Analyse
Il y a deux semaines, le président du comité de suivi de l'accord de paix d'Alger, Ahmed Boutache, dans une lettre ouverte adressée au représentant de la CMA (Coordination des mouvements de l'Azawad), s'était débarrassé de toutes circonlocutions diplomatiques pour marteler ses vérités aux ex-rebelles. Il les avait notamment accusés de ne pas respecter leurs engagements.
Pour illustrer son propos, il avait évoqué la non-libération du camp 1 de Kidal par la CMA. Mieux, le médiateur algérien n'avait pas craint de qualifier le comportement des ex-rebelles de « manœuvres politiciennes aux desseins inavoués ». A deux semaines de l'an 2 de l'accord de paix, le médiateur algérien donne l'impression de ne pas décolérer.
En effet, le 6 juin dernier, il s'est fendu d'un ultimatum à l'adresse des protagonistes de la crise malienne. Avant le 20 juin, date anniversaire des deux années de l'accord de paix, le redéploiement de l'armée malienne doit être effectif à Kidal, point barre.
Il faut préciser que le retour des soldats maliens dans le sanctuaire de l'ex-rébellion s'inscrit dans le cadre du Mécanisme opérationnel conjoint (MOC), qui verra patrouiller ensemble des membres de la plateforme, des ex-rebelles et des militaires de l'armée régulière.
L'on peut saluer la fermeté avec laquelle Ahmed Boutache a exprimé ce coup de gueule. Car, les méthodes douces employées de par le passé pour pousser les uns et les autres à la paix, se sont révélées inopérantes.
La colère de l'Algérie est légitime
Hormis en effet l'installation des autorités intérimaires dans les régions du septentrion malien, qui, d'ailleurs s'est déroulée de manière laborieuse, toutes les autres dispositions de l'accord ont été enfouies dans le sable mouvant du Nord-Mali.
Ce blocage, manifestement, a suscité l'agacement de l'Algérie dont la contribution a été énorme pour arracher la signature de l'accord. L'on peut donc dire que la colère de l'Algérie est légitime.
De la même manière, l'on peut comprendre que la France trépigne d'impatience de voir l'accord d'Alger être appliqué dans toutes ses dispositions.
Car, elle a payé et continue de payer au prix fort le non-respect par les protagonistes maliens, de leurs engagements. Le 19 mai dernier, Emmanuel Macron, alors en visite à Gao auprès des soldats de l'opération Barkhane, l'avait signifié en des termes univoques à tous ceux qui s'amusent avec le feu.
La grande question que l'on peut se poser après l'ultimatum lancé par le médiateur algérien, est de savoir si cela va enfin faire bouger les lignes.
L'on peut avoir des raisons de ne pas être optimiste. Et pour cause. Les protagonistes maliens ont ceci de fâcheux que le seul point sur lequel ils se rejoignent et s'entendent comme larrons en foire est, peut-on dire, leur mauvaise foi.
De ce fait, ils se parlent mais ne s'écoutent pas. La suspicion, dès lors, est devenue ambiante et réciproque. In fine, chaque protagoniste parle de dialogue tout en ayant un couteau derrière le dos.
La preuve parmi tant d'autres de cette mauvaise foi, vient d'être apportée par les ex-rebelles, les membres de la plateforme et les militaires de l'armée régulière qui doivent mener ensemble les patrouilles à Kidal, dans le cadre de la mise en œuvre du MOC.
Ceux-ci posent comme préalable d'être dotés par l'ONU d'armes lourdes, pour défendre les zones dans lesquelles ils seront déployés. Mieux, ils exigent que les forces de la MINUSMA et de Barkhane viennent protéger le MOC.
Derrière les dunes de sable, se passent toutes sortes de négoces
Ces caprices n'ont pas manqué de mettre le médiateur algérien dans tous ses états. Car, pour celui-ci, cela est une aberration.
Et dans la foulée, Ahmed Boutache n'a pas caché son indignation en ces termes : « Mais, alors à quoi sert-il ce MOC, s'il faut qu'on assure sa protection, alors que sa mission première est d'assurer lui-même la sécurité des biens et des personnes dans la région où il est implanté ? »
A la suite du médiateur algérien, toutes les personnes éprises de paix et qui ont placé tout leur espoir dans l'accord de paix d'Alger, peuvent relever cette aberration.
De ce point de vue, l'on peut aboutir à la conclusion que les protagonistes de la crise malienne sont activement à la recherche d'alibis, pour que la moindre lueur de paix qui pointe à l'horizon se transforme en mirage.
Ils semblent d'autant plus se plaire dans cette posture que la fin des hostilités et le retour de Kidal dans le giron de l'État malien pourraient s'apparenter pour eux à la fin des haricots ; eux qui vivent d'affaires illicites juteuses.
En effet, derrière les dunes de sable et dans les tentes dressées sur les sites lunaires du désert, se passent toutes sortes de négoces qu'un Etat normal et civilisé ne peut tolérer.
La parade est toute trouvée. Faire en sorte que le septentrion malien fonctionne comme Sodome et Gomorrhe et ce, le plus longtemps possible. Dans ces conditions, l'on peut craindre que tous les efforts qui sont envisagés actuellement dans le cadre du G5 Sahel, soient voués à l'échec.
En effet, tant que la plaie malienne ne va pas être soignée dans les règles de l'art, tant que les protagonistes de la crise malienne ne vont pas enfin prendre la résolution sincère de grandir, rien de grand, de beau et de bien ne peut prendre pied dans le Nord-Mali.
Et à chaque fois qu'un protagoniste plante un poignard, si petit soit-il, dans le flanc du processus de paix engagé depuis l'accord d'Alger, il rend d'énormes services aux djihadistes qui sont loin d'avoir renoncé à faire du Mali un califat.
Et par ces temps qui courent, où ils sont sérieusement malmenés à Raqqa en Syrie par la coalition arabo-turque, ils pourraient être contraints de déposer leurs valises au pays de Modibo Keïta. Et dans l'hypothèse où ce scénario- catastrophe se produirait, les protagonistes de la crise malienne devraient d'abord s'en prendre à eux-mêmes.