MBERA, Mauritanie (Reuters) - La crainte de représailles de la part des troupes maliennes a entraîné un exode des populations arabe et touarègue du nord du pays vers la Mauritanie.
Au moins 20.000 civils sont venus grossir les effectifs du camp de réfugiés de Mbera depuis le 11 janvier, date à laquelle les forces françaises sont intervenues pour aider l’armée locale à chasser les mouvements islamistes qui s’étaient emparés de la région et menaçaient Bamako.
Cinquante-quatre mille Maliens avaient déjà franchi la frontière lorsque les djihadistes, d’abord alliés des Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), à l’origine de l’offensive, ont pris le Nord et y ont imposé la charia.
Dans le camp de Mbera, où les tentes de fortune s’étalent à perte de vue sous le soleil du Sahara, rares sont ceux qui songent à regagner leur pays, malgré la déroute des islamistes. Arabes et Touaregs, que la majorité noire assimile désormais à la guérilla, ne s’y sentent plus en sécurité.
"Des gens innocents sont arrêtés, tués et jetés au fond des puits. C’est inhumain", s’indigne Rissa Ag Cheibani, un chef local qui a fui la région de Tombouctou. Comme beaucoup de pensionnaires du camp, il dit avoir entendu parler d’exécutions sommaires, mais n’en a pas été témoin.
Amnesty International et Human Rights Watch ont signalé plusieurs dizaines de cas, mais on ignore l’étendue exacte du phénomène, qui fait l’objet d’une enquête de l’Onu.
Des exactions imputés à l’armée malienne sont par ailleurs signalées quotidiennement, mais elles sont impossibles à vérifier.
PAS DE PAIX SANS DIALOGUE
Beitna Ould Cheikh, un éleveur touareg, dit être sans nouvelles de son frère, arrêté début février par les forces gouvernementales sur la Route du Sel, voie d’échange historique entre Tombouctou et Taoudéni.
Le gouvernement intérimaire formé après le coup d’Etat de mars 2012 a fait savoir qu’il ne tolérerait aucune représaille et quatre militaires ont été rappelés à Bamako.
L’exode a toutefois rappelé l’existence de lignes de fracture profondes dans une société malienne dont la cohésion sera difficile à restaurer avant les élections législatives et présidentielle de juillet.
Les arrivées sont aujourd’hui moins nombreuses qu’en janvier à Mbera, mais beaucoup prennent encore chaque jour le risque de se lancer dans le périlleux voyage qui y mène. Arrivé à Fassala, du côté malien de la frontière, ils patientent des heures au soleil pour être enregistrés et obtenir un place dans le camp.
"Ça vaut la peine quand on pense à ce qui aurait pu arriver si on était restés. On ne peut plus aller dans les zones urbaines où on vend notre bétail et où on achète des choses", explique Ahmed, Touareg de Niafunké, arrivé avec une vingtaine d’autres réfugiés.
Un organisme a été mis sur pied pour oeuvrer à la réconciliation entre des communauté dont la rivalité remonte beaucoup plus loin que le dernier conflit, mais nombreux sont ceux qui redoutent le départ des forces françaises, qui doit débuter fin avril.
"Nous pensions que le problème serait résolu parce que la France allait contraindre le gouvernement à écouter le Nord. Sans dialogue entre tous les groupes ethniques du Nord, il n’y aura pas de paix", assure Ahmedou Ag Elboukhary, un chef de tribu qui a fui Léré.
Jean-Philippe Lefief pour le service français