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Délestages : Bamako dans le noir - les raisons
Publié le samedi 23 mars 2013  |  L’aube


© Autre presse par DR
Délestages : Bamako dans le noir


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Bamako sombre dans l’obscurité et les Bamakois broient du noir. La capitale malienne vit une crise énergétique sans précédent qui se traduit par un délestage intempestif qui ne laisse nulle place à l’espoir. Les citoyens ordinaires et même les Maliens avisés mais qui ne sont pas introduits dans les secrets des milieux énergétiques accusent EDM sa et les autorités énergétiques de tous les péchés d’Adam.

Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les mesures prises pour écourter la souffrance des populations et remettre les services et entreprises au travail ? Notre reporter a enquêté.

Il y a des quartiers à Bamako pour lesquels le courant est en passe de venir un souvenir ou tout au moins un luxe. D’autres où, les habitants, plus heureux, ont le précieux sésame pendant 5 ou 6 heures. Mais, à l’exception des zones prioritaires, tous les Bamakois sont frappés tant soit peu par la coupure de courant en cette période de grande canicule. L’anathème est jeté sur la société Energie du Mali et les autorités en charge de l’énergie. Cependant, nul n’en voudrait à ED M sa s’il connaissait les vraies raisons du délestage en cours. Ces raisons, nous nous efforçons de vous les étaler dans les lignes qui suivent grâce à l’éclairage de notre interlocuteur.

Etat de déliquescence avancé

Aujourd’hui, le réseau interconnecté qui relie la centrale de Bamako à la centrale de Manantali, à celle de Sélingué et à la Côte d’Ivoire, a une pointe de consommation de l’ordre de 200 mégawatts. La puissance dont dispose le Mali pour faire face à cette demande est de 125 mégawatts. Donc, il y a un trou de 75 mégawatts qui représentent à peu près 13 lignes aériennes et souterraines qui alimentent les quartiers de Bamako. Environ 40% des abonnés ne sont plus couverts dans cette situation. Pourquoi on est dans cette situation ? Parce que la société EDM Sa est dans un état de déliquescence avancé.

D’abord sur le plan financier, il y a un mois, la société devait près de 22 milliards aux pétroliers dont 13 milliards à Ben and Co, 5 milliards à Somapp, 4 milliards à Total et le reste aux autres petits fournisseurs de la place. Energie du Mali doit aussi 20 milliards aux fournisseurs non pétroliers. Et elle devait 28 milliards aux banques. Ce qui fait 70 milliards, pour un chiffre d’affaires d’environ 120 milliards de FCFA. C’est la cessation de paiement totale. La conséquence de cette crise de trésorerie, c’est que toute la maintenance qui devait être faite sur les groupes ne l’a pas été.

La révision décennale de Sélingué qui devait avoir lieu il y a près de cinq ans n’a pas été faite. Le résultat, c’est qu’il y a un groupe de Sélingué qui a cramé, donc indisponible. Ce qui fait 11 mégawatts de moins du potentiel de production.

La centrale de Sopam qui a été initiée par un Burkinabé et située vers Sirakoro fait 55 mégawatts. Mais, sur les 5 groupes, c’est un seul qui fonctionne. Les 4 autres sont arrêtés parce que tout simplement il n’y avait plus de compresseurs pour les lancer. Et cette centrale à laquelle Energie du Mali doit près de 6 milliards n’arrive plus à faire, depuis trois ans, la maintenance de ce groupe. Donc, il y a des usures irréversibles qui étaient entrain de s’opérer sur cette centrale.

A Darsalam, à Bamako, il y a une turbine à combustion qui a une puissance iso de 26.7 mégawatts, mais on ne peut en tirer que 18 mégawatts à cause des conditions environnementales. Cette turbine n’a pas eu son inspection-combustion depuis trois ans elle aussi. La faire fonctionner comporte des risques. En plus, en la mettant en service, elle consomme 120 000 litres de DDO par jour.

Toujours à Darsalam, il y a 6 petits groupes MTU qui sont à l’arrêt depuis un an, tous en panne et non réparés.

Pire, à cause des problèmes de trésorerie et des dettes, les pétroliers n’arrivent plus à approvisionner Energie du Mali en combustibles parce qu’ils ne peuvent plus faire des opérations avec les banques à cause du montant de ce passif. Ce qui oblige EDM à prendre le recouvrement du jour pour aller chercher chaque matin et chaque soir une citerne par-ci, une autre par-là. Avec ces achats spots, on alimente les gens le temps que le carburant s’épuise dans les groupes. Et ce mode d’approvisionnement renchérit le coût des combustibles de près de 3 milliards de FCFA. C’est dans cette situation que Bamako est plongée maintenant.

Et vint le délestage

L’aggravation de la situation ces deniers temps est due à quoi ? Il avait été programmé depuis un an, dans le cadre des concertations entre les pays de l’Omvs, les techniciens, la maintenance des groupes de Manantali. La révision d’un des groupes tombe sur le mois de mars, et il a été naturellement mis hors service. Ça va durer 15 jours. Là aussi, c’est une perte de 20 mégawatts.

Autre cause, autre effet : dans le cadre de l’interconnexion, la Côte d’Ivoire donnait au Mali 30 mégawatts. Mais, il y a trois jours, un groupe de 110 mégawatts est tombé en panne là-bas. Depuis, le Mali ne reçoit plus que 10 mégawatts au lieu de 30. On a dû dépêcher à Abidjan le directeur général adjoint d’EDM sa pour aller plaider la cause malienne.

Donc, de bout en bout, le Mali a perdu tout son potentiel pour couvrir la demande. Que faire ? Il ne restait plus aux autorités énergétiques qu’à faire une opération d’adaptation de la demande à l’offre. C’est ça le délestage, à savoir les coupures par rotation. Cela aussi obéit à des règles, notamment un plan qui distingue les priorités d’alimentation, à savoir les zones de la Présidence, de défense, de sécurité, les hôpitaux nationaux, les centraux téléphoniques, les stations de pompage d’eau. Ces zones sont servies 24h sur 24, les autres par rotation.

Face à cette situation, qu’est-ce que les autorités énergétiques ont fait ? Elles ont acheté un compresseur pour la centrale Sopam. Maintenant, il reste à assurer le gas-oil.

En plus, le réseau est saturé par endroit, c’est-à-dire que même en cas de disponibilité d’énergie, les lignes sont saturées. Celles-ci sont entrain d’être renforcées. Par exemple, un câble est entrain d’être posé pour relier le poste de Lafiabougou (relié à Manantali) jusqu’à Badalabougou.

Ensuite, des experts ont été sollicités pour la réparation des 6 groupes MTU de Darsalam.

Il faut aussi espérer sur le retour du groupe de Manantali. Par contre, le groupe de Sélingué ne pourra pas être disponible avant plusieurs mois.

En plus, la Côte d’Ivoire s’apprête à mettre sur son réseau 120 mégawatts supplémentaires. Elle pourrait donc redonner au Mali ses 30 mégawatts que les autorités ont négocié pour porter à 50.

Pour faire toutes ces opérations, il faut saluer l’apport de l’Etat qui va débloquer 40 milliards de subvention pour éviter qu’EDM ne mette la clé sous le paillasson. Ce fonds permettra de résoudre quasiment tous ces problèmes là et d’alimenter correctement les abonnés. Les autorités énergétiques du Mali promettent de réduire considérablement le délestage intempestif dans les deux semaines à venir.

S’il y a un aspect extrêmement important à souligner dans la crise que vit EDM actuellement, c’est bien la concurrence et les sommes faramineuses dues à la société. En effet, il y a des sociétés parallèles qui se créent ; les abonnés doivent à EDM près de 30 milliards ; les municipalités près de 3 milliards ; des institutions dotées de primes d’eau et d’électricité ne payent pas. C’est ça qui tue EDM.

Si la mesure d’augmentation de la grille tarifaire (dont les retombées ne sont pas encore là d’ailleurs) n’était pas prise, on serait entrain de fermer la porte d’EDM sa aujourd’hui. Dans trois à cinq mois, on espère que EDM sa sera remontée.

Le Mali, absent des organismes

Au-delà du délestage, il convient de souligner une autre tare qui frappe le secteur énergétique malien : c’est l’absence de nos cadres au sein des organismes sous régionaux. Une commission de réflexion stratégique mise en place par les autorités s’est penchée sur la question et a conclu à la nécessité pour le Mali d’être à l’Omvs (organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), au Wapp (West african power pool), et à l’Ired (Initiative régionale pour l’énergie durable.

En effet, dans ces organismes, on se demandait quelle partition le Mali est en train de jouer. A l’Omvs d’abord, le poste de Haut commissariat revient au Mali depuis 2006. Mais, d’accord parties, entre les chefs d’Etat ça été prolongé à 2008. Mais, depuis 2008, le Mali devrait occuper ce poste, mais on ne l’a pas fait. L’Omvs est un noyau entre les mains des pays. Et puisque le Mali ne l’a pas fait, le poste a été donc occupé par les représentants de la Mauritanie. Cela a entraîné toutes les autres structures de l’Omvs dans l’illégalité. Le mandat du secrétaire général de l’Omvs est dépassé de quatre ans. Le mandat du directeur général de la société des gestions de l’énergie de Manantali est dépassé aussi.

Il y a un autre fait majeur : la Guinée est rentrée dans l’Omvs depuis 2006 et elle paie ses cotisations depuis un an. Donc, il va falloir remettre à plat toutes les règles de fonctionnement de l’Omvs c’est-à-dire le système de rotation des postes entre les pays en prenant en compte l’entrée de la Guinée. L’enjeu, c’est que dans l’Omvs il y a des projets majeurs. Ce qui est très important pour le Mali, c’est le barrage de Gouina qui va faire 145 mégawatts. La convention de financement a été signée entre Exim Bank de Chine, le Mali et le Sénégal. La Mauritanie n’a pas encore signé pour des raisons floues.

Deuxième chose, c’est qu’il n’y a pas que l’électricité dans l’Omvs. Il y a un vaste réseau de transport dans le cadre du système intégré de transport multimodal qui englobe les réseaux maritimes, fluviaux et terrestres. S’agissant du terrestre, il y a une route qui est prévue de Diéma à Saint Louis, de Diéma à Yorosso, de L’Abbé, Lougué, Dinguiraye et Siguiri à Bamako. Il y a aussi la navigabilité du fleuve Sénégal jusqu’à Ambidédi. C’est pourquoi, la Sogena (société de gestion de la navigation) a été créée ; elle est dirigée par Malien. C’est lui seul qui est dans la plénitude de son mandat.

En dehors du réseau de transport, il y a aussi un important volet en ce qui concerne la sécurité alimentaire à travers le Paraci, Projet d’amélioration régionale des cultures irriguées avec de gros financements. Les financements de tous les projets évoqués doivent être terminés pratiquement en 2013. D’où la nécessité que le Mali occupe son poste de haut Commissaire en ce moment à l’issue du sommet de cette organisation qui prend fin aujourd’hui même à Nouakchott. Il est très important que dans des organismes aussi stratégiques que le Mali occupe des postes de décisions.

Au-delà de l’Omvs, il y a le Wapp, un organisme très prisé par les bailleurs de fonds. L’Onu, la Banque mondiale, la Bad, la Boad, tous financent des projets au niveau du Wapp. Mais, dans le Conseil exécutif du Wapp où l’on retrouve les cadres de plusieurs pays, il n’y a aucun Malien. Il faut que le Mali change de politique de promotion de ses cadres sur les plans sous régional et international.

Aujourd’hui, le Mali est intéressé par l’interconnexion Ghana-Burkina-Mali. Le Mali a soustrait de ce projet le tronçon Sikasso-Bamako qui sera réalisé dans un cadre bilatéral avec l’Inde, qui a octroyé 100 millions sur les 150 millions nécessaires. Il va rester le tronçon Sikasso-Bobo Dioulasso-Hans au Ghana dont les évaluations doivent avoir lieu.

Après le Wapp, il y a l’Ired au niveau de l’Uemoa. Ce projet brasse des centaines de milliards de FCFA. Cet argent est destiné à la réhabilitation et à l’extension des réseaux de diffusion de transport d’une part et à booster les énergies renouvelables d’autre part. Les autres pays sont entrain de se servir de ce fonds, mais pas le Mali, parce que tout simplement on n’y est pas.

Enfin, il y a l’ABN, l’Autorité du bassin du fleuve Niger. C’est un projet majeur pour la revalorisation du projet. Beaucoup de problèmes sont posés entre les Etats dans le cadre de cet organisme, notamment le Nigéria dont la pose de barrages va déranger le régime de fleuves à leur niveau. Ça entraînait aussi beaucoup de difficultés dans la réalisation de certains ouvrages dont Taoussa au Mali. Mais Markala est entrain de venir. Tout ça va agir sur le régime de l’eau. « Donc, il faut être à bon poste, à bon niveau pour pouvoir tirer son épingle du jeu », c’est la conviction des autorités.

Sékou Tamboura

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