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Moussa Mara à propos de la révision constitutionnelle :« Il faut réengager le processus de consultation pour prendre en compte les avis de ceux qui sont opposés »
Publié le samedi 24 juin 2017  |  Le Prétoire
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© aBamako.com par mouhamar
Cour Suprême: Moussa MARA a rendu visite à Nouhoum TAPILY
Bamako, le 10 juin 2014. Cour Suprême. Le premier ministre malien Moussa MARA, Chef du gouvernement a rendu une visite de courtoisie et de fraternité à Nouhoum Tapily, président de la Cour Suprême.
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Le projet de révision constitutionnelle, adopté par les députés le 3 juin dernier, soulève un tollé tant au sein de la classe politique qu’au sein de la société civile malienne. Sur la question, nous avons tendu notre micro à l’ex-Premier Moussa Mara, non moins président du parti Yèlèma. Dans cette interview exclusive, il nous donne sa vision sur cette réforme et appelle les Maliens à dépassionner le débat. Moussa Mara invite par ailleurs le président de la République à réengager la consultation.

Le Prétoire: Le projet de texte portant révision constitutionnelle a été adopté par les députés le 3 juin dernier. Est-ce à dire que la constitution de 1992 comporte des imperfections ?

Moussa Mara: Je pense que le fait que la constitution de 1992 comporte des imperfections est une réalité considérée par l’essentiel de nos compatriotes. Vous n’êtes pas sans savoir que cette constitution date de 25 ans ; elle n’a jamais été retouchée. Elle a fait l’objet de tentative par deux fois, en 2001 sous Alpha Oumar Konaré et en 2012, où le référendum a été stoppé par le coup d’Etat de 2012, sous Amadou Toumani Touré. Donc, par 2 fois déjà, cette constitution a fait l’objet de révision. Moi-même je me rappelle en tant que Premier ministre, dans ma déclaration de politique générale, j’avais annoncé la nécessité d’une révision de la constitution sous le mandat du Président IBK.

Donc, que cette constitution contienne des insuffisances qui aient nécessité sa révision est quelque chose accepté par la population malienne. Maintenant, il y a une nouvelle donne qui a rendu nécessaire la révision de la constitution. C’est l’accord pour la paix ; la crise d’une manière générale, qui a d’ailleurs relevé quelques insuffisances de la constitution de 1992. Ensuite, à la suite de l’accord de paix issu du processus d’Alger, où certains éléments de l’accord manifestement rendent nécessaire de revoir la constitution. C’est pour toutes ces raisons que le processus actuel a été engagé par le pouvoir.

Quelle est votre compréhension globale sur ce projet ?

Justement, en rapport avec l’Histoire, le projet de révision comporte un certain nombre d’aspects. De manière générale, ces aspects ont été retenus comme étant incontournables depuis 2001. Les changements nécessaires depuis 2001 sont dans le changement de révision de 2012 et ont été donc pris en compte par cette révision. Il y a par exemple la création de la Cour des comptes. La Cour des comptes est une exigence de l’Uemoa (l’Union économique et monétaire ouest-africaine), dont l’un des textes rendent obligatoire pour chaque pays membre de l’Union de la création d’une Cour des comptes. Au Mali, on a une section des comptes qui fait partie de la Cour suprême.

Et la Cour suprême étant une institution, si l’on doit reformer une institution, on doit réformer la constitution. Je pense que la création de la Cour des comptes est une illustration claire des révisions indispensables déjà retenue en 2001 et 2012. Il y a la création du Sénat qui, bien que prévue par l’Accord de paix, avait déjà été envisagée par le Mali en 2001, sous Alpha Oumar Konaré. Dans la révision engagée sous ATT, il y avait déjà la création du Sénat que beaucoup de gens ne savent pas. Maintenant, ça a un peu évolué, compte tenu de la signature de l’Accord de paix. Nous avons aussi un certain nombre de règles concernant la candidature à l’élection présidentielle.

Par rapport au délai du processus de vote dans le cas où le président de la République sera empêché. Vous vous rappeler, en 2012 avec la vacance de pouvoir, on a les fameux 40 jours pendant lesquels le président par intérim devra organiser les élections. Tout le monde savait que ce délai est très court, alors que le projet actuel augmente cela à 75 jours voir plus en fonction des situations. Il y a aussi la nationalité d’origine exclusive du candidat à l’élection présidentielle envisagée depuis 2012, rendue nécessaire par la pratique institutionnelle et actée par le passé. Ensuite, on a le second corps de changement qui est lié à l’Accord de paix. On a le Sénat, surtout un certain nombre de sénateurs nommés par le Président de la République.

En 2001 et en 2012, on avait la création du sénat ou tous les sénateurs seront élus, comme c’est le cas dans certains sénats dans d’autres pays. Cette fois-ci, on a le Sénat, mais le président a le pouvoir de désigner le tiers des membres, ce qui n’était pas le cas dans les autres tentatives de révision. Cela s’explique par l’Accord de paix. Cet accord de paix nous demande de créer le Sénat. Vous savez, la vie politique a des exigences que beaucoup de personnes ne sont pas en mesure de satisfaire. Mais, ces personnes ne sont pas pourtant moins légitimes.

Donc, il s’agissait de faire en sorte que le président puisse identifier des personnalités, autorités religieuses, traditionnelles voire même compétences extérieures à la vie politique, mais compétence réelle pouvant apporter une amélioration de notre fonctionnement administrative et institutionnelle. Que le Président de la République puisse les sélectionner et les nommer directement. Ça c’est clairement une interprétation de l’application de l’Accord pour la paix. Mais, l’accord ne dit pas un tiers, on pouvait faire 10% comme 40%. Dans certains pays comme la Côte d’Ivoire, où le Sénat a été récemment mis en place, nous avons la même disposition que ce pays. Il y a d’autres pays qui ont leur schéma pour élire ou désigner leur Sénat.

Chacun essaye tant bien que mal de s’inspirer de son histoire, ses réalités et de ses préférences. Donc, on a ce second corps de révision de la constitution qui est un peu issu de l’Accord de paix. Maintenant, en plus de ces deux chapitres, on a un troisième chapitre qui est plus la compréhension de ceux qui ont rédigé le projet de constitution. Cette compréhension, c’est un peu renforcer le pouvoir présidentiel. Il faut quand même le dire même si c’est plus théorie que pratique car dans les faits, le président a déjà une bonne partie de ces pouvoirs. Mais, renforcer ou acter de manière formelle un certain nombre d’attributions du président, ce qui manifeste clairement le renforcement du pouvoir présidentiel.

C’est là que nous avons la désignation du président de la Cour constitutionnelle par le président ; ce n’était dans aucune de nos modifications précédentes. Donc, il y a un certain nombre de changements qui font d’ailleurs partie de ce qui est contesté aujourd’hui en grande partie dans le projet de révision. Ce sont ces chapitres qui ont entraîné un certain nombre de changements dans la constitution de 1992 et qui fait l’objet de cette loi à soumettre au référendum.

La création du Sénat est l’une des réformes majeures attendues de ce processus. Est-ce un effet de mode ou une nécessité démocratique. Sinon, en quoi le bicaméralisme devrait-il contribuer au renforcement du travail législatif ?

Vous savez, on dit dans nos pays de manière générale : un homme un esprit, deux hommes deux esprits. Donc, si vous partez de ce principe, vous dites le parlement, qui est constitué de députés, regarde un texte, se prononce sur un texte ; sil y a d’autre relecture, notamment par une seconde chambre du parlement, ça peut emmener un mieux. Donc, on part de cette idée théorie que plus il y a de personnes qui regardent un texte, mieux c’est. Cela explique un peu la seconde chambre.

Aujourd’hui, de par le monde, les pays qui ont le Sénat sont les plus nombreux que ceux qui n’en n’ont pas. En Afrique, il y a plus de pays avec des sénats. Malgré que certains le suppriment, d’autres en créent. Le second élément c’est que la composition du Sénat est un peu différente de celle de l’Assemblée nationale. A l’Assemblée nationale, ce sont des populations qui élisent des représentants. Au Sénat, généralement, ce sont des territoires qui élisent leurs représentants.

Ça peut être aussi des leaders religieux, traditionnelles, des personnes qui de par leurs expériences et parcours peuvent emmener un mieux à la vie administrative et politique du pays. Donc, il y a une plus grande flexibilité pour choisir proportionnellement des personnes dont la compétence technique est souvent supérieure à celle des députés. Pour être député, on n’exige pas de compétence technique. Pour la petite histoire, à l’Assemblée nationale actuelle, sur 147 députés, on a 100 députés qui n’ont pas le baccalauréat. Donc, il y a la possibilité de faire en sorte que les insuffisances théoriques supposées des députés puissent être un peu corrigées par une sélection un peu plus directive des sénateurs. Donc, cela explique un peu le bicaméralisme.

Le troisième élément qui est aussi une réalité, c’est que nous devons avoir des institutions représentatives, il se trouve que la vie politique a ses aspérités. Souvent on gagne les élections non pas parce qu’on est légitime, mais parce qu’on a plus d’argent. Donc, les gens peuvent se retrouver député sans forcément être représentatifs. Surtout que l’élection des députés, ce sont des élections de liste. Nous avons une circonscription déterminée qui élit sept députés, ça peut être deux ou trois députés qui tirent les 4 autres. Donc, la population ne se reconnait pas en ces quatre autres, donc pas représentatifs. On se retrouve donc avec des députés qui ne sont pas représentatifs.

Pour preuve, les députés ont voté le projet de loi portant révision de la constitution, les députés sont largement représentatifs du peuple. Mais aujourd’hui, est-ce que ce texte voté par les députés est supporté par l’ensemble des Maliens. Donc, nous pouvons avoir des députés qui ne nous représentent. A côté des députés, si on peut avoir d’autres représentants qui sont élus de manière à ce que les populations se sentent un peu plus représentées de par leur histoire, leur région, leur affluence, d’autres éléments qui ne sont pas la politique, ça peut être quelque chose qui renforce la représentativité de nos institutions. C’est pour toutes ces raisons que souvent on crée une seconde chambre.

En tant que citoyen et homme politique malien, qu’elle est votre position par rapport à cette réforme ?

La réforme de manière générale, c’est plus difficile. Par rapport au sénat en particulier, moi personnellement j’ai évolué. Car en 2012, j’ai appelé à voter non à la constitution que le président ATT avait proposée. Et pour justement à cause du Sénat. Car je pensais que ce n’était pas nécessaire, car coûteux, etc. Mais avec la crise, avec les réflexions que nous avons tous initiées à un moment où un autre, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de personnes ne se retrouvent pas dans nos institutions classiques.

Mais, si on peut faire en sorte de créer une institution supplémentaire à la place du Haut conseil des collectivités, il faudra savoir que le Sénat c’est juste un renforcement de l’institution.Car cela peut faire en sorte que des leaders se retrouvent dans les institutions et n’auront pas d’argument pour prendre des armes, pour d’autres aventures afin de trouver une place au sein de nos institutions. C’est donc le pragmatisme. Et aussi la volonté d’essayer autre chose. C’est ce qui m’a amené à dire d’accepter le Sénat, de le pratiquer et nous verrons cela à l’œuvre.

Cette réforme constitutionnelle a associé la classe politique dont mon parti. Elle n’a pas associé suffisamment la société civile, ça c’est son insuffisance majeure, c’est une réalité. Mais la classe politique ne peut pas, ni de la majorité ni de l’opposition, dire qu’elle n’a pas été associée. Une illustration simplement de cela, c’est qu’au niveau de la majorité présidentielle dont le parti Yèlèma, mon parti fait partie, nous avions tenu des assises de deux jours sur le projet de la révision constitutionnelle et avions produit 80 amendements. Sur les 80 amendements, 75 ont été retenus, c’est-à-dire l’essentiel de ce que nous voulons comme corrections a été pris en compte. L’opposition a proposé 43 amendements à l’Assemblée nationale, dont 37 ont été retenus. Donc, il sera difficile à la classe politique tant de la majorité que de l’opposition de dire qu’elle n’a pas été associée. Pour la société civile, c’est autre chose.

Donc, dès lors que nous avons été associés, notre inclinaison naturelle c’était de dire oui votons ce projet. Il faut être honnête et responsable quand on est politique. Maintenant, nous avons vu à partir du vote de l’Assemblée nationale, le 3 juin dernier, les deux semaines précédentes qu’une bonne partie des Maliens se sentaient exclus : la société civile, d’autres acteurs, la diaspora. Donc, il y a eu une fronde qui a apparu. Quand on écoute, on s’est rendu compte qu’il y a des éléments objectifs, qui sont contestables, comme j’ai eu à l’écrire, à le dire. Et le fait que la société civile n’a pas été suffisamment associée et qui a été reconnue par le secrétaire général des Nations-Unies.

Car dans son rapport de la semaine dernière sur la situation au Mali pour dire que le projet de révision constitutionnelle peut amener le pays vers la paix, mais il faudra qu’il soit inclusif. Donc, devant cette situation, bien sûr que nous avons participé au processus. Nous avons souhaité que le gouvernement reporte le référendum prévu pour le 9 juillet. Réengage un processus de consultation pour prendre en compte les avis de ceux qui sont opposés pour que ce projet soit consensuel. Donc, c’est cela ma position, qui est de dire : nous avons bien travaillé, le projet n’est pas mal, mais le projet a encore des insuffisances et le processus n’est pas encore parfait, donc faite attention et revenons encore en arrière.

Vous proposez d’organiser le référendum le 26 novembre 2017 en même temps que les élections régionales et du District. N’est-ce pas trop pour une journée électorale ?

Vous savez, le 9 juillet était prévu pour la tenue des élections régionales et du district et le référendum. Le gouvernement, face à un certain nombre de dispositions, a réuni la classe politique, il y a de cela un mois, pour dire que les élections régionales et du district seront reportées pour le 26 novembre prochain, mais le référendum, on le maintient.

Je me souviens même que j’avais dit au ministre de l’Administration que le 9 juillet me semblait être trop prêt. Car le texte n’était pas voté par l’Assemblée. Et après le vote, on allait avoir deux ou trois semaines pour l’expliquer aux Maliens, ce délai était trop juste. Mais le fait de faire le référendum en même temps que les élections à des avantages. Le premier avantage, c’est en termes de coût et cela fait des économies. Le deuxième avantage, c’est le taux de participation.

La constitution, généralement, est un sujet qui n’intéresse pas, qui n’est pas connu des Maliens, y compris les élites. Et organiser une élection sur ce sujet, ça peut désintéresser les gens, surtout en période d’hivernage ; ça peut être compliqué. Par contre, organiser le référendum le même jour que les élections, au moins ceux qui votent pour les élections voteront pour le référendum. Donc, le côté positif, c’est qu’on fait des économies et en même temps on peut augmenter le taux de participation. En plus, on donne le temps pour s’écouter, discuter et à s’entendre sur une mouture qui sera plus consensuelle. je pense que le pays en gagnera.

Quel message avez-vous à lancer à l’endroit des Maliens ?

C’est juste demander aux uns et autres de faire preuve de moins de passion. Nous sommes un pays où on est assez passionné. Fondamentalement, c’est positif, parce que les gens sont au moins intéressés par les questions d’intérêt national. Mais faire moins de passion pour écouter les arguments contraires. On dit généralement : ma vérité est votre vérité, la vérité doit être au milieu de nous deux. Personne n’a la vérité absolue et toute œuvre humaine n’est parfaite comme par définition.

Les jeunes, les organisations de la société civile, des jeunes, c’est bien d’être impliqués sur les réseaux sociaux, de s’exprimer sur les ondes. Moins de virulence, moins de passion, plus de réflexion, plus d’écoute, je pense que ce serait une bonne chose pour le pays. Personne d’entre nous aussi bien ceux de la majorité que de l’opposition n’a intérêt que le pays se déchire, c’est notre pays à nous. Ceux qui veulent être chefs, ministres, présidents demain, ont intérêt à faire en sorte que le pays soit en état; sinon ça ne sert à rien. Ceux qui sont de la société civile vivent dans ce pays ; donc nous avons tous intérêt à ce que le pays soit calme et stable et qu’il y ait de l’entente entre les Maliens et cela nécessite qu’on soit plus tolérant et constructif.

Interview réalisée par Paul N’GUESSAN
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