Au Mali, pas moins de 1 158 personnes sont concernées par les licenciements abusifs dans les sociétés minières, selon la Fédération nationale des mines et de l’énergie. Parmi elles, les 57 licenciés de LTA-Mali. « Tous » les recours épuisés pour certains, ces travailleurs vivent le calvaire en attendant désespérément « le sort que Dieu » va leur accorder.
« Depuis 2012, nous vivons dans une précarité qu’on ne peut pas expliquer », affirme Oumar, la voix basse et les yeux longuement fixés au sol. Pendant dix ans, il a travaillé au compte de LTA-sa, une société de sous-traitance à la mine de Sadiola, l’une des plus prolifiques du pays. Il vivait « bien » avec un « salaire faramineux » jusqu’à ce jour du mois de juin 2012 où le syndicat dont il est le secrétaire administratif décide d’exécuter un préavis de grève de 48 heures.
Au centre des revendications, des primes de rendement et une majoration de 7% pour une période de 32 mois. « Au début, ils ont essayé de proposer des postes aux responsables syndicaux. On n’a pas voulu. La société nous menace alors de licenciement », se rappelle Oumar. A l’époque, il était chargé du pointage des travailleurs. Tout va aller ensuite très vite pour lui et ses compagnons. Les 48h de grèves terminées, une colonne de 17 véhicules de la gendarmerie de Kayes débarquent sur le site de la mine. « Ils rentrent dans mon bureau et me disent que nos contrats ont été suspendus. Je leur ai dit que je n’ai pas signé de contrats avec la gendarmerie », raconte-t-il.
Mais la raison du plus fort est toujours la meilleure. Les 27 membres du comité syndical de la société sont renvoyés. Les gendarmes restent sur les lieux pour leur interdire l’accès au site. « Nous n’en revenions pas », selon Oumar haussant la tête. Depuis Bamako, la Fédération nationale des Mines et de l’Energie tente de ramener les parties sur la table et convoque les syndicalistes.
Dans la foulée, la société saisit la direction de Travail de Kayes d’une demande de licenciement. Une demande approuvée « sans délai », selon les travailleurs. Raison officielle : les grévistes ont refusé de se présenter à la réunion de conciliation. « Ce qu’ils ont fait en réalité, c’est qu’ils ont attendu notre arrivée à Bamako pour orchestrer tout ça », dénonce un d’entre eux. Pour lui, « il y a sans doute un complot ourdi contre eux pour fait de grève avec la complicité de l’Etat. » Pour soutenir les 27 licenciés, la Fename observe une grève de 72 heures. Mais la société va encore user de ses muscles : trente militants qui travaillaient au sein de la société sont eux aussi licenciés.
« Souvent on quémande. D’autres te disent « merde » mais c’est compréhensible »
Aujourd’hui, sans emploi, ces ex-travailleurs de la mine de Sadiola ne savent plus à quel saint se vouer. Leur vie « complètement anéantie ». « Souvent on quémande. D’autres te disent « merde » mais c’est compréhensible », s’indigne un autre. Parmi les 57 licenciés de LTA Mali, plusieurs personnes ont divorcé à cause de la chute brutale de leur situation financière. D’autres décédés suite à de « petites maladies » qu’ils n’ont pas pu traiter. Abdoulaye, 42 ans, était transporteur de minerais sur le site minier depuis 2000. Son salaire tournait autour des 500 000 FCFA le mois. « Mon foyer, c’est ma liberté. Mais j’ai divorcé aujourd’hui et j’ai perdu mes enfants. Et même ma famille m’a abandonné », dit-il se tenant la tête entre les deux mains. Lui dont la perte de l’emploi a aussi entraîné celle de son ex-épouse qu’il soutenait pour mettre en place un commerce de bazin entre les pays de la sous-région. En de larme, il ajoute : « Mon père et ma maman sont tous décédés… » Il se tait une minute, sèche ses larmes puis ajoute : « Ils avaient tous les deux de petites maladies dont j’assurais régulièrement le traitement. Mais après, c’est devenu chronique et ils sont décédés. » Actuellement, Abdoulaye ne vit plus que de petits contrats de manutention qu’il arrive à arracher souvent dans la capitale malienne. Il n’a pas l’intention de retourner travailler dans les mines, mais espère juste rentrer dans ses droits un jour.
Des droits que les travailleurs sont loin d’obtenir pour le moment. A l’initiative du patronat malien, un conseil d’arbitrage a été mis en place pour trancher. Le conseil donne raison aux syndicalistes dénonçant une violation de la loi par l’inspecteur du travail, mais LTA va contester la décision. Le Conseil des ministres, qui devrait rendre exécutoire la décision du conseil d’arbitrage, n’a jamais été saisi par le ministère du travail. Au motif que « les mines ne sont pas un secteur essentiel dans l’économie malienne dont l’interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé des personnes… ». Saisi, le tribunal du travail se déclare lui aussi incompétent, une décision ayant déjà été prise par le conseil d’arbitrage.
En attendant une décision exécutoire des autorités, les travailleurs, eux, sont gangrénés par le désespoir, la pauvreté et la frustration. « Wallahi, s’ils ne font pas attention, on va rejoindre les djihadistes. Ça c’est clair ! », vocifère Oumar Dicko. « Je regrette souvent d’être Malien. Je n’en veux pas à ceux qui prennent les armes. C’est ce genre de frustration qui radicalisent », indique-t-il. Un signe de désespoir d’autant plus grand que les autres entreprises minières ne veulent pas « des révolutionnaires de LTA ».