Cette question, il faut le concéder, est aussi gênante que l’acte répréhensible auquel elle fait référence. Mais c’est l’un des débats qui fait palpiter de colère depuis le début de la semaine dans un pays surprenant. Car le Mali surprend. D’abord, commençons par le début : lundi 26 juin, des informations jusque-là non vérifiées, ont fait état de cas viol au Parc national de Bamako sur des petites filles qui ont entre 12 et 16 ans par des garçons âgés de 15-18 ans.
D’un côté, c’est la condamnation qui s’abat sur des actes de violence que rien, mais absolument rien, ne peut justifier. De l’autre, on pointe avec une sorte de réflexe pavlovien un doigt accusateur à l’encontre des filles d’aujourd’hui qui s’habilleraient mal ou de façon « provocatrice ». Donc, une façon de trouver une justification, qui renvoie d’emblée à la vision aussi vieille que les collines qu’on a de la femme dans une société patriarcale ayant un rapport maladif à elle. Car c’est de cela qu’il s’agit : notre rapport à la femme, qui est un sujet dont personne ne veut parler dans une société prise au piège du conservatisme, des mentalités misogynes, de l’autoritarisme masculin. Selon cette vision que l’on sert sur les réseaux sociaux, notamment ce royaume de la pourriture qu’est Facebook, les filles sont quelque part coupable de leur viol parce qu’elles s’habillent mal ou ont l’apparence provocatrice. Vision simple et simpliste qui confirme ce que tout le monde sait déjà : la société est en régression, malade, en décomposition morale et intellectuelle avancée, défigurée, méconnaissable. C’est un diagnostic effroyable que l’on admet désormais sans broncher.
Dans cette société, comme partout ou presque, la conquête de la femme, proie de la séduction, est une gloire pour les hommes. Mais, comme nous le dit de façon brillante l’écrivaine Fatoumata Keïta, dans sa belle trilogie romanesque, notre société a les pieds dans le passé et la tête dans le 21e siècle. Cela donne aussi une société traversée par des contradictions, y compris sur la question de la condition de la femme, qui reste un nœud à trancher. La question du viol reste aussi un sujet peu abordée, où des Cécile de Volanges, naïves, innocentes, timides, continuent d’être victimes des Valmont, frustrés et abreuvés de scènes sexuelles disponibles gratuitement sur Internet. Ceux qui ont lu Les liaisons dangereuses de Laclos savent de quoi il retourne. Mais ce qu’il reste à dire sur ces présumés cas de viol au Parc national, c’est l’essentiel. Les victimes de viol sont-elles coupables ? De s’être mal habillés, mal coiffées, bien maquillées et même d’être jolies ? Non, dire cela reviendrait à se déclarer solidaire d’un comportement, d’un acte que nous ne cessons de condamner. L’apparence, l’habillement ne sauraient nullement être des excuses. Car une agression sexuelle, c’est aussi une dignité bafouée, un déshonneur, une honte pour la victime, un corps meurtri et désacralisé, un traumatisme dont il est difficile de se remettre. Du coup, les questions du genre «Tu étais habillée comment ? », permettez-moi, sont des questions de « merde », assassines. Et, nul besoin de le rappeler, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise victime.