Guerres civiles, dictatures, pillages des peuples par leurs dirigeants, maladies endémiques et même pandémies. Ils sont nombreux encore à ne plus croire en une quelconque possibilité, pour ce continent et ses hommes, d'être un jour libres. Cette Liberté qu'ont tous les autres, en particulier les Occidentaux.
Alors, on entend toujours : "Il se trompe, il veut faire comme si on était en Europe. Il oublie que nous sommes en Afrique". Les bons repas c'est pour les autres, tout comme les bonnes manières, la connaissance et l'argent.
Le plus désolant, c'est que tout cela se passe après quatre siècles d'esclavage, plus d'un siècle de brimades, de rudesse et de tyrannie d'une colonisation inhumaine. Après plus de trente ans d'une indépendance de misère et de dictature, il se trouve toujours des Africains pour vous dire que la Liberté que vous revendiquez est excessive. Elle n'est bonne que pour les autres. La Démocratie que vous appelez de tous vos vœux n'est pas encore utile pour vous. Elle sied à ceux qui ont des banques bourrées d'argent, qui peuvent aller sur la lune, qui ont un niveau de vie très élevé. Mais pour vous qui en aviez soif depuis des siècles, vous devez encore attendre, vous n'en avez pas encore le droit, "votre tour n'est pas encore arrivé, c'est très tôt, même trop tôt." Les plus gentils et les plus optimistes vous disent : "Peut-être qu'avec la prochaine décennie, nous aurons le niveau de Liberté et de Démocratie dont vous parlez. Maintenant, c'est impossible. Nous sommes en Afrique."
Ceux qui nous ont subjugués, vendus et exploités ont parfois le cynisme de nous dire à haute voix : "Vous voulez faire faire à l'Afrique en si peu de temps un chemin que d'autres ont mis des siècles à parcourir. Il faut encore du temps..."
Mais demandez-leur quel était le niveau de développement du peuple américain quand il rédigeait sa constitution après sa guerre d'indépendance. Que l'on nous dise quel était le niveau de développement du peuple français quand il a tracé à l'humanité entière la voie à suivre en élaborant la déclaration des droits de l'Homme en 1789. Quel niveau de progrès avaient les peuples européens et asiatiques quand ils élaboraient leurs Constitutions ?
A-t-on besoin d'appartenir à un pays nanti et développé pour comprendre qu'un responsable politique ne peut pas et n'a pas le droit d'hypothéquer l'avenir de tout un peuple par son comportement ? Avons-nous besoin d'aller sur la lune pour comprendre que la voie, la seule, qui conduise au développement collectif et au progrès individuel passe par la Liberté et la Démocratie véritables ?
Avons-nous besoin, par exemple au Burkina, d'être dans une société de haute technologie et d'un très haut niveau de vie pour comprendre que nous resterons toujours un pays arriéré, un peuple de mendiants, de minables, si nous continuons à suivre cette voie où les lois sont faites pour être bafouées, où elles sont taillées selon le bon vouloir du pouvoir ? La Démocratie fait ici partie des artifices théâtraux du régime. Avons-nous besoin d'atteindre le niveau de développement des États-Unis pour comprendre que nous ne serons jamais rien, au propre et au figuré, si nous continuons à croire que les responsabilités nous dispensent du respect des lois et de la constitution ?
Combien notre pays et notre peuple ont-ils perdu, financièrement parlant, avec tous ces vols impunis, tous ces détournements crapuleux, avec toute cette corruption rampante et toute cette politique parfois d'une irresponsabilité criminelle ?
Il est grand temps de comprendre. Aucun peuple ne peut aller au développement autrement que par la Liberté et la Démocratie. C'est le niveau de Démocratie qui détermine le niveau de développement. Le contraire n'aboutit qu'à l'épanouissement des dirigeants et à la dictature. Il n'y a pas à se tromper là-dessus.
Norbert Zongo dans L'Indépendant n°113 du 3 octobre 1995