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Que sont-ils devenus ? Djibril M’Bodge : La passion de l’audiovisuel
Publié le jeudi 8 juin 2017  |  Info soir
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Pour exercer avec satisfaction un métier ou une profession, il faut l’aimer et même en avoir la passion. Il faut cultiver en soi l’envie de bien faire. C’est à ce seul prix que se fera la réussite. Tel est le cas de notre héros du jour pour la rubrique « Que sont-ils devenus ? ». Il s’agit de Djibril M’Bodge. Nous nous souvenons encore de cette voix grave sur les antennes de Radio Mali, dans les années 1978 -1979, de RFI et d’Africa N°1 de 1983 à 1995. Mais aussi de cette silhouette du présentateur attitré du journal télévisé au tout début de la télévision au Mali, en 1983. Aujourd’hui, notre héros savoure une retraite bien méritée dans sa résidence aux 300 logements de Garantibougou, à Bamako où nous l’avons rencontré. Djibril M’Bodge nous conte son passé et son présent !





A l’époque, pas de télé, pas de radios privées, la seule station qu’on écoutait partout dans le pays demeurait la Radio Mali. Certes, la jeune génération était collée au disque ou phono, mais il y a avait au moins dans chaque famille un transistor sur lequel on entendait les voix des Samba Guindo, Balla Moussa Keïta, El hadj Bourama Coulibaly, Samba Sidibé pour les avis et communiqués et les spots publicitaires.

Le journal parlé était l’affaire d’une génération de grands journalistes comme Daouda N’Diaye, Baba Dagamaïssa, Lamine Coulibaly, Djibril M’Bodge, Aïssata Cissé, Fatim Sidibé, Thiona Mathieu Koné. Ils donnaient un goût à la profession de journaliste, et cultivaient en l’auditoire l’envie de les réécouter tout le temps. Mais hélas ! Avec le recul, ils ont disparu des écrans radars. Certains sont décédés, d’autres sont à la retraite. Mais ce qui est incompréhensible et paradoxal, ces monuments de la presse parlée sont tombés dans l’anonymat total.

Baba Daga, après avoir quitté son poste de conseiller technique au Ministère des Finances, a passé des années à la maison, sans être réaffecté dans un service à l’ORTM. Djibril M’Bodge a subi le même sort. Thiona Mathieu Koné et Lamine Coulibaly ont préféré s’en aller. Avec leur expérience, leur dextérité, leur amour pour la profession, ils auraient dû être un pool de formateurs pour la jeune génération. Surtout que la passion du service public est devenue le slogan de l’ORTM. Confier aujourd’hui un débat télévisé à Djibril M’Bodge ou à Aïssata Cissé donnerait un autre goût à l’événement.

Dans tous les cas, ces doyens de la presse parlée continuent leur vie dans le silence. A l’image d’un Djibril M’Bodge que nous avons rencontré à son domicile aux 300 logements de Garantibougou.



Non à la craie !

L’homme, âgé aujourd’hui de 64 ans (il est né le 27 février 1953) se dit passionné de radio comme la Voix d’Amérique, de voyages et de grandes rencontres. C’est pourquoi, dans sa tendre jeunesse, il désirait l’une des trois professions : avocat, journaliste ou pilote. Mais comment ? Contre toute attente après son bac, il est orienté à l’Ecole Normale Supérieure en 1975, donc destiné à une carrière d’enseignant. Néanmoins, Djibril M’Bodge a commencé les études dans l’établissement, mais disait à qui veut l’entendre que son séjour est temporaire. Comme s’il prédisait l’avenir. La même année, il entre, sur concours, au CESTI de Dakar, en compagnie de son ami Baba Dagamaïssa. Il y sortira trois ans plus tard, avec des temps de stages au quotidien national L’Essor en 1976 et à la RTI en 1977.

Nanti du diplôme du CESTI, spécialité audiovisuelle, Djibril M’Bodge retourne au pays, et intègre la Radio Mali en juillet 1978, après un passage à l’Institut Français de Presse de Paris XI, et six mois au Centre audiovisuel de Montréal au Canada.

Ses tâches à Bozola : les reportages, et la préparation et la présentation du journal parlé.

Avec ses compagnons d’infortune Baba Daga, Lamine Coulibaly, Aïssata Cissé et autres, il accompagne la naissance d’un bébé à Bozola, la télévision nationale, qui émet pour la première fois le 22 septembre 1983 grâce au guide de la Jamahiriya libyenne, Mouammar Kadhafi.

Djibril M’Bodge devient le premier rédacteur en chef de la télé, présentateur attitré du journal télévisé, et correspondant permanent de RFI à Bamako. Deux ans après, il est propulsé au poste de directeur des informations de la télé. En 1985, il quitte les services de RFI pour Africa N°1 et ce, durant dix ans.

Trois ans après la révolution du 26 mars et l’avènement de la démocratie pluraliste, le président de la République Alpha Oumar Konaré avait besoin de ses compétences pour animer sa cellule de communication. Mais une telle fonction, en termes d’occupation et de temps, est incompatible avec un poste de correspondant. Le président Alpha a mis la forme. Il en parla à Oumar Bongo, afin d’éviter une animosité entre son ainé et lui. Le vieux Gabonais donne son accord et les choses s’accélèrent. Djibril M’Bodge quitte la station panafricaine en 1995 pour Koulouba. Cinq ans plus tard en 2000, il démissionne pour exprimer sa désapprobation face à une nomination qui le mettait sous les ordres d’un novice de la communication.

Jusqu’en 2004 il n’avait aucune fonction, aucune occupation à l’ORTM. Heureusement que le président Amadou Toumani Touré le récupère pour l’envoyer à l’ambassade du Mali à Addis Abeba comme conseiller à la communication. Après six ans dans la capitale éthiopienne, Djibril M’Bodge regagne le pays en 2010, où il plongera une fois de plus dans un chômage technique jusqu’à sa retraite en 2015.



Face à face avec Senghor

Ce qui aurait dû être pour Djibril M’Bodge un échec, un fiasco, un cauchemar, est finalement devenu l’un de ses meilleurs souvenirs. Encore étudiant au CESTI en 1976, son directeur de l’époque Amadou Thiam, lui confia l’interview du président sénégalais Léopold Sédar Senghor. L’entretien devrait se passer en direct depuis le palais présidentiel. Pour la première fois, ses pieds ont tremblé. Parce que lui, Djibril M’Bodge, savait qui est Senghor : président d’un grand pays comme le Sénégal, homme d’Etat, un grand intellectuel, académicien. Donc, il s’est dit que la première réponse de Léopold Sédar Senghor le bloquerait totalement, et l’entretien serait un fiasco. Devant un tel complexe teinté de frayeur, qu’est ce qu’il faut faire ? Djibril se rappelle encore de la manière dont il a pris son courage à deux mains pour relever un défi qui s’offrait à lui. Récit : « Ce jour, j’étais perdu dans un cyclone de peur, d’incertitude et de complexe. A cœur vaillant rien d’impossible, je me suis ressaisi en ayant à l’esprit que seuls les grands événements font les grands journalistes. Arrivé au palais présidentiel, je réalise l’interview avec une dextérité extraordinaire. De retour à la radio, mon directeur me félicite et m’encourage. Ce jour a été un déclic pour ma carrière. Rien d’autre ne pouvait m’effrayer.

Je profite d’ailleurs pour évoquer l’un de mes meilleurs souvenirs aussi. C’est l’entretien que le président Thomas Sankara m’a accordé à Ouagadougou lors d’un sommet de la CEAO, en 1986. Malheureusement, un an après il sera assassiné. Cela m’a beaucoup marqué dans ma carrière de journaliste ».

Autre bon souvenir, c’est la couverture médiatique, en 1992, du procès crimes de sang, du général Moussa Traoré, de son gouvernement et des membres du Bureau Exécutif Central (BEC). C’est un procès qui a rassemblé des dizaines de journalistes étrangers à Bamako. Mais la radio Africa N°1 s’est réservé d’envoyer un reporter pour couvrir l’événement, parce que les responsables de la station panafricaine ont estimé qu’avec la présence sur place de Djibril M’Bodge, Africa N°1 sera au cœur de l’événement. Effectivement, tout s’est bien passé.

Nous avons encore en mémoire ses commentaires émouvants sur Mme le procureur général Manassa Dagnoko. Celle-ci venait de faire un réquisitoire de cinq heures d’horloge pour assoir son accusation contre Moussa Traoré et autres.

Cette marge de confiance et de considération de ses anciens collaborateurs de la radio Africa N°1 a beaucoup marqué notre héros.

La carrière de Djibril M’Bodge fut aussi parsemée d’embûches. En plus des sanctions disciplinaires à l’interne, il s’est dit injustement frappé en 1989 par une décision en haut lieu, qui demandait son exclusion de la Fonction publique. Et cela suite à un reportage sur le Maroc. Les autorités algériennes se sont plaintes de l’élément diffusé. Mais, son ministre de tutelle, Mme Sidibé Aïssata Cissé, s’est opposée à cette décision et a préféré quitter le gouvernement. Malgré tout Djibril M’Bodge n’échappera pas, il écopera d’une suspension de six mois. Cet incident fait partie des mauvais souvenirs de sa carrière de journaliste.



Les anecdotes

Bougies secourables : On ne saurait faire trois décennies dans une boite comme l’ORTM sans avoir des anecdotes. Djibril M’Bodge se rappelle comme si c’était hier, avoir présenté le journal à la radio avec la lumière de bougies allumées pour la circonstance. Cela se passait chaque fois qu’il y avait coupure de courant. Le studio était alimenté par la batterie, les émetteurs connectés au groupe électrogène. L’auditoire ignorait tout des remues ménages dans la cabine. Il savourait le journal sans se rendre compte que le générique était souvent mis à profit pour rallumer des bougies qui s’éteignaient en arrangeant les feuilles du journal parlé.

On exécute : Avec le temps, la passion du métier est devenue la passion du service public à Bozola.

Il se rappelle aussi qu’un jour, au moment où il cherchait un moyen de programmer une longue interview du président Moussa Traoré, son directeur (aujourd’hui un homme politique), est venu lui dire qu’avec le président, on ne réfléchit pas, mais on exécute. C’est une façon de dire que la radio et la télé d’Etat ont leurs exigences.

C’est là où Djibril M’Bodge pense qu’un journaliste peut fréquenter les politiciens, mais ne doit pas être un homme politique. C’est pourquoi, il n’a jamais milité dans un parti politique.

Bruits de bottes : Autre anecdote, le 26 mars 1991, tranquillement couché à la maison, aux environs de 4 heures du matin, des militaires armés sont venus taper à sa porte. Avant qu’il ne comprenne, Djibril M’Bodge dit avoir perdu son sang-froid. Parce que la situation était confuse, et apercevoir des militaires armés n’était pas quelque chose de rassurant. Après les salutations d’usage, le chef de l’opération l’informa qu’ils sont venus le chercher sur ordre de feu Kafougouna Koné. Et cela pour réaliser la première interview du président du Conseil de Réconciliation Nationale Amadou Toumani Touré qui s’est emparé du pouvoir. Avec ces propos, il a retrouvé ses esprits et son courage. En cours de route, il tentait par tous les moyens de vaincre la peur, et construisait dans sa tête le questionnaire.

L’honneur de trop ? : Arrivé à l’ORTM, Djibril M’Bodge s’installe avant l’arrivée d’ATT. Mais pas dans la tranquillité, parce que les commandos parachutistes, très excités, cherchaient plutôt à sécuriser les lieux. Ils se passaient des grenades, des cartouches de balles. Tout cela dans une atmosphère tendue. Il s’est posé la question de savoir s’il n’y laissera pas sa peau ? Entre temps, ATT et tout son cortège arrivent pour la première interview qu’il a eu l’honneur de faire avant même qu’il ne lise à 6 heures du matin à la radio nationale le premier communiqué qui a consacré la chute du régime de Moussa Traoré. Et, c’est là où on entend la voix de Sidiki Konaté.



La magie des NTIC

La révolution de la technologie et du numérique constitue le seul facteur pour comprendre qu’on ne saurait faire une comparaison entre le passé et le présent à l’ORTM.

Dans le temps, les journalistes n’étaient pas habillés, contrairement à aujourd’hui. Le groupe des Lamine Coulibaly, Baba Daga, Baba Djourté et Djibril M’Bodge était constitué de vrais copains qui se rivalisaient dans la convivialité. Ils passaient ensemble au grand marché pour se payer des costumes à la friperie. Ils les repassaient pour ensuite les placer dans un coin du bureau. Le soir, au moment de présenter le journal télévisé, l’orateur du jour ôtait seulement son boubou, pour se brayer sur le pantalon du Bazin.

Comment cela pouvait-il passer inaperçu? Djibril M’Bodge dit que seuls le costume et la cravate étaient visibles, le bas était caché par la table. Autre particularité à leur temps, depuis le matin le journaliste qui devrait présenter le journal, se mettait à la tâche pour éviter de perdre le bout du fil, au moindre geste. Aujourd’hui, avec la télé prompteur (ils lisent le texte sur une bande qui défile devant leurs yeux), les jeunes ne fournissent pas assez d’effort. C’est pourquoi d’ailleurs, certains ont des difficultés pour lire un communiqué tombé en plein journal.

Depuis le 31 Décembre 2015, Djibril M’Bodge a fait valoir ses droits à la retraite. Mais, il est convaincu que le journaliste est comme ce médecin, cet ingénieur, ce vétérinaire qui se promènent avec leurs expériences, et qui peuvent les partager à tout moment et partout où ils passent. Pourvu qu’ils soient mis en valeur.

Il consacre son temps aux cours de journalisme qu’il dispense à l’ISPRIC, à regarder la télé, et à fréquenter la mosquée. Dans sa tranquillité, il se dit amer sur un fait. Pour la mise en place de la Haute Autorité de la Communication (HAC), Djibril M’Bodge pensait que les choix du président de la République ou de l’Assemblée nationale porteraient sur lui, eu égard à son expérience et au fait qu’il a consacré toute sa vie à la radio et à la télé. Malgré ses démarches, il n’a pas été nommé. Regrettable !

Cependant, deux faits l’ont socialement marqués et demeurent un réconfort moral qu’il n’oubliera jamais : en 2015, Bally Idrissa Sissoko, à l’époque directeur général de l’ORTM, lui a fait l’honneur de l’envoyer à la Mecque.

Deuxièmement, récemment quand il était malade, l’ancien Premier ministre, Modibo Keïta, l’a évacué en Tunisie pour y suivre un traitement digne de ce nom.

O. Roger Sissoko

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