communautés ethniques (…), étaient déjà peu ou prou polyglottes et habitués à absorber une langue étrangère aussi facilement qu’une éponge s’imbibe de liquidation l’absence de toute méthode, il leur suffit de séjourner quelque temps au sein d’une ethnie étrangère pour en parler la langue – ce qui est d’ailleurs valable aujourd’hui. »
CONCLUSION
Faire cohabiter le français en partenariat avec les langues nationales : cela est possible, cela est nécessaire. Le statut de la langue française dans les anciennes possessions françaises au sud du Sahara a considérablement évolué, de son introduction dans nos pays respectifs à ce jour. Elle a commencé par être une langue imposée ; aujourd’hui, elle est une langue librement choisie. D’aucuns la présentent comme aliénante, parce que maintenant dans une honteuse dépendance vis-à-vis d’une ancienne puissance de tutelle. Nous estimons qu’il n’en est rien. Le recours au français ne fait courir aucun péril, dans la mesure où ce recours ne nous a pas conduits à nous nier. Tout en pratiquant le français, nous sommes restés fidèles aux valeurs civilisatrices de nos peuples aux langues de ces peuples, que nous pratiquons.
Des circonstances historiques déterminées nous ont imposé la pratique du français. Le colonisateur, fidèle à l’esprit de l’Ordonnance de Villers Cotterets a demandé à ses sujets, exigé d’eux, qu’ils lui parlent et lui écrivent dans la langue qu’il comprend. Sa volonté fut faite. Et même, au-delà de ses prévisions et malgré ses précautions. Nous nous sommes saisis de cette langue comme qui se saisirait d’un outil, d’une arme : nous l’avons utilisée à des fins utilitaires, pratiques mais aussi pour satisfaire notre besoin de nous exprimer étant inspirés ; nous sommes allés plus loin, nous l’avons utilisée, la retournant contre ceux qui nous l’ont imposée, pour nous libérer et manifester notre présence au monde.
D’autre part, en adoptant la langue française, nous avons su éviter un écueil, celui de l’assimilation pour laquelle son enseignement était, en partie, conçu : pratiquer le français ne nous a pas détournés de nos langues maternelles devenues, par la suite, pour certaines d’entre elles, langues nationales. Dès notre accession à l’indépendance, des actions furent entreprises afin de leur faire remplir les fonctions qu’elles seules peuvent remplir. Les résultats sont là qui incitent à poursuivre les actions, en partenariat avec le français.
Diaoullen Karamoko Diarra
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