La nouvelle est tombée, la promesse faite dans le cadre de l’adoption de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, communément appelé Accord d’Alger, est en marche. Le gouvernement malien a demandé au parlement de statuer sur le projet de révision de la constitution du 25 février 1992.
La procédure est lancée, avec en Chef d’Orchestre Maitre Kassoum Tapo, avocat, ancien bâtonnier, ancien député, conseiller du président de la République, et surtout, premier président de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante). Il a une maîtrise parfaite de l’appareil d’Etat, il a le verbe, la capacité d’argumentaire et de persuasion hérité de son métier. Qui mieux que lui donc, du haut de son tout nouveau titre de Ministre des droits de l’Homme et de la réforme de l’Etat, pour mener cette bataille ?
Comme d’habitude, j’épluche minutieusement les sites d’information et les réseaux sociaux qui sont devenus un vrai pouls de la société civile malienne. Mes pensées prennent une tournure profonde, et je sens monter dans ma gorge un goût amer qui n’est certainement pas dû uniquement au jeûne du Ramadan. Je lis toutes ces réactions, tous ces commentaires, avec d’ores et déjà des positions fermes pour le « NON » au prochain référendum qui devra définitivement statuer sur le sort de l’éventuelle future nouvelle constitution.
Alors que j’entreprends la lecture du document d’une cinquantaine de pages qu’un ami m’avait adressé par courriel, la fraicheur matinale me rappelle paradoxalement la chaleur étouffante des mois de juin au Mali
Nouvelle constitution, nouveau garant d’un Mali harmonieux ?
Je me sens presque soulagée. Je viens de lire les premières lignes. L’on y parle du « principe intangible de l’intégrité du territoire national et de la souveraineté nationale ». L’on y parle de la « détermination à maintenir et consolider l’unité nationale » ... Certains passages m’enchantent, je poursuis ma lecture, plutôt confiante. A la page 44, je lis les articles 135 et 136, et je fais une pause. Je relis, je réfléchis, je scrute et j’analyse. De quoi parle-t-on ? De décentralisation ou d’autonomisation ? Il est écrit que « les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus... ». Librement. Comment est-ce que cela se traduira dans la réalité ? Jusqu’où ira cette « liberté » de gestion ?
Les possibles réserves de pétrole, de gaz, l’exploitation des gisements d’or, tout ceci sera-t-il administré « librement » par les collectivités territoriales, comme pourrait le laisser présager l’article 71 du projet de révision ?
Cette « liberté » mènera-t-elle machinalement à la réalisation du rêve d’Azawad tant caressé par certains, durant toutes ces années ? Serions-nous, sans crier gare, dans le sillage du Sud-Soudan ? En 2003, dans le cadre de mes activités associatives, j’effectuais des collectes de fonds pour venir en aide aux réfugiés du Darfour. Ce mot qui a longtemps plané dans les médias, évoquant cette région du monde en proie à une crise immonde, a presque disparu des esprits aujourd’hui.
Après 21 ans de guerre et de crise, opposant une rébellion séparatiste au Sud et l’Etat central de Khartoum, un accord de paix fut signé au Kenya entre le gouvernement et la SPLA (Armée populaire de libération du Soudan) en 2005. Quatre points majeurs étaient retenus, parmi lesquels, la question de l’autonomie du Sud-Soudan et le partage du pouvoir et des ressources. Six ans plus tard, en 2011, un référendum est organisé et l’indépendance du Sud Soudan est proclamée ... Quel lien avec le Mali, me direz- vous ? Peut-être aucun.
Les journaux écrivent que le projet de constitution prend en compte les clauses de l’Accord d’Alger, valorise les acquis des précédentes tentatives de révision constitutionnelle et corrige les insuffisances de la constitution du 25 février 1992. Le chef d’orchestre martèle que la seule justification de cette révision est le confort de notre démocratie, une exigence de la situation politique ... Pourtant, la constitution de 1992 ne nous a guère empêché de vivre le cauchemar de 2012. La réviser en 2017, dans les conditions engagées, garantira-t-il un
Mali harmonieux ?
A l’heure où la présence des institutions est compromise sur une part importante du territoire national, à l’heure où même le président de la République ne peut se rendre dans la vile de Kidal ; à l’heure où la menace de guerre civile gronde, où des affrontements inter-ethniques surviennent sporadiquement dans certaines régions du pays ; à l’heure où les trafics en tous genres perdurent ; où des milliers d’enfants ne vont pas à l’école ; à l’heure où des millions de maliens sont déplacés ou réfugiés, désoeuvrés ; à l’heure où nos soldats meurent au front ; à l’heure où le Mali est classé au plus bas de l’échelle des pays les moins développé au monde, à la 176ème place sur 187 ; à l’heure où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté ... réviser la constitution, engloutir des millions de Francs CFA dans l’organisation d’un référendum, soulever un débat risquant de mettre le pays à feu et à sang, sans dialogue patient et inclusif, précipitamment, pour seulement «le confort de notre démocratie», est dangereux, nauséabond et suspect.
Que pense Koumba, malienne lambda, sans titres et sans diplômes ?
Tous ces arguments se bousculent dans ma tête, et je me mets à songer à mon dernier voyage dans la région de Mopti, ses paysages, la douceur de l’atmosphère alors que la pinasse sur laquelle j’avais embarqué glissait langoureusement sur le flanc du Djoliba, au son des conversations animées au fur et à mesure que le soleil montait dans le ciel ...
Et elle, qui était là, assise près de moi, le regard franc, le rire limpide laissant entrevoir une rangée de dents blanches qu’elle récurait frénétiquement avec un cure-dent taillé dans un de ces arbres àl’écorce savoureuse. Koumba semblait avoir la quarantaine, elle disait n’être pas allée bien longtemps à l’école, et avait déjà presque tout oublié de ce qu’elle y avait appris. Elle avait dû l’abandonner pour se marier. A présent, mère de quatre enfants, elle empruntait régulièrement cette pinasse pour se rendre au marché de Mopti.
Son panier en osier posé à ses pieds contenait sa marchandise : des bijoux en perles confectionnés par ses soins, à la lueur de la lampe à pétrole, alors qu’elle avait terminé ses corvées de la journée. Elle espérait tirer un bon prix de ses créations, et plissait des yeux de malice lorsque je lui expliquais qu’elle pourrait créer sa propre marque « KOUMBIS, Hand Made In Mali », et que les rares touristes qui osaient encore s’aventurer par ici en raffoleraient.
Koumba n’avait aucune idée de ce qu’était le Mali dans ses frontières. Ses repères à elle, c’était son village lové au bord de ce fleuve, ces terres qu’elle traversait quotidiennement à la recherche de sa pitance ...
Elle ignore certainement qu’il existe ce document appelé « Constitution », censé régir sa vie, censé lui assurer paix,sécurité, accès à l’eau, à l’électricité, à la santé, manger à sa faim, garantir l’éducation de ses enfants. Koumba ignore peut-être qu’une bataille était engagée et que, dans quelques jours, elle devrait se rendre aux urnes pour dire si OUI ou NON, elle acceptait que des hommes assis dans une salle climatisée, ignorant tout de ses soucis quotidiens, pouvaient continuer à profiter de leurs privilèges, et prétendre s’occuper de son sort.
Alors que je tournais les pages de ce projet de constitution, et que je percevais l’indignation de ces millions de jeunes, à propos de la volonté de création d’un Sénat dont le poids financier ne ferait que peser davantage sur l’échine du contribuable, de la tentative d’augmentation du pouvoir du président de la République, et tous ces autres points sur lesquels l’ombre du doute plane, moi, Hawa, je me demandais ce que la belle Koumba à la peau d’ébène, pouvait bien penser de tout ceci.
N’est-ce pas de cela que nous devrions tirer la substantifique moëlle de tout ce remue-ménage ?
Des interrogations légitimes, un pari loin d’être gagné ...
L’enjeu est de taille. Je passe en revue ces situations qui m’inquiètent, comme pour tempérer ma fougue, monenvie de tout faire briller, de faire germer cet espoir tant convoité ... La jeunesse malienne l’a compris. Elle n’a sûrement pas tous les éléments en main, mais son instinct de survie l’a fait se dresser immédiatement. Les mouvements spontanés organisés, réprimés, n’ont de cesse de prendre de l’ampleur.
Le chef d’orchestre a bien compris que le pari est loin d’être gagné. Tel dans les tribunaux qu’il a tant pratiqués, il s’affirme en défenseur du projet.
Ici, j’écris ces quelques lignes, pour dire NON à ce projet de révision de la constitution du Mali, dans sa
forme actuelle, dans la situation actuelle du pays, dans le laps de temps imparti.
Je sais que dire OUI ou NON ne changera pas la vie de ces populations entassées dans des bidonvilles.
Dire OUI ou NON ne rallumera guère la lueur de l’espoir dans le regard de ce jeune diplômé, prêt à tout pour prendre le sinueux chemin du ventre sombre de la Méditerranée, à la recherche d’une meilleure destinée.
Je me lève. J’ai chaud, mon cerveau bouillonne. Je jette dans la corbeille de papier le document dont je viens d’achever la lecture. Lasse, au fond de moi, je sais déjà qu’il sera la source du sang versé inutilement de l’espoir d’une mère.
Et ça continue.
OUI ou NON. Est-ce une question ?
OUI ou NON à la vie ? OUI ou NON à la dignité ? OUI ou NON à l’espoir ? OUI ou NON à nos valeurs ? OUI
ou NON au vivre-ensemble ?
OUI ou NON dans l’urgence. Cette urgence, suspecte. Cette urgence, une trappe ...
Paris, le 13 juin 2017
Tribune de Hawa Dème