Alors que les Maliens et les observateurs internationaux dénoncent régulièrement le retard pris par la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation; alors que le nord et le centre du Mali continuent de vivre une situation sécuritaire détériorée, le vote de l’Assemblée Nationale du Mali le 2 juin 2017 d’une loi portant révision de la Constitution fait prendre à tous une pause. Pause nécessaire pour analyser les origines de cette proposition de réforme et pour déterminer à qui elle sera la plus utile.
La révision de la Constitution n’est pas neutre
La Constitution est l’acte fondateur de tout régime politique. La constitution du Mali du 25 février 1992 nécessitait une reforme pour permettre de redéfinir, d’une part, les rôles du pouvoir central et des collectivités locales et, d’autre part, de constitutionnaliser de nouveaux droits fondamentaux, notamment les droits sociaux et économiques, le droit de l’environnement, etc. Par ailleurs, pour qu’une modification de la Constitution puisse être adoptée, il faut qu’à la suite du vote de l’Assemblée nationale, se prononcent les électeurs du pays comme le prévoit l’article 118 de la constitution. C’est à cette fin que le conseil des ministres du 7 juin a prévu, par un projet de décret, l’organisation d’un referendum au début du mois de juillet. De plus, comme le stipule l’article 3 de l’Accord pour la paix et la réconciliation « les institutions de l’Etat malien prendront les dispositions requises pour l’adoption des mesures règlementaires, législatives, voire constitutionnelles nécessaires à la mise en œuvre du présent Accord ».
L’enjeu de la réforme constitutionnelle : légiférer les conditions de la paix
L’Accord pour la paix rappelait en son article 1er que les parties étaient « attachées au respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Etat du Mali » mais aussi qu’elles n’envisageaient pas de paix durable sans la « reconnaissance et la promotion de la diversité culturelle et linguistique et la valorisation de la contribution de toutes les composantes du peuple malien, particulièrement des femmes et des jeunes à l’œuvre de construction nationale ».
Pour ancrer cette nouvelle gouvernance dans la réalité malienne, l’article 6 de l’Accord posait comme condition une plus grande ouverture des instances de décisions locales et nationales « aux autorités traditionnelles, des femmes et des jeunes » (article 6).
Sur le plan de la gestion des ressources financières tout autant que naturelles, l’Accord prévoyait des modifications quant au partage des richesses et à l’équilibre de la gestion budgétaire entre l’échelon national et les collectivités territoriales. Le projet de réforme, demandé dans l’Accord, stipulait que le gouvernement serait tenu d’opérer les modifications législatives et constitutionnelles nécessaires.
Mais cette réforme constitutionnelle répond-elle à la promesse faite lors de la signature du texte en juin 2015 ? Force est de constater qu’elle soulève certains points de débat au sein de la classe politique et de l’opinion maliennes. En effet, depuis le 2 juin, le débat, par voie de presse et sur les réseaux sociaux, met en avant plusieurs points dont certains, à première vue, semblent de nature opportuniste politiquement, plutôt que destinés à renforcer la stabilité en période post-crise.
Modifications dans la représentation des populations dans les institutions
Mesure phare de la réforme, l’ouverture des institutions politiques nationales aux composantes de la nation pose plusieurs questions. La première concerne la création du Sénat. Si l’Accord pour la paix prévoyait l’ouverture des rangs du Haut Conseil des Collectivités Territoriales aux « représentants des notabilités traditionnelles, aux femmes et aux jeunes », le texte de la proposition de réforme constitutionnelle reste, en l’état actuel, plus évasif. Dans le texte voté par les députés le 2 juin, on lit que les sénateurs seront en partie élus au suffrage universel (art. 57). Le débat s’engage donc: quelle proportion de sénateurs ne sera pas élue mais nommée ? Certains craignent de voir naître une situation où un sénateur nommé pourrait être élu à la présidence de la deuxième chambre et ainsi devenir une figure clé dans une démocratie qui cherche encore sa stabilité. Parmi quelle catégorie de la population ces sénateurs seront-ils choisis ? Quels seront les critères du choix ? Seront-ils contestables ? Autre préoccupation des Maliens: la place consentie aux jeunes et aux femmes tout autant qu’aux autorités traditionnelles.Ces groupes pourront-ils être nommés au Sénat ? Dans quelle mesure le processus de sélection et de nomination par le chef de l’exécutif donnera-t-il lieu à un choix qui satisfasse les candidats potentiels à ces fonctions ?
La seconde catégorie de questionnements a trait à la composition du Sénat: institution démocratique, ayant vocation à participer au processus législatif, la deuxième chambre devra appuyer la légitimité de ses décisions sur la base de sa composition démocratique, issue du vote. Or, la proposition de réforme constitutionnelle ne semble pas tenir compte de cette légitimité nécessaire pour cette institution dotée d’un pouvoir législatif.
Tentation du présidentialisme
A la faveur de la discussion, à l’Assemblée, du texte du 2 juin, ont été glissées un certain nombre de mesures qui pourraient faire penser à un renforcement du pouvoir présidentiel. Alors que le propos de l’Accord pour la paix était de parachever une répartition des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités territoriales, la réforme propose de renforcer l’assise politique du locataire de Koulouba. La réforme présidentialise radicalement le régime politique malien. Cette réforme permet au président de la République de nommer et de révoquer le Premier ministre et son gouvernement, de désigner une partie des membres du Sénat et, surtout, de nommer le président de la Cour Constitutionnelle avec voix prépondérante lors des votes au sein de cette institution. Rappelons que c’est la Cour Constitutionnelle qui statue de façon définitive et sans recours, sur la régularité des élections législatives, présidentielles et les opérations référendaires; elle en proclame aussi les résultats.
Alors que dans la sous-région, ces dernières années, les peuples se sont opposés à plusieurs tentatives de révision des textes constitutionnels à l’initiative de chefs d’Etat ayant en tête de poursuivre leur parcours au palais, l’opinion publique malienne n’a pas tardé à donner son sentiment sur cette réforme constitutionnelle initiée par le président de la République. Les acteurs de l’opposition au président IBK ont mis en garde contre le détournement du projet de révision constitutionnelle à des fins politiques: nomination d’un tiers des membres du Sénat par le président de la République; mesures visant à rendre impossible la transhumance politique au bénéfice des partis politiques constitués; nomination du président de la Cour Constitutionnelle par le président de la République; possibilité donnée au président de faire adopter une réforme constitutionnelle par les deux chambres du parlement réunies. La crainte, en effet, est celle de voir dans cette réforme constitutionnelle, non pas la garantie d’un nouvel équilibre des pouvoirs entre l’échelon central et les autorités locales, mais au contraire d’y trouver l’occasion d’un renforcement durable des équilibres politiques en faveur de la fonction présidentielle. Alors que les Maliens appelaient de leurs vœux un rééquilibrage des pouvoirs en faveur de ceux qui se sentaient mal entendus, la réforme, en l’état, court le risque d’attiser un peu plus encore les craintes.
Par Florent BLANC, docteur en sciences politiques et Oumar BERTE, politologue et doctorant en droit public