Au Mali, l'opposition et une partie de la société civile se mobilisent contre le projet de révision constitutionnelle, qui sera soumis à référendum le 9 juillet. À la veille d'une nouvelle manifestation à Bamako, ce samedi, l'opposant Tiébilié Dramé, le président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), explique pourquoi il réclame le retrait "pur et simple" de ce projet.
Jeune Afrique : Que reprochez-vous au projet de révision constitutionnelle souhaité par Ibrahim Boubacar Keïta ?
Tiébilé Dramé : Il est issu d’un processus unilatéral, sans concertation, et sans dialogue avec les forces vives du pays. La Constitution qu’on veut réformer est le fruit d’un consensus républicain élaboré en 1991, pendant la conférence nationale. La démocratie malienne est née dans des circonstances particulières. Il y a eu du sang versé dans ce pays. Cette Constitution, encore en vigueur, a été écrite avec le sang des martyrs. On ne peut pas la changer à la hussarde de façon si cavalière. Quand on veut réformer une telle Constitution, un minimum de dialogue préalable est nécessaire.
Cela n’a pas été fait ?
Non, pas du tout ! Ce projet de Constitution a été préparé en catimini, puis adopté en Conseil des ministres et envoyé à l’Assemblée nationale. Les initiateurs de cette révision constitutionnelle auraient dû prendre le temps de s’asseoir et d’en parler avec les forces vives du pays.
Ce projet de nouvelle Constitution avait-il été évoqué lors de la récente conférence d’entente nationale, qui s’est clôturée début avril ?
Non. Mais en tant que responsables politiques raisonnables, nous pensions que cette conférence d’entente nationale aurait pu être l’occasion d’aborder une question aussi importante. Nous avions d’ailleurs fait cette suggestion lorsque nous avions été sollicités.
Avec ce projet de révision constitutionnelle, le Président nommera, nommera, nommera…
Pourquoi affirmez-vous que ce projet de révision constitutionnelle va renforcer les pouvoirs du président de la République ?
Ce texte codifie les dérives autoritaires observées ces dernières années et renforce les pouvoirs du président de la République. Si ce projet est adopté, celui-ci nommera et révoquera le Premier ministre comme il veut, là où même le roi du Maroc tient compte du vote des électeurs. Le président de la République désignera aussi le président de la Cour constitutionnelle – en plus d’en nommer trois membres – alors qu’il était jusqu’à présent élu par ses pairs. Le président de la République désignera également le tiers des membres du Sénat. En bref, le Président nommera, nommera, nommera… L’hyper-présidentialisation et la personnalisation du pouvoir à outrance : voilà ce qu’on veut codifier à travers ce projet de révision constitutionnelle.
S’il est adopté, pensez-vous que ce projet aura une influence sur la présidentielle de 2018 ?
Si les pouvoirs du président sont renforcés comme cela, pourquoi pas ? N’oublions pas que le président de la Cour constitutionnelle proclame les résultats de l’élection présidentielle et que la Cour constitutionnelle tranche les contentieux électoraux.
Ne faut-il pas, comme l’affirme le pouvoir exécutif, moderniser les institutions de la République ?
L’exécutif n’a pas fait ce projet pour moderniser nos institutions mais pour renforcer les pouvoirs du Président. Quant à nous, nous ne disons pas que la Constitution ne doit pas être révisée. Elle n’est pas le Coran, ni la Bible. Elle peut donc être révisée, mais elle doit l’être en prenant le temps d’instaurer un dialogue, de discuter avec les parties prenantes, et de procéder aux concertations nécessaires avant de mettre au point un projet de révision.
Nous n’en sommes pas encore au référendum, ni à une campagne en faveur du « non ».
Comment comptez-vous mobiliser les Maliens en faveur du « non » au référendum du 9 juillet ?
Nous n’en sommes pas encore au référendum, ni à une campagne en faveur du « non ». Nous réclamons le retrait pur et simple de ce projet qui divise le pays au moment où il a besoin d’être rassemblé. Nous avons créé une plateforme qui s’appelle « An tè, A Bana » (« Nous refusons, un point c’est tout », en bambara). Une centaine d’associations, une trentaine de partis politiques et la confédération syndicale des travailleurs du Mali y ont adhéré, tout comme le syndicat libre de la magistrature (Sylima). Des artistes également, dont des jeunes rappeurs et le chroniqueur Ras Bath, qui est un des porte-paroles de ce mouvement d’opposition. Les bases de notre plateforme s’élargissent d’heure en heure.
Combien de personnes espérez-vous à la manifestation prévue ce samedi à Bamako ?
Nous verrons. Nous mobilisons le plus largement possible. Nous invitons tous les Bamakois à sortir, ainsi que les Maliens dans le reste du pays et ceux de la diaspora. Il y a un mouvement important qui se met en place. Le président de la République devrait en tenir compte et retirer ce projet.
Dans les conditions sécuritaires actuelles, vouloir faire un référendum est une fuite en avant inqualifiable
Vous affirmez aussi qu’il est impossible d’organiser un tel référendum sur l’ensemble du territoire national dans les conditions sécuritaires actuelles au Mali…
La région de Kidal est en proie à une guerre civile inter-tribale. L’autorité de l’État ne s’y exerce pas. L’insécurité est quasi-généralisée dans les autres régions du Nord et du Centre. Au moins 500 personnes ont été tuées au Mali depuis le début de l’année. Il y a également une dizaine de personnes détenues en otage. Dans ces conditions, est-il vraiment sage de vouloir faire un référendum, en sachant que dans de nombreuses zones du pays, il ne sera pas possible de battre campagne ni d’organiser le scrutin ? C’est une fuite en avant inqualifiable.
Si ce référendum a lieu, en reconnaîtrez-vous quand même les résultats ?
Je n’envisage pas la tenue de ce référendum. Je ne crois pas que le Président va persister dans l’erreur de vouloir l’organiser. Il ne peut pas rester sourd aux appels venant de tout le pays et de la diaspora, l’invitant à adopter la seule décision qu’on attend de lui : retirer ce projet. Je rappelle qu’il y a eu un précédent similaire dans l’histoire de notre pays. En 2001, Alpha Oumar Konaré avait aussi voulu changer la Constitution. L’Assemblée nationale avait voté la loi et la campagne référendaire avait commencé, mais le président Konaré, réalisant qu’il n’y avait pas de consensus autour de ce projet, avait finalement adressé un message à la nation pour arrêter le processus....