Les Anglais, c’est connu, sont des insulaires qui se méfient des continentaux comme de la peste. Tout au long de l’histoire, ils ont eu des relations à géométrie variable avec leurs voisins, notamment les Français, contre lesquels ils ont livré de longues et farouches guerres dont la fameuse « Guerre de Cent Ans ». De ces péripéties tumultueuses remontent leur singularité et surtout leur enclin à se replier sur eux-mêmes. Que ce soit au premier degré ou au second, c’est-à-dire sous le ton de l’humour, les Français n’ont jamais raté l’occasion de pointer la perfidie des Anglais qu’ils ont affublés d’un sobriquet peu flatteur : « la perfide Albion ». Et pour beaucoup de Français, la sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne (Brexit) est une réminiscence atavique de ce mauvais caractère des Anglais, toujours prêts à se barricader entre « quatre murs ». Ironie du sort, c’est à un Français que revient la lourde responsabilité de sceller ce divorce et, vous pouvez être sûr, Michel Barnier ne portera pas de gants de velours face à ses interlocuteurs britanniques. D’ailleurs, il paraît que le « frenchie » a une réputation sulfureuse et, de ce fait, fait énormément peur aux Britanniques en mal de leadership, la Première ministre Theresa May ayant été très sérieusement affaiblie par les dernières élections législatives anticipées. « Perfide Albion », ce nom d’oiseau – c’en est un – renvoie à la fois à la géographie de l’Angleterre et à la mythologie grecque. Cette petite contorsion intellectuelle a juste pour but de rappeler que, accusée hier de perfidie, l’Angleterre d’aujourd’hui peut légitimement crier aux loups et proclamer, urbi et orbi, qu’elle est, à son tour, victime de perfidie. Sa relative prospérité économique, son mode de vie, son rayonnement culturel international ainsi que son atlantisme assumé dérangent certaines idéologies qui ont prospéré soit sur son propre sol, soit sur le continent, ou ailleurs à travers le monde. Oui, il n’y a pas si loin, le monde était l’ancien empire britannique. Pour se payer la tête de leurs voisins Français, les Anglais eux-mêmes ne disaient-ils pas que « le soleil ne se couche jamais sur l’empire britannique ». Suivez le fil d’Ariane ! Aujourd’hui, les Anglais pourraient légitimement évoquer la terrible loi des séries pour qualifier les malheurs qui s’abattent sur leurs îles, à commencer par l’acharnement avec lequel des terroristes islamistes endeuillent leur nation. Si vous avez tenu le compte, rien qu’en quatre mois, de mars à juin 2017, le pays a été ensanglanté à trois reprises. Et, à chaque fois, les victimes – morts et blessés – sont nombreuses. Ces derniers temps, la nation britannique est régulièrement plongée dans la peur, la douleur, la colère, la détresse… mais elle fait aussi montre d’une surprenante détermination à faire face à l’adversité. La semaine dernière, je vous parlais du méga-concert d’Ariana Grande dont le message était clair : le terrorisme n’aura jamais raison de la nation anglaise. A peine les derniers décibels dissipés dans les oreilles des mancuniens, le jeudi dernier, Londres était la proie, cette fois-ci, des éléments, un spectaculaire incendie ayant ravagé Grenfell Tower, une tour de 27 étages construite en 1974 à l’ouest de Londres. Les images diffusées par les médias et sur les réseaux sociaux étaient d’une incroyable violence et, par moments, on aurait dit un film hollywoodien sorti de l’imagination d’un réalisateur adepte de Néron. Et la carcasse de dinosaure de ce monstre de béton enveloppé dans un manteau de fumée, résistant aux flammes, avait quelque chose de surréaliste.
L’impuissance de l’armée de pompiers à maîtriser le démon né des entrailles Héphaïstos (Dieu du feu), l’immense fragilité des locataires de l’immeuble et la fatalité qui se lisait sur les visages des londoniens nous rappellent notre condition humaine face aux éléments lorsqu’ils se déchaînent. Le maire de Londres, Sadiq Khan, et ses équipes mettront sûrement plusieurs jours voire des semaines à circonscrire totalement le foyer, à établir un bilan précis et à imaginer des stratégies pour éviter qu’une telle catastrophe ne se reproduise. Mais d’ores et déjà, on peut se réjouir – a-t-on vraiment le choix ?- que le bilan provisoire de ce sinistre oscille entre 12 et 17 morts. On aurait pu penser au pire – même s’il n’est pas exclu – au regard de l’ampleur du brasier et surtout de l’heure matinale de sa survenue (aux environs de 1h15 du matin).
Pour l’heure, place à la polémique, le 10 Downing street, la Police et la mairie appelant à une enquête rapide pour situer les responsabilités. Ce que l’on sait déjà, c’est que « … des documents en ligne datant d’un an environ montrent qu’un collectif de résidents s’était plaint à plusieurs reprises de l’état de l’immeuble et des risques d’incendie potentiels, de nombreux détritus s’étant accumulés lors des travaux successifs ». Theresa May, la pauvre, n’avait vraiment pas besoin de cet énième coup du sort qui l’affaiblit davantage face au travailliste Jeremy Corbyn qui, sans boire bruyamment son petit lait, savoure cyniquement l’infortune de sa rivale.