Un malheur ne venant jamais seul, le projet actuel de révision de la constitution aussi fâcheux soit-il, vient raviver le triste souvenir du mauvais accord dit de paix. L’un et l’autre ont pu vivre l’espace de leur saison par une toute-puissance publique, il est vrai ludique et hardie, jusqu’à ce que l’éveil et le sursaut de ceux qui les subiront en exposent les dangers, les dérives et les difficultés.
En effet, ce projet de la discorde est tout à la fois irrégulier, inapproprié, incongru, illégal et déloyal. De surcroit, il ouvre un boulevard funeste à l’artifice de l’accord d’Alger qui projette en fait la partition du Mali. Aujourd’hui, la béatitude des autorités s’accroit avec l’onction du parrain Macron qui raccourcit davantage leur réflexion et leur feuille de route, comme naguère les objurgations de la médiation à Alger ont conduit à un papier aussi court par son équilibrisme que par son contenu.
L’aveuglement et l’irréflexion dans chacun des cas n’ont d’égaux que la faiblesse et sa part d’orgueil, pour méjuger les aspirations et l’intérêt des gens du commun. Il faut bien se dire que ce n’est pas la constitution qui doit s’adapter à l’accord, mais l’accord qui doit s’accorder à elle. Aussi, pour le ressaisissement, voyons si un rai de lumière vainc-t-il une cécité ou d’une révision aveugle fait-il une malvoyante !
Irrégulière, la révision constitutionnelle l’est, car non concertée avec les forces vives du pays. Les révisions de 2001 et de 2011 censurées ont au moins le mérite d’avoir engagé un processus participatif bien que n’étant en butte ni à une rébellion ni à un accord de paix. Aujourd’hui que le pays fait face à l’une et à l’autre, réviser une Constitution qui est le fruit du consensus de la Conférence nationale souveraine doit au moins être consensuelle et s’élever au-dessus des contorsions et opacité de cour.
La révision est inappropriée car le pays entier est dans un marasme sans pareil, avec violences et insécurité, attaques armées et misère généralisée. On dit que depuis Serval, près de 200 « Casques Bleus » furent tués, et depuis janvier 2017, près de 500 personnes tuées, des otages pris dont des Famas, et plus de 500 écoles fermées !
Elle est incongrue car tous les grands secteurs de l’Etat sont en panne, alors que la classe politique au pouvoir se délecte en toute inconscience de ses privilèges, de ses excès et querelles byzantines. Avec une population plongée dans la désespérance, le pouvoir se révèle déconnecté des réalités du pays, et l’armée démotivée par le formidable étalage de l’aveuglement public et des ravages des plaisirs factices.
Elle est illégale avec l’article 118 de la Constitution interdisant la révision quand il est porté atteinte à l’intégrité territoriale du pays, comme c’est le cas actuellement avec Kidal, le Macina, voire la capitale avec ses attaques épisodiques. Que la cour constitutionnelle d’opérette ait parlé d’insécurité résiduelle montre son aveuglement devant une insécurité en fait résidentielle et que reconnait d’ailleurs la déclaration de politique générale du premier ministre déplorant l’impuissance étatique à l’est et au centre du pays.
La révision est enfin déloyale car la raison officiellement avancée n’est pas avérée, et les amendements des députés en ont expurgé toute référence à l’accord. L’évidence est l’accroissement des pouvoirs du président de la République au point d’en faire un monarque. La nomination d’un tiers des membres du sénat, la nomination du président de la Cour constitutionnelle, la révocation du Premier ministre, etc., par le président de la République, le consacrent comme roi et faussent le jeu loyal de la démocratie. Même des éléments importants de sa prestation de serment y ont été omis, notamment de la défense de la patrie et de l’intégrité territoriale, prenant ainsi les devants des transgressions qu’on sait venir.
Cette révision en trompe-l’œil cache mal le crève-cœur de l’accord d’Alger. Cet accord, en évitant les mots pour le dire, organise l’autonomie et l’indépendance des régions du nord. En statuant que le président de région est élu au suffrage universel direct et que les collectivités ainsi constituées s’administrent librement, il consacre sans équivoque la partition programmée du pays. Alors qu’il égrène des alternatives pour son exécution, Sénat, Conseil de la nation ou autre, les tenants de la puissance publique préfèrent la fétichisation et la fixation sur le Sénat…
Ainsi, l’aveuglement des gouvernants maliens répond en écho à l’aveuglement des groupes rebelles. L’irréflexion et l’obstination hébétée des uns répond au calcul et à la malice frauduleuse des autres. L’une et l’autre démarche s’accordent, dans un double coup d’État constitutionnel, à tromper sur la révision et faire sécession au grand dam des majorités targuie et malienne.
Plus que jamais, le regroupement d’associations, de syndicats, de leaders d’opinion – citoyens excédés, Ras Bath, Madou ka journal, Master Soumi, Mylmo, Tal B, etc. – et de partis politiques, doit se convaincre que dépenses de campagne référendaire et intimidations, prébendes et sinécures du sénat, n’ont pas vocation à forger une conscience nationale, mais ont pour fonction de calmer des appétits et fabriquer des larbins et griots. Les dougoutigui, imams, clercs et autres vestes tournantes, à qui on a promis d’être sénateurs, taisent leur conscience pour leur appétence. Le sénat ne permet pas à des autorités coutumières d’accéder à un rôle démocratique, mais permet à une démocratie de caisse de résonnance d’en faire des moulins à vent !
Il ne faut pas croire aux contes que des lois encadreront les pouvoirs incriminés, car dans les faits, le président peut nommer qui il veut, sans avoir à s’en justifier. Bref, il faudra (1) renoncer à la révision, (2) écouter les maliens et arrêter les dépenses extravagantes, (3) diminuer radicalement le train de vie de l’État, (4) équiper les Famas, et (5) sinon, céder la place à un autre pour arrêter l’hémorragie !
Le monde malien, unitaire, convivial entre toutes les filles et tous les fils de Kidira à Kidal, de Zégoua à Aguelhock, de Washington à Diré, de Paris à Lakamané, qui n’avait jamais connu de tribalisme, s’ethinicise aujourd’hui, et trouve difficile de s’accorder même sur Dieu dont tous se réclament.
Pas seulement des Coulibaly et Keita goûteront la plaisanterie mordante de leur sinankou, mais tous doivent participer car tous sortis de la terre vertueuse africaine, pétris de traditions d’humanisme, de dialogue, de tolérance, bâties non sur la malice et la duplicité, mais sur l’honneur et la dignité, le dire vrai clair et net : Ante ! Abana ! Kokaje ! Kouraya ! Djiguiya ! Pour la fin de l’impunité (gnanguinibaliya) et pour la justice (sariya) ! Vivement la fin de la dynastie des égos et de l’expérimentation !