Après deux séances plénières, le projet de révision constitutionnelle a été approuvé samedi par 111 voix pour, 35 contre et 0 abstention
La révision constitutionnelle voulue par le président de la République a franchi une étape, pas des moindres. L’Assemblée Nationale a approuvé, après deux séances plénières le samedi 3 mai à 2h45mn, le projet de révision constitutionnelle par 111 voix pour, 35 contre et 0 abstention. C’est désormais un regard optimiste qui est porté sur la consultation populaire, scrutin du 9 juillet prochain.
Sans surprise, c’est l’opposition qui a voté contre le projet à l’hémicycle arguant en substance une inopportunité de révision constitutionnelle en ce moment-ci et un ‘’renforcement des pouvoirs du Président de la République’’ par le texte. Le Groupe de Mody Ndiaye qui boycotte le processus, estime qu’il s’agit non seulement d’un projet “impréparé” mais que l’heure n’est plutôt qu’à la recherche de la paix et non à la révision constitutionnelle.
L’examen du projet de révision constitutionnelle aura été une véritable traversée du désert avant d’aboutir au vote parlementaire favorable. La plénière ouverte le jeudi 1er juin a connu une suspension pour permettre à la partie gouvernementale de s’accorder avec la commission saisie au fond sur des amendements. La séance n’a repris que le lendemain à 17h en raison des longs échanges entre majorité et gouvernement qui auront permis de prendre également en compte certains amendements de l’opposition. La commission compétente s’est présentée alors avec une copie actualisée des amendements. De 80 amendements de la commission on se retrouve avec 75 plus les 43 amendements de l’opposition.
Des discussions conviviales sur les amendements
Les débats sur les amendements ont été engagés en raison d’un orateur pour et d’un orateur contre par amendement. Sur les 75 amendements, l’opposition a soulevé cinq contre amendements qui ont été rejetés. Les points saillants qui ont émaillé les débats sont : les motivations de placer la Cour Suprême avant la Cour Constitutionnelle dans l’ordre des Institutions de la République, la question de nationalité d’origine pour la candidature à l’élection du Président de la République, le serment du Président, le mode de désignation des sénateurs, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, le principe de la révision constitutionnelle par le congrès, entre autres.
En effet, l’opposition trouve que la motivation avancée par la commission pour ramener la Cour suprême avant la Cour Constitutionnelle n’est pas solide. Pour la majorité, cet amendement prend en compte le respect du principe de la séparation des pouvoirs en raison des dispositions constitutionnelles qui fait que c’est par la Cour suprême que s’exerce le pouvoir judiciaire. Selon le projet initial sans l’amendement, cette institution, la 4ème de la République dans la loi fondamentale de 1992 cède sa place au sénat suivi de la Cour constitutionnelle pour se retrouver 6ème institution. De l’avis de la commission compétente, cette situation peut être une entorse au pouvoir judiciaire.
Par rapport au serment du Président de la République avant d’entrer en fonction, Honorable Mody Ndiaye souhaite l’insertion du parjure pour que le Président subisse la rigueur de la loi en cas de violation de son serment. Sur le mode de désignation des sénateurs, il a souhaité que tous soient élus pour plus de légitimité. Aussi, de son avis, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature soit assurée par le président de la Cour suprême. Mais de l’avis de certains intervenants, comme le président de la commission, Zoumana Ntji Doumbia et de l’honorable Moussa Timbiné, il est légitime et régulier que le président de la République puisse désigner, au sénat, certaines personnalités reconnues comme être des personnes ressources dans la vie de la nation pour améliorer le débat parlementaire. A leur avis, c’est l’une des motivations de la création du Sénat.
Par rapport au mode de la révision constitutionnelle, l’opposition fait grief à l’amendement de la commission au profit de la disposition de la Constitution de 1992. Pour la majorité, cela n’a pas de pertinence au motif que le scrutin référendaire à l’occasion de chaque révision constitutionnelle est un processus lourd et couteux.
Les piques et les clashes du débat général
Le débat général a été houleux entre opposition et majorité appuyée par des réactions pertinentes du ministre Me Kassoum Tapo. On retiendra des échanges un peu virulents entre les deux tendances, respectivement animées par des honorables Diarrassouba, Zoomana Ntji Doumbia, Moussa Timbiné, d’une part, et Mody Ndiaye, Alkeidi Touré, Kalilou Ouattara, d’autre part. Pour Mody Ndiaye, la majorité et le gouvernement n’ont fait que du théâtre tout au long du processus. « La présentation de 80 amendements initialement présentés par la commission dénote l’impréparation du texte. Au départ nous avions une initiative présidentielle, mais à l’arrivée on a l’impression que c’est une initiative parlementaire », fustige-t-il.
A sa suite, l’honorable Alkeidy Touré a soulevé une des dispositions de l’article 118 de la Constitution de 1992 qui fait obstacle à la procédure de révision qui ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. Et honorable Kalilou Ouattra d’enfoncer le clou : « Le rapport de la commission manque de méthodologie ; des affirmations gratuites apparaissent pour soulever des insuffisances de la Constitution de 1992, mais il n’apparait nulle part des justifications de ces insuffisances », en s’interrogeant sur celui qui est derrière le texte présenté.
En réplique à l’opposition, l’honorable Moussa Timbiné a tout d’abord indiqué que l’opposition est toujours dans sa logique de boycott systématique. Que l’attitude de l’opposition n’est pas surprenante. Il dira que s’il y a eu autant d’amendements, c’est parce que l’on n’a voulu être à l’écoute du peuple. « Nous avons travaillé plus de 80 jours sur le texte avant cet examen parce que nous sommes à une phase historique de notre pays et cette révision constitutionnelle tient en compte plusieurs aspects de la crise », a-t-il indiqué avant de dénoncer que l’opposition a croisé le bras tout long du processus.
Pour sa part, l’honorable Mamadou Diarrassouba, l’initiateur de cette loi n’a d’autre intérêt que celui du Mali. La révision va permettre d’avoir un Sénat, renforcer la démocratie. Il soutient que le texte interdit le nomadisme et cette interdiction n’est pas anti constitutionnelle. Selon lui le mode de scrutin mixte est un avantage pour la démocratie malienne. « Beaucoup d’entre nous vont bénéficier de cet d’avantage », a conclu Diarrassouba.
Dans sa réaction, le ministre Tapo a tout d’abord félicité la qualité du rapport de la commission marqué, selon lui par une éloquence judicaire, mais aussi de l’éloquence parlementaire de l’intervention de l’honorable Mody Ndiaye. Il a ensuite salué la confiance et la convivialité des débats. Vous avez écouté le peuple et amendé en fonction de leurs aspirations, le président de la République est d’accord avec vos amendements.
Pour Me Tapo, l’amendement, c’est le droit élémentaire des démocraties parlementaires. En réaction à l’opposition, il répondra gentiment que le nombre d’amendement ne signifie pas un discrédit au texte initié avant de soutenir que sous d’autres cieux il y a souvent mille amendements dans un texte. Pour Me Tapo dès lors que la cette Constitution prévoit un constituant dérivé, on ne doit pas parler de l’inopportunité de la révision. Me Tapo a fini sa réaction en précisant que la révision n’est pas faite en fonction de l’accord de paix et qu’elle ne conforte pas un homme.
Ce qui va changer avec cette révision
Rappelons qu’après plus de deux décennies de fonctionnement des organes
constitutionnels et d’exercice des droits et libertés, le besoin s’est fait sentir à maintes reprises (tentatives de révision constitutionnelle en 2000 et en 2011) d’une adaptation des Institutions à l’évolution politique, économique et sociale, afin de mieux avancer dans la construction d’un système démocratique performant. La Constitution a révélé des lacunes et insuffisances et la crise sécuritaire et institutionnelle de 2012 a également fragilisé les institutions de la 3ème République.
Cette nouvelle version de la Constitution malienne n’entraine nullement un changement de République. Mais, il renverse la hiérarchie des normes constitutionnelles en créant de nouvelles institutions de la République notamment le Sénat et la Cour des comptes. Cette révision permet surtout de prendre en charge des engagements pris par l’Etat malien contenus dans l’Accord pour la paix et la Réconciliation issu du processus d’Alger.
La loi constitutionnelle portant révision de la Constitution du 25 février 1992 comprend 140 articles qui sont répartis entre seize (16) titres. Dix-sept (17) articles modificatifs sont ainsi proposés. Elle renforce les institutions de la République en créant de nouvelles institutions comme le Sénat, la Cour des comptes. Elle corrige des lacunes relatives, notamment à la vacance du pouvoir, la révision constitutionnelle par congrès.