SociétéViolences sexuelles commises dans le Nord du Mali : Me Moctar Mariko, président de l’AMD : « Les enquêtes piétinent, certains auteurs présumés sont même libérés »
Le Mali a connu en janvier 2012 une crise sans précèdent caractérisée par une crise multidimensionnelle. Dans ce contexte, aussi perturbé que complexe, le Mali est devenu un lieu où la loi du plus fort avait remplacé l’Etat de droit: intégrité menacée, coup d’état militaire, violations graves des droits de l’Homme, parmi lesquelles il convient de citer les violences sexuelles. Face au risque important d’impunité des auteurs de ces graves violations des droits humains, six organisations (WILDAF/Mali, AMDH, FIDH, AJM, Collectif Cri de Cœur et DEME SO) de défense des droits de l’Homme et des femmes particulièrement ont décidé de soutenir des victimes qui leur ont donné mandat pour les représenter devant la justice. Plusieurs plaintes ont été déposées à cet effet. Mais la justice malienne traine dans le traitement des dossiers. Selon le président de l’Association Malienne des droits de l’Homme (AMDH), Me Moctar Mariko, aujourd’hui « les enquêtes piétinent, certains auteurs présumés sont même libérés ».
L’hôtel Elfarouk de Bamako a abrité le lundi 24 juillet 2017, la cérémonie d’ouverture de l’atelier de Renforcement des capacités des Avocats et des Magistrats sur le traitement des cas de Violences Sexuelles Liées au Conflit (VLSC). Cet atelier de cinq jours comprenant 40 participants (20 Avocats et 20 Magistrats) est organisé par Wildaf Mali et l’Amdh avec le soutien de la Division des droits de l’Homme et de la protection de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali). l’objectif générale de cette formation vise à renforcer davantage les capacités des magistrats et des avocats sur les traitements des cas de VSLC en vue de leur permettre de mieux appréhender les subtilités liées à ces cas et de faciliter l’accès sécurisé des victimes de VSLC à la justice. La cérémonie d’ouverture de cet atelier de formation était présidée par le représentant du ministère de la justice, garde des sceaux, Cheick Tidiane Traoré, en présence du représentant de la DDH-Minusma, Arnaud Royer, du président de l’Amdh, Me Moctar Mariko, du représentant de Wildaf/ Mali, Issoufou Diallo et de nombreuses autres personnalités.
« Je voudrais rappeler qu’entre 2012 et 2013 ont été perpétrés au nord du Mali, de nombreux crimes sexuels, notamment des viols, mariages forcés et esclavage sexuel. Les victimes de ces crimes, y compris les mères des enfants nés de ces viols, font toujours face à de nombreux défis à savoir, perte des moyens de subsistance, maladies, isolement ou d’abandon d’enfants par leur mère, rejet par leur conjoint, stigmatisation. Des plaintes pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été déposées par nos organisations entre 2014 et 2015 au nom de plus de 100 victimes de violences sexuelles, mais force est de constater qu’en dépit quelques avancées, les enquêtes piétinent ; certains auteurs présumés sont même libérés », c’est par ces mots que le président de l’Association Malienne des droits de l’Homme (AMDH), Me Moctar Mariko a commencé son mot de bienvenue. Selon lui, les victimes et les associations qui les accompagnent restent toujours dans l’attente de plus d’actions fortes et concrètes de la justice malienne.
Ces actions, dit-il, doivent se traduire par des véritables politiques de poursuites et de réparations. « Je voudrais profiter de cette tribune pour exhorter le Ministre de la justice à diligenter des réponses à la confusion de compétence de juridictions créée par l’arrêt N°11 du 16 février 2015 de la cour suprême dit «arrêt de restitution». Ces mesures pourront se traduire par le retour de compétence aux juges de la commune 3 quant aux dossiers desquels il était déjà saisi ou à défaut par l’élargissement de la compétence matérielle du pôle spécialisé « antiterrorisme » aux crimes internationaux y compris les violences sexuelles », a-t-il dit.
A l’en croire, cette formation ne vise nullement à traiter ou à travailler sur des plaintes déposées par les victimes et les associations. Elle vise plutôt à renforcer davantage les capacités de magistrats et avocats sur le traitement des cas de violences sexuelles liées au conflit de façon générale, en vue de leur permettre de mieux appréhender les subtilités liées à ces cas et de faciliter l’accès sécurisé des victimes de VSLC à la justice. Enfin, il a rappelé qu’une paix durable au Mali ne peut se construire que sur la base d’une justice renforcée et équitable.
Des présumés auteurs de violences sexuelles parmi les signataires de l’accord ?
Quant au représentant de Wildaf/ Mali, Issoufou Diallo, depuis le début de la crise du nord du Mali, le Wildaf/ Mali s’est associé au Cabinet Diop-Diallo pour accompagner et assister les victimes de violences liées au conflit. « Nous avons ensuite intégrer le pool d’avocats pour assister les victimes ayant choisis la voie judiciaire », a déclaré Me Diallo.
Enfin, il a cité les obstacles à l’accès des victimes à la justice qui sont entre autres : la suspension de l’écoute des victimes par le procureur de la commune III, la non protection des victimes et leur cohabitation avec les auteurs, l’appartenance des présumés auteurs aux parties signataires de l’Accord et leur présence dans les organes de mise en œuvre de l’Accord, la culture de l’impunité entretenue par le silence des plus hautes autorités autour de cette question, la recrudescence violences sexuelles par les bandits et groupes armés sur toute l’étendue du territoire. Aux dires du représentant de la DDH-Minusma, Arnaud Royer, l’organisation de cet atelier de formation s’inscrit dans la lutte contre l’impunité au Mali. A l’en croire, cet atelier doit permettre aux acteurs judiciaires de mener des enquêtes sur les cas de violations graves des droits de l’homme et de juger leurs auteurs.
« Les participants de cet atelier auront à se pencher sur des questions aussi essentielles que celles relatives à la documentation et l’enquête sur les Violences Sexuelles Liées au Conflit, les modes de responsabilité pénale, l’administration de la preuve en matière de Violences Sexuelles Liées au conflit, ainsi que la protection des victimes et témoins des Violences Sexuelles Liées au Conflit », a souligné Arnaud Royer. Pour sa part, le représentant du ministère de la justice, garde des sceaux, Cheick Tidiani Traoré a remercié WILDAF, l’AMDH et la MINUSMA pour cette initiative de formation.
Selon lui, cette formation vient à point nommé car la double crise sécuritaire et institutionnelle de 2012 a entravé l’administration de la justice, notamment dans certaines zones du pays ayant été occupées par des groupes armés. Pendant cette période d’occupation, dit-il, de nombreuses violations graves de droits humains, y compris des crimes sexuels, notamment des viols, mariages forcés et esclavage sexuel, ont été commises. Il a fait savoir que la lutte contre l’impunité et la réparation des préjudices subis sont des conditions sine qua non de la paix et de la sécurité au Mali.
« Pour permettre l’accès des victimes à la justice et de lutter contre l’impunité, les autorités judiciaires ont pris des mesures idoines au nombre desquelles je veux citer la saisine de la cour pénale internationale en juillet 2012, le transfert temporaire de compétences des juridictions des zones occupées au tribunal de grande instance de la commune 3 de Bamako, la création d’une juridiction spécialisée contre le terrorisme, l’adoption d’une politique de justice transitionnelle », a-t-il dit.
Pour lui, la réalisation d’une justice transitionnelle, impartiale et respectueuse des droits des victimes, est également essentielle pour ses vertus de sanction, de dissuasion et de réconciliation. « Je ne voudrais pas finir mon propos sans rappeler l’engagement de mon département à trouver des voies et moyens aux préoccupations soulevées par les organisations de défense de droits humains au sujet de la clarification des compétences », a-t-il conclu.
Aguibou Sogodogo