On aurait pu penser à une bourde de la part de quelqu’un qui chercherait encore ses marques. En fait, la sentence proférée par le président français lors du dernier sommet du G20 en Allemagne, ressemble plutôt à une subite remontée en surface de convictions longtemps refoulées. Après sa plaisanterie de saveur douteuse sur les kwassa-kwassa comoriens, quelques semaines plus tôt, M. Macron professe devant ses pairs et leurs invités, un cours magistral de « démographie africain et développement ». Sa thèse : l’impasse dans lequel l’Afrique se trouve a pour cause sa démographie débridée avec une moyenne des 7 à 8 enfants par femme. Rien n’y changera rien, même pas les milliards de dollars, tant que cela demeure. Une telle sentence mérite d’être considérée tant sur le fond que sur le ton.
Sur le fond, les hypothèses et la thèse de M. Macron ne résistent pas à l’épreuve des faits. Il n’est nulle part établi que c’est la forte fécondité des africaines qui constitue la cause première de la pauvreté en Afrique. Mais plutôt, c’est la pauvreté qui pousse à faire plus d’enfants. Les experts, y compris des français, l’ont dit et redit. Déjà, en 1974, Joseph Ki-Zerbo, en marge de la Conférence mondiale sur la population tenue à Bucarest (Roumanie) déclarait : « Quand on devient riche, le nombre d’enfant diminue ».
L’historien africain, devant une poussée de fièvre néo-malthusienne, voulait simplement signifier que dans une situation de dénuement, faire assez d’enfants équivalant à multiplier ses chances, voire souscrire à une sorte d’assurance sociale pour ses vieux jours. Autre chose, la moyenne d’enfant par femme en Afrique est de 4 à 5, et non de 7 à 8. Si M. Macron ignore cela, c’est qu’il a parlé sans s’informer. Ce qui est surprenant de la part d’un président parlant devant une telle tribune avec le ton qui était le sien ce jour-là.
Venons-en au ton. Les présidents français, de Chirac, Sarkozy à Macron aujourd’hui, semblent avoir choisi la technique du « dérapage contrôlé » pour asséner ce qu’ils pensent être des vérités bonnes à dire. C’est vrai que dire la vérité est une exigence entre amis. Un adage bambara ne dit-il pas que « si ton ami ne te dit pas la vérité, paye ton ennemi pour que celui-là le fasse ».
Sauf que, ce que ces présidents français tentent de nous dire sous un ton faussement amical, n’est en fait pas vrai. Le préjugé est plus fort que la réalité des faits. La condescendance l’emporte sur l’exigence de vérité entre amis. On est tenté de dire : chasser le naturel, il revient au galop. Attribuer la situation démographique actuelle de l’Afrique à un problème civilisationnel, c’est oublier que la France a eu une politique nataliste dans ses colonies, au moment où elle avait besoin de bras.
Il s’agit donc d’une question d’opportunité, plutôt que de civilisation. La différence de taux de fécondité entre différents pays et même à l’intérieur d’un même Etat, entre les générations et les catégories sociales nous édifie suffisamment. Le Québec, il y a quelques décennies, avait aussi des familles de 6 à 10 enfants.
Si la France est aujourd’hui une puissance mondiale, elle le doit à trois facteurs : son droit de veto aux Nations unies, le fait de détenir l’arme nucléaire et sa politique africaine. Si elle détient le droit de veto, c’est parce qu’elle fut parmi les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. Elle le fut grâce au ralliement de son empire africain. Donc de grâce, trêve de macronnerie, et surtout de raillerie.
Modibo Diallo