Ibrahim Maïga est chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS, basé à Dakar), organisation qui œuvre au renforcement de la sécurité humaine sur le continent africain. Il est en charge du Sahel, surtout du Mali où il est basé. Que faut-il attendre de la force du G5 dans le Sahel, région devenue un foyer d’instabilité à cause de l’extrémisme violent et des trafics ? Surtout que cette force est d’ores et déjà privée du soutien financier et politique des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, qui sont allés jusqu’à refuser que le Conseil de sécurité puisse adopter une résolution pour son déploiement. Il répond aux questions de Sahelien.com.
Ibrahim Maïga
Sahelien.com : L’Union européenne, à la rencontre des ministres des pays du G5 Sahel le mardi 6 juin dernier, a décidé de participer au financement de la force à hauteur de 50 millions d’euro. Ne pensez-vous que cela puisse donner à l’UE la latitude d’imposer des directives à cette organisation ?
Ibrahim Maïga : Il faut rappeler que le budget de la Force du G5 Sahel (FC-G5S) est évalué à 600 millions de dollars. Donc la contribution de l’UE, même si elle est significative, ne représente en réalité que 10 à 15% des besoins. L’UE, en particulier certains de ses membres, dispose d’autres moyens d’influence qui ne se résument pas à cet appui financier à l’opérationnalisation de la FC-G5S. Par ailleurs, le G5 comme la plupart des récipiendaires de l’aide internationale a également des moyens de résister aux pressions s’il le souhaite. Ce qu’il faut espérer c’est que ce processus continue d’être porté par les pays de la région en prenant en compte les préoccupations des populations.
Sahelien.com : La force sera composée de 10 000 hommes. Pensez-vous cela soit suffisant pour lutter efficacement contre les extrémistes violents et les trafics dans le Sahel ?
Ibrahim Maïga : Le mandat de la FC-G5S s’articule autour de 4 axes dont la lutte contre le terrorisme et les trafics, la contribution à la restauration de l’autorité de l’État, la facilitation de l’assistance humanitaire et la contribution de la mise en œuvre des actions de développement. C’est sur la base des ressources déployées pour opérationnaliser ces axes qu’il sera possible de juger la capacité de la FC-G5S à répondre à ces défis. Cette réponse, quoique nécessaire, ne sera pas suffisante. Il faudra aussi mettre l’accent sur la compréhension des enjeux. Par exemple, sur la question des trafics dans le Sahel, il faut distinguer ceux liés aux marchandises ou biens licites de ceux portant sur des produits illicites. S’attaquer aux premiers sans offrir de réelles alternatives aux populations, notamment frontalières, qui en vivent c’est prendre le risque de rompre un équilibre avec des conséquences imprévisibles sur la stabilité des pays. Les seconds ne sont pas pour le moins difficiles à combattre car ils impliquent souvent des complicités dans les structures des pays concernés et que toute lutte est difficile en l’absence d’une réelle volonté politique. Tout ça pour dire que peu importe le nombre des troupes, la réponse militaire à elle seule ne pourra lutter efficacement contre l’extrémisme violent et les trafics au Sahel en l’absence de réformes structurelles pour prendre en charge les causes profondes de ces phénomènes.
Sahelien.com : Sans l’Algérie, qui est puissance militaire régionale, cette force sera-t-elle efficace ?
Ibrahim Maïga : Bien qu’elle soit une puissance régionale en raison de ses capacités logistiques, matérielles et financières, la doctrine militaire algérienne ne permet pas à ce pays d’envisager un engagement militaire de l’Algérie au-delà de ses frontières nationales. Ce blocage congénital est l’une des raisons de l’échec du CEMOC et plus largement l’une des limites à la capacité d’influence algérienne.
Sahelien.com : Que pensez du fait ce soit le Mali, considéré comme le ventre mou de la lutte contre le terrorisme dans le sahel, qui prend la tête de la force du G 5 ?
Ibrahim Maïga : Le Mali est considéré comme l’épicentre des enjeux sécuritaires sahéliens. À ce titre son implication dans le dispositif régional est primordiale pour contribuer à l’amélioration de la situation dans la région. Autant le Mali a été considéré dans un passé assez récent comme le ventre mou du Sahel, autant une montée en puissance de ce pays est nécessaire pour freiner la propagation de l’insécurité dans les pays voisins. Il faut mentionner le fait que le pays assure en ce moment la présidence du G5 Sahel.
Sahelien.com : Le Tchad est engagé contre Boko Haram et il l’est aussi dans le G5. Peut-on parler d’un engagement de trop, quand on sait que le pays connaît actuellement des difficultés économiques ?
Ibrahim Maïga : Il faut peut-être poser la question différemment. Est-ce que le Tchad peut objectivement rester à l’écart de la situation dans l’espace du G5 Sahel ? Si la réponse est non, alors il convient plutôt de saluer l’engagement des États concernés au premier chef par la crise dans la région. Maintenant, il est possible de s’interroger sur la capacité des États avec des ressources limitées à faire face à un ensemble de défis. C’est tout l’intérêt d’un cadre de coopération et de mutualisation comme se propose de le faire le G5 Sahel. Il faut aussi espérer que les promesses faites par les partenaires internationaux pour appuyer les États de la région soient suivies d’effet. Mais il est bon que les principaux concernés soient à l’avant-garde des problèmes qui touchent en premier lieu leurs populations.
Sahelien.com : Quelle autre stratégie faut-il mettre en place pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel ?
Ibrahim Maïga : On ne cessera jamais de le répéter mais l’approche sécuritaire quand bien même elle serait utile demeure insuffisante. Il n’est pas possible qu’elle résolve à elle seule tous les défis qui se posent aux différents gouvernements qui sont en réalité des défis structurels liés à la façon dont l’État gère ses territoires et les populations qui les habitent. Tout au plus, elle permettrait de contenir ou dans le meilleur des cas d’affaiblir ces groupes. Donc, la seule façon d’arriver à bout de ce phénomène c’est de l’appréhender dans sa complexité. C’est-à-dire travailler sur les causes et non seulement les conséquences.