Le président de la CODEM, Housseini Amion Guindo à L’Indépendant (suite et fin) : « Il faut aller vite à l’élection présidentielle pour sortir du coup d’Etat »
» Dans la suite de la grande interview qu’il nous a accordée en tant qu’invité de la Rédaction, le lundi dernier, le président de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM), Housséini Amion Guindo s’exprime sur la prochaine élection présidentielle dont il estime qu’elle doit se tenir dès juillet, ses priorités s’il était élu président de la République. Il se prononce aussi sur la question du dialogue avec le MNLA, la transformation de la MISMA en force onusienne de maintien de la paix doublée d’une force d’intervention contre les jihadistes au nord du Mali.
Beaucoup de personnes se posent des questions sur la tenue des prochaines élections. Pensez-vous que les conditions sont réunies pour la tenue des élections dans le délai?
Pour nous, il faut très rapidement sortir de la crise institutionnelle. Il faut à tout prix organiser l’élection présidentielle en juillet. Nous sommes sceptiques quant au couplage. Parce que compte tenu du délai, de l’étroitesse du temps imparti et surtout du manque d’expérience ici, parce que nous ne sommes jamais partis à ce couplage, il est imprudent de coupler les élections présidentielle et législatives. Pour nous, les législatives doivent être remises à plus tard ; avant la fin de l’année par exemple. Mais il est important que cette élection présidentielle se tienne; parce que tout simplement il faut sortir du coup d’Etat. Il nous faut une présidence légitime et un gouvernement légitimes. Il nous faut le soutien de tous les amis du Mali.
Les Américains, par principe, c’est un exemple que je prends, ne soutiennent pas un gouvernement issu d’un coup d’Etat. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, ils sont en marge. La France, l’UE et tous les autres disent qu’ils vont reprendre leur coopération, mais la condition, ce sont les élections. Donc, il est important pour nous, après la grande crise, après que l’occupation du pays soit devenue un souvenir, d’avoir rapidement des autorités légitimes. Car à tout moment, ça peut encore péter. Les gens se sont tus parce que tout simplement il est gênant, dans cette situation où le pays est menacé de disparition, de sortir faire des revendications, faire du bruit. Je pense que c’est pour ça. Donc, il ne faut pas trop traîner avec ça. Nous, nous sommes pour que ces élections se tiennent, surtout l’élection présidentielle, se tienne au plus tard en juillet. Nous ne parlons pas du 7 juillet obligatoirement, mais en juillet ! Mais d’ici là, et çà aussi nous en avons parlé à l’Elysée, les cartes NINA qui nous sont proposées, l’identifiant, c’est seulement la photo.
Le fichier n’est pas biométrique. L’identifiant, ce n’est pas l’empreinte. Nous voulons que ça soit de la biométrie. On nous a dit que l’Etat n’a pas les moyens pour installer les terminaux et vérifier les empreintes au niveau des bureaux de vote. Nous avons demandé à l’UE et la France d’aider le Mali à avoir ces terminaux-là pour que l’identifiant soit l’empreinte et pas seulement la photo. Parce que avec ça tout est jouable. Le Burkina Faso l’a fait, le Niger l’a fait. Ils n’ont pas plus de moyens que nous. Ces terminaux sont à base du solaire. Si ce n’est pas l’électeur véritable, c’est le rouge qui sort et tout le monde peut comprendre ; mais vérifier une photo à dix huit heures, ce n’est pas facile.
Si demain vous devenez président de la République du Mali, quelles seraient vos priorités ?
Aujourd’hui pour le pays, comme on le dit, l’ordre des priorités a changé. La première priorité est comment sécuriser le pays. Nous sommes conscients d’une chose. C’est que le Mali n’aura pas une armée ou des forces de défense et de sécurité avant dix ans, ce n’est pas possible. Les Maliens n’ont pas besoin d’aumône. Ils ont simplement besoin de paix pour travailler et gagner leur vie. C’est ce que nous avons dit aussi aux Français. Donc, pour nous aujourd’hui, il est important, par rapport à la sécurité, d’aller en coopération militaire avec le Tchad et avec la France, pour nous permettre de reconstruire une armée. La deuxième priorité, c’est comment réconcilier les Maliens. Je le dis, dans le nord, à travers le dialogue intra et intercommunautaire et au sud, ici, en soutenant un nouveau départ pour le Mali. Moi, je suis élu au sud, je suis originaire du centre. Mon père a servi pendant trente deux ans au nord ; tous mes frères sont nés dans le grand nord et toutes mes mamans (puisque je suis issu d’une famille polygame) viennent du Nord. Et moi-même, on m’appelle Poulo parce que je suis l’homonyme d’un chef peul du cercle de Diré. Donc, plus que n’importe qui, aujourd’hui, nous avons intérêt que ce pays soit soudé.
Ensuite, la priorités pour nous, c’est la bonne gouvernance. Je prends juste un cas : lutter contre la corruption. On ne peut pas amener quelqu’un qui est impliqué dans cette corruption à lutter contre ce phénomène. Ce n’est pas possible. Un autre exemple, Alpha l’a dit en 2002, qu’il reconnaît l’échec de l’école. Je ne dirai même pas l’échec de l’école; ils ont tué l’école parce que l’Etat ne s’est jamais assumé. Tenez, par exemple, on permet à 200 élèves d’entrer dans la même classe dans des villages. Ce que je dis, c’est mon vécu. C’est dans ces conditions que j’ai grandi. On accepte que n’importe qui enseigne. L’Etat ne met en place des bibliothèques, ça c’est une prérogative de l’Etat, une responsabilité de l’Etat. Il n’y a pas de bibliothèque, pas de laboratoire. Tout ce qu’il y a dans les charges de l’Etat, il ne le fait pas. Alors, même dans le programme, de la première année à la terminale, on ne chante plus l’hymne national du Mali, on ne sait même pas ce que ça veut dire » notre pays« .
Or, l’école est la base de la société. Quand on tue l’école, on tue la justice parce que c’est l’école qui forme les bons juges, quand on tue l’école on tue la santé. Même l’armée que vous voyez, c’est l’école. Tuer l’école, c’est tuer l’armée parce que ce n’est pas une armée qui a reçu une formation républicaine. Donc, notre ambition, c’est de repenser même l’école, au-delà de la bonne gouvernance. Ce sont quelques idées que nous sommes en train de travailler dans le cadre de notre projet de société en collaboration avec nos alliés politiques.
Si vous arriviez aux affaires, comment compteriez-vous gouverner ce pays ? Seul ou avec d’autres formations politiques ?
Nous gouvernerons avec toutes les bonnes graines du pays. Pour nous, il faut aller au-delà du parti politique. Le président de la République ne sera pas le président du parti, il sera le président de tous les Maliens. Le premier critère sera l’intégrité et la capacité à pouvoir nous tirer de cette phase difficile. Nous sommes convaincus que c’est en équipe qu’on cherche le pouvoir et on le gère ensemble ; contrairement à l’idée qu’on nous a toujours prêtée. Nous avons toujours servi des candidats ; nous avons toujours soutenu des partis politiques. Mais toujours est-il qu’il y a toujours un leader. Dans ces conditions, il devient Dieu ; les autres sont des fidèles. Il pense pour les autres, qui donne l’argent, quand il se baisse, tout le monde se baisse, quand il se lève tout le monde se lève. Nous, nous pensons que c’est en équipe qu’on arrive à conquérir et à exercer le pouvoir. Il faut éviter le mythe de la personne. C’est pourquoi chez nous, jamais le président ne prend une décision. Je ne prends jamais de décision. Toutes les décisions sont prises en équipe. Très souvent certaines décisions sont prises contre moi-même. Nous sommes en train de travailler pour mettre le groupe au dessus de l’individu.
Quelle évaluation faites-vous de la situation au Nord-Mali et comment voyez-vous l’après-guerre ?
Pour nous, aujourd’hui, c’est très simple. Le Mali est un et indivisible. Nous ne nous arrêterons jamais de rappeler aux Français et à la communauté internationale, ils sont venus ici, c’est pour qu’il y ait un seul Mali, ils sont venus ici, c’est pour qu’il y ait un seul drapeau ; ils sont venus ici c’est pour qu’il y ait une seule armée ; ils sont venus ici, c’est pour que le gouvernement du Mali exerce sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. Pour nous, voilà ce qui n’est pas négociable. Tout ce dont les gens ont besoin, c’est la paix. Les populations n’ont jamais crié famine parce qu’il y a d’énormes potentialités dans cette zone.
Aujourd’hui, le défi à relever pour les 5 ans à venir, c’est comment pacifier le nord et permettre aux populations de regagner leurs familles, regagner surtout les champs et travailler et gagner leur vie. C’est ce qui est envisageable et comment rétablir ce vivre-ensemble. Cela n’a rien, absolument rien à voir avec les Touareg. Pour nous, ce sont des actions de quelques individus que moi-même je connais des camarades députés avec lesquels j’ai eu à effectuer beaucoup de voyages. Comment aujourd’hui ramener ce vivre-ensemble, qui est quand même l’une de nos valeurs dans tout le Mali et qui est l’une de nos richesses. Et pour la sécurisation de notre territoire, il faut, comme nous l’avions déjà souligné, renforcer l’axe N’Djamena-Paris-Bamako.
Si nous gagnons les élections, nous prendrons des mesures incitatives avec les jeunes qui seront recrutés dans l’administration. Ils iront commencer dans le Nord pour que cela sceller davantage le vivre ensemble.
M. le président, faut-il discuter avec le MNLA ou non ?
Jamais ! Jamais pas de négociations avec un groupe armé, jamais de négociation avec ceux qui se réclament de l’Azawad; parce que le Mali ne connaît pas l’Azawad. Je pense qu’il faut être ferme sur ces deux conditions. Sur d’autres formes, on peut envisager des possibilités de dialogue.
Nous sommes dans la dynamique de transformer la MISMA en mission de paix onusienne avec la tâche spécifique d’intervention militaire pour protéger et défendre le Mali s’il y a lieu. Que pensez-vous de cette proposition ?
Nous, nous pensons que c’est très bien parce que nous faisons confiance à la parole donnée. Ils sont venus, c’est pour que le Mali soit un et indivisible. Aujourd’hui, si les Français retirent une partie de leurs troupes, nous sommes de ceux qui pensent que c’est pour ne pas partir. C’est pour un peu rassembler la communauté internationale autour d’eux. La France ne partira pas tant que cette crise n’est pas totalement jugulée. Aujourd’hui, l’arrivée des Nations Unies doit aider à la prise en charge des troupes. Nous avons rencontré l’ambassadeur du Tchad en France qui nous a clairement dit que ce n’est pas la France qui finance leurs opérations au Mali. C’est le budget national tchadien qui finance la prise en charge de leurs soldats. C’est une décision courageuse ; mais si cela devrait durer, c’est sûr que ça peut affecter les finances tchadiennes. Donc il est bon que l’ONU finance ces activités.