Du chef de famille au chef d’État, la chefferie exige l’affirmation de l’autorité sans autoritarisme par la prise de décisions difficiles.
Quand on occupe un poste de responsabilité (petit, moyen ou grand), il serait mieux d’utiliser la première personne du pluriel (nous) dans son expression orale ou écrite adressée au public. Pendant une trentaine d’années d’intervention publique, lors des centaines de communications radiophonique, télévisuelle ou écrite que j’ai faites au Mali et ailleurs, je n’ai utilisé la première personne du singulier (je) que très rarement. C’était en 2006 dans mon article « Appel lointain au peuple de Guinée» et en 2007 dans « Entre le président ATT et moi », si j’ai bonne mémoire.
En ce mois de mars 2013, l’exacerbation de la tension au Mali entre le Pouvoir et la Presse causée par l’arrestation de Boucary Daou, directeur de publication du journal le Républicain, m’oblige d’user du «je» pour m’assumer et analyser cette situation conflictuelle.
Mais avant, reculons un peu dans un triste passé évocateur de l’emprisonnement de plusieurs directeurs de publication, en 2007, dans l’affaire de « La maitresse du président» qui a inspiré au regretté Ousmane Sow, talentueux et audacieux journaliste, une lettre ouverte au président de la République titrée «ATT, Sabali».
De cette lettre de Sow à ATT, il est utile de rappeler ces quelques extraits pleins d’enseignements et de conseils pour tout Pouvoir qui use de la force contre la Presse : « ATT, il est aujourd’hui urgent de regarder votre pouvoir en face, de faire une introspection et de comprendre la crainte des démocrates. Il y a de sérieux indices qui laissent présager une dérive autoritaire sur les rives du Djoliba. Les signes avant-coureurs de cette déviation se trouvent dans les arrestations brutales, arbitraires et illégales des journalistes et du Pr. Bassirou Minta, accusés de délit d’opinion, et dans la parodie de procès, du hideux huis clos qui ont abouti à leur condamnation injuste qui n’est rien d’autre qu’un déni de justice.… La justice malienne est indépendante de tout sauf du pouvoir politique et le parquet n’est qu’une caisse de résonance de la chancellerie. Le procureur Sombé Théra n’aurait jamais eu l’outrecuidance de cadenasser des journalistes et des patrons de presse sans l’imprimatur de ses chefs hiérarchiques et de Koulouba…. Ne serez-vous heureux que le jour où le Mali entier se mettra à chanter votre gloire ? Malheureusement, il faut comprendre que cela n’arrivera jamais…»
Chacun sait comment notre très cher général président, Amadou Toumani Touré, bien aimé mais bien tombé a quitté en trombe ce pouvoir qui trompe ceux qui l’exercent en pompe
Un État imprécis
Revenons aux faits récents qui suscitent des interrogations épineuses sur l’arrestation nébuleuse du publicateur d’une lettre ouverte de protestation au président de la république dont serait l’auteur un certain capitaine Touré qui se trouverait au front dans le nord du Mali.
Cette lettre publiée en période d’état d’urgence au pays, contenait la dénonciation des avantages financiers accordés au capitaine Amadou Haya Sanogo qui a renversé, le 22 mars 2012, le pouvoir du général président Amadou Toumani Touré. Ce renversement de régime très révélateur des vraies réalités, a consigné la mort clinique d’un État malien qui était plongé dans une longue agonie. Car, la multiplication des forces de pression endogène et exogène hostiles aux putschistes et leurs soutiens, a favorisé la transformation du Mali en un serpent à trois têtes : Capitaine Sanogo qui s’impose, Dioncounda Traoré, Président de la République par intérim, qui est imposé par la Cédéao et Cheick Modibo Diarra, Premier ministre de plein pouvoir, choisi par le même capitaine Sanogo. Quand on est mordu par ce genre de serpent, on ne saura pas facilement laquelle des têtes a lancé le venin.
Sous-tendue par la Cédéao, une farouche confrontation entre ces trois têtes d’affiche, a fait du Mali un gros camion à 3 chauffeurs ayant tous les mains au volant. Dans cette lutte impitoyable de positionnement, le capitaine a déplacé le premier ministre Cheick Modibo Diarra qui a été remplacé par Diango Sissoko au grand plaisir de Dioncounda Traoré. Malgré ce léger changement de décors ou plutôt de corps intervenu le 11 décembre dernier, bien malin serait le malien qui pourra dire avec précision qui dirige réellement le Mali. Notre Camion-Mali roule ainsi dans une totale confusion vers des destinations imprécises.
Un Chef indécis
Dans la subtile langue de Molière, tout comme celle de Djéli Baba Sissoko, la sémantique du mot varie selon la phrase ou le contexte dans lequel il est utilisé. Le moderne dictionnaire électronique et celui manuscrit mentionnent qu’un homme indécis est : celui qui ne sait pas prendre de décision. Je crois que les personnes qui ne savent pas prendre de décision, décident généralement, hâtivement. Il y a aussi et surtout des gens qui prennent des décisions quand ça les arrange et ne se décident pas quand ça les dérange. Mais, qu’ils soient petits, moyens ou grands, les responsables ont un principal devoir : la prise de décision. Ainsi, du chef de famille au chef d’État, la chefferie exige l’affirmation de l’autorité sans autoritarisme.
J’ai constaté, comme beaucoup d’autres personnes, que notre Très cher clément président porteur d’écharpe, le professeur, Dioncounda Traoré, a d’énormes difficultés à prendre des décisions. Le mari de Mintou Doucouré est un homme, sans doute, très clément qui, dès son retour de ses soins médicaux en France, a humblement et publiquement accordé son pardon à tous ceux qui l’ont gravement frappé et blessé au palais de Koulouba. C’est après ce grave incident inédit dans l’histoire du Mali que le père de Assiatou Traoré a commencé à pendre sur son cou une longue écharpe blanche pour, probablement, embellir son apparence ou s’assurer une protection occulte. Une telle parure, apparemment encombrante, est inusitée de la part d’un dirigeant malien.
Dès que Boucary Daou a été victime de morsure, le mercredi 6 mars 2013, vers 13 h 00, de ce genre de serpent à trois têtes, monstrueux, belliqueux et malicieux, ses confrères ont d’abord cherché à identifier la tête venimeuse qui l’a attaqué. Toutes les trois têtes, contactées directement ou indirectement, par des patrons de presse, ont dégagé leurs responsabilités dans l’attaque violente et blessante. Il s’agissait alors de savoir qui a donné l’ordre de sa séquestration aux agents de la Sécurité d’État ?
C’est suite à la première déclaration de Dioncounda Traoré, en visite en Mauritanie, que la Commission de crise de la Presse, dont je suis membre, a douté de son innocence dans la séquestration du directeur de publication du Républicain. Sur le sujet, la déclaration du numéro 1 malien faite au Sénégal a complètement levé le voile du doute sur son implication.
Mon Très cher clément président porteur d’écharpe a commis une grosse erreur d’appréciation du cas d’arrestation et de séquestration de Boucary Daou en décidant de prendre position, en 2 minutes 47 secondes, lors d’une entrevue accordée à la presse à Dakar, en ces termes :
« … Il n’y a absolument aucune raison de s’alarmer pour ça, le journaliste auquel vous faites allusion, il a écrit un article où il parle d’un certain capitaine Touré, je crois, qui n’existe pas, qui n’a jamais existé. Ce journaliste, je lui reconnais le droit d’avoir son opinion sur tout ce qui se passe au Mali… Il peut ne pas être d’accord avec une décision qui est prise par les autorités, mais n’oubliez pas que le Mali aujourd’hui est en état d’urgence, que le Mali est en guerre…je pense que, avoir une opinion sur un problème et figuré d’autres choses après, c’est un peut différent. Parce que ce monsieur, après avoir dit son désaccord avec les décisions qui ont été prises, a écrit des propos qui sont de nature à pousser nos troupes qui sont au front à déserter. Et ça c’est grave. Je crois qu’en état de guerre on ne peut pas tolérer ce genre de comportement et ce genre de parole. Évidemment, je pense que, le principe de précaution étant, c’est normal pour l’État de chercher à en savoir davantage. De savoir si c’est le fait d’un innocent qui a écrit des choses sans penser à leurs impacts ou si cela doit s’inscrire dans le cadre d’une action concertée de déstabilisation de nos forces armées au front. Je crois que c’est la raison pour laquelle il a été interpellé. Il sera entendu, il dira ce qu’il aura à dire. S’il n’y a rien derrière, il sera relaxé. Si nous découvrons qu’il y a d’autres choses derrière, évidemment, il sera mis à la disposition de la justice malienne et c’est le droit qui parlera »
Sincèrement, j’ai été désagréablement surpris d’entendre notre Dioncounda national affirmer catégoriquement que : «le journaliste auquel vous faites allusion, il a écrit un article où il parle d’un certain capitaine Touré, je crois, qui n’existe pas, qui n’a jamais existé ». Non, mon cher professeur président, le directeur de publication, Daou, n’a pas du tout écrit cet article incriminant qui n’est que le contenu d’une lettre ouverte adressée à vous. Il a certes, commenté l’article mais dans le sens de l’idée de la lettre.
Ensuite, vous avez absolument et entièrement nié l’existence de ce capitaine Touré. N’avez-vous pas si rapidement mis toute votre confiance en celui ou ceux qui vous ont affirmé cette inexistence de ce capitaine ? Quant vous faisiez de telles affirmations, le journaliste se trouvait entre les griffes de votre S.E, Sécurité d’État qui l’a déshabillé, cagoulé, menotté, enchainé, torturé moralement et physiquement dans l’illégalité. Car, c’est à son 9eme jour de séquestration et d’agression par cette S.E qu’il a été transféré, le jeudi 14 mars vers 17h30, à la BIJ, Brigade d’Investigation Judiciaire. Alors que la loi malienne limite à, 48 heures, 2 seuls jours, la durée de l’incarcération d’un citoyen malien. Seule la décision écrite d’un juge peut prolonger ce temps. Ne pensez-vous pas que, même étant président par intérim, votre déduction ou conclusion hâtivement faite au Sénégal sur le journaliste a valeur de décision indiscutable pour le système judiciaire malien ?
Juste-tisse ou Justice ?
Je pense que c’est par crainte de perdre leurs postes que le ministre de la justice et ses subordonnés auraient réalisé votre volonté de déférer précipitamment, le lundi 18 mars, le journaliste à la prison centrale en attendant son jugement prévu pour le 16 avril. Si elles ne subissaient pas de pression, les autorités judiciaires pouvaient lui accorder la liberté provisoire avant la date de son jugement.
Mon cher président intérimaire, avez-vous oublié avoir déclaré étant président de votre parti ADEMA, à la période de l’élection présidentielle de 2007, que : « Si nous n’avions pas soutenu ATT, nous aurions eu l’administration, la justice et la Sécurité d’Etat sur le dos » ?
La justice aurait dû vous interroger pour en savoir plus sur ce qui vous obligeait à une telle soumission. Mais, rien n’en fut parce que, ATT, qui était notre Très cher général président bien aimé et chef d’État, avait soigneusement semé l’impunité au pays avec votre complicité. Maintenant, intronisé unilatéralement par la Cédéao comme chef d’État du Mali, vous continuez à fructifier cette impunité au profit de qui vous voulez. Ne pensez-vous pas que la justice est entrain d’appliquer ce que vous avez affirmé surtout en concluant vos propos : « S’il n’y a rien derrière, il sera relaxé. Si nous découvrons qu’il y a d’autres choses derrière, évidemment, il sera mis à la disposition de la justice malienne et c’est le droit qui parlera ». Ainsi, chacun doit conclure que l’inculpation et la détention de Daou à la prison centrale de Bamako signifient « qu’il y a d’autres choses derrière, évidemment, ». Par nécessité de transparence ne devriez-vous pas dévoiler les preuves de vos « autres choses derrière» qui l’ont précipité dans la geôle de la dictature ? Sans aucune exhibition de la moindre pièce justificative contre Daou, ne dois-je pas croire que la « Juste-tisse » malienne, pour ne pas dire Justice, ne fera que tisser le droit qui ira tout droit dans le sens du droit musclé du Roi Dioncounda 1er que vous êtes en passe de devenir ?
Du 30 avril au 1er mai 2012, lors du contre coup d’Etat échoué qui a été exécuté par certains militaires bérets rouges et commandités par des hommes politiques maliens, plus d’une centaine de personnes sont mortes sous vos yeux. Pourtant, la plupart de ces exécutants survivants et leurs commanditaires impénitents continuent à se pavaner librement au Mali. Monsieur le président par intérim, garant de la sécurité et de l’égalité de tous les maliens devant la loi, qu’avez-vous décidé contre ces fauteurs de trouble et faiseurs de morts ?
Notre Très cher clément président porteur d’écharpe, pouvez nous faire comprendre votre total silence quand des officiers policiers ont arrêté et séquestré au Groupement Mobile de Sécurité(GMS) six commissaires de polices qui ont été libérés, dans la nuit du vendredi 16 novembre 2012, que grâce à la fructueuse médiation de Mahmoud Dicko, président du Haut
Conseil Islamique du Mali ?
Lors d’une récidive d’affrontement, le 8 février dernier, dans le 33eme régiment des commandos appelé camp para, entre des bérets rouges et verts et leurs partisans, qui a causé d’autres effusions de sang, en votre qualité de chef suprême des armées, vous avez préféré envoyer les belligérants à la médiation au premier ministre, Django Sissoko, en évitant de prendre une décision, pourquoi ? Est-ce parce que ces hommes coiffés de bérets sont des porteurs d’armes ? Mais, sachez, mon Très cher clément président porteur d’écharpe que l’homme en tenue peut tirer et tuer alors que l’homme de médias sait piquer et souiller.
Dans ce cas du journaliste Daou, au lieu de référer les poseurs de questions au ministre de la justice, pourquoi vous avez choisi de donner une version partiale qui servira de ligne de conduite au processus judiciaire, la presse est-elle une brebis galeuse pour vous ?
Mon Très cher clément président porteur d’écharpe, vous n’échapperez pas à la réprobation grandissante de l’opinion nationale et internationale face à votre décision arbitraire de détention en prison de Boucary Daou.
Oui notre Dioncounda national, savez-vous qu’en une seule année à la présidence par intérim, vous avez tristement battu de loin le record en matière de violences, physique ou morale, infligées à la presse au Mali ? (Voire La lettre de la presse au peuple à la page ). Cela se passe malheureusement au moment où le monde entier a les yeux braqués sur nous et certains ont les mains tendues vers nous pour la bonne et rapide résolution de notre crise sans précédent.
Je vous exhorte, en votre qualité de professeur président mathématicien, à calculer méticuleusement et contextuellement, les avantages et inconvénients d’une telle confrontation entre le 1er pouvoir (La Présidence) et le 4eme pouvoir (La Presse) sous le regard, à la fois, amusé et médusé du monde entier.
Je crois que le 1er et le 4eme Pouvoirs doivent mettre prioritairement tous leurs pouvoirs et savoirs dans le combat pour la récupération totale de notre territoire, la distribution régulière de l’électricité et de l’eau trop perturbée et surtout la diminution des coûts du transport public brusquement augmentés. Augmentation qui a incité des femmes et des jeunes à violenter et bloquer spontanément le transport en commun à Bamako, la capitale.
Nécessaire protection des sources journalistiques
Si ATT a bien accepté de copier le système canadien « Vérificateur Général » et le coller au Mali pour révéler les centaines de milliards détournées impunément, les tenants des pouvoirs, exécutif et judiciaire, doivent apprendre la « Charte canadienne des droits de la personne » pour éventuellement éviter à la presse malienne des exactions dont elle est victime depuis de longues années. Concernant le privilège du secret des sources des journalistes dans l’Affaire du « Scandale des commandites au Canada » il a été mentionné que « l’intérêt public protégé par le refus de la divulgation de l’identité doit l’emporter sur l’intérêt public dans la recherche de la vérité ». Et si le journaliste impliqué, Daniel Leblanc, vivait au Mali ? J’ai honte pour ce qui est arrivé à Daou…
La Presse engagée ne peut être dégagée
Avec votre permission, son excellence, notre Très cher clément président porteur d’écharpe, permettez-moi de terminer par là où vous avez commencé votre déclaration dakaroise ainsi :« … Il n’y a absolument aucune raison de s’alarmer pour ça ». Ça vaut la peine de s’alarmer et même de s’indigner quand on constate l’emprisonnement à tort d’un homme de presse.
Enfin, sachez ou rappelez-vous que dans l’histoire de l’humanité aucun pouvoir politique n’est parvenu à dominer et à bâillonner la presse engagée. Ce n’est pas Boucary Daou seul ( il est à sa vingtième jour d’emprisonnement) que vous combattez, mais toute la presse malienne qui, totalement soudée et déterminée, sortira victorieuse de cette farouche lutte entre la liberté d’expression ( gage de toute démocratie) et la cruauté d’imposition de la volonté d’un président surtout par intérim, soit-il.
En cette période de guerre contre des terroristes dans le nord, je vous assure que nos journées de presses mortes, bien suivies, n’ont pas été faites de gaieté de cœur. Je vous conseille de vous ressaisir et de saisir à temps cette courte période d’accalmie de la presse pour vous dessaisir vite de cette affaire Daou, sans condition, afin qu’il recouvre sa totale et définitive liberté au nom de la paix et la stabilité nationales.
Lacine Diawara, Directeur de publication, journal Option.