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Rokia Traoré, une histoire vraiment mandingue
Publié le vendredi 28 juillet 2017  |  latribune.fr
Rokia
© AFP par VALERY HACHE
Rokia Traoré
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En fin de Festival d’Avignon, la chanteuse malienne Rokia Traoré a ému avec son chant-récit de l’épopée, au XIIIe siècle, de l’empereur Soundiata. Occasion de revenir avec elle sur la transmission empêchée de l’histoire africaine.
Vous ne connaissez rien à la culture mandingue ? Vous ignorez tout de l’épopée de l’empereur Soundiata, qui régna dans l’Afrique de l’Ouest entre 1235 et 1255, et dont le récit de la vie fut rapporté intact, siècle après siècle, par ces archives vivantes que sont les griots ? Et même la signification du mot «griot» vous est quelque peu obscure ? Votre cas n’est pas isolé, et le spectacle de la chanteuse malienne Rokia Traoré, présenté en fin de Festival d’Avignon dans le cadre de son «focus Afrique», peut vous aider à penser les raisons de votre ignorance. Rokia Traoré est donc en robe blanche, infiniment gracieuse, dans la cour du musée Calvet, lieu propice aux rêves s’il en est, et le bruit du vent dans les feuilles des hauts platanes rythme opportunément son récit en français, alterné de sept chants en mandingue. Elle narre ici l’histoire de cet empereur qui unifia le Mandé et fut l’auteur d’une charte de droits - constitution avant l’heure qui portait l’abolition de l’esclavage et le questionnement sur la place de la femme ou la barbarie des guerres. L’artiste de Bamako déploie donc l’enfance de ce roi né infirme d’une princesse bossue, qui grandit parmi les mauvais génies de la forêt et un buffle terrifiant. Cette histoire tient bien sûr du conte - comme n’importe quelle image d’Epinal de l’histoire de France - mais a poussé Rokia Traoré à retrouver, pour la synthétiser et insister sur les éléments avérés, une griotte historienne disparue en 2015, Bako Dagnon, qu’elle a confrontée au récit d’autres historiens. La charte de droits, Rokia Traoré en ignorait l’existence : elle est rarement mentionnée quand l’épopée est transmise aux enfants mandingues.
Polémique
Assis dans la cour, les spectateurs qui ne sont pas au premier rang ne voient pas directement la chanteuse, et sont donc captés par l’écoute. Sans doute parce que les expressions de Rokia Traoré nous sont cachées, on plonge plus aisément dans ses chants rauques, portés par Mamadyba Camara, à la kora, et Mamah Diabaté, au n’goni, que dans les péripéties du récit.
Rencontrée le lendemain, elle se dit plutôt satisfaite de ce focus Afrique, proposé par Olivier Py, et qui suscita, on s’en souvient (lire Libération du 28 mars), une polémique liée à ce qu’aucun dramaturge contemporain africain n’y ait été convié, au profit de chanteurs et chorégraphes du continent. «Ce procès me laisse dubitative car il laisse supposer qu’avant l’arrivée de l’écriture, il n’y avait pas de culture en Afrique. Or, non seulement elle existe, mais elle est ignorée car la colonisation l’a décimée.» C’est, selon elle, toute l’organisation de sa transmission à travers les griots «dont les fonctions sont plus complexes, précises, et multiples que ce que les Européens laissent croire» qui a été détruite. Pour concevoir Dream mandé-Djata, conçu et créé à Bamako, Rokia Traoré a élagué une bonne partie de l’aspect mythologique de l’épopée et utilisé des travaux d’historiens mandingues peu exploités. Sous sa douceur, la colère frémit. «Non seulement l’histoire de l’Afrique n’a pas été écrite par nous, mais ceux qui l’ont capturée n’ont rien fait pour la révéler. Les versions propagées sont celles qui arrangeaient les colons. Rien n’a changé. L’Afrique reste ce territoire dont l’histoire se résume en une série d’expéditions pour qu’on nous impose "un bien" qu’on ne demandait pas : des vêtements, des langues - l’anglais et le français -, l’écriture. Ce qu’il y avait avant se résume encore aujourd’hui pour la plupart au néant. En termes de respect, nos relations avec la France ne sont toujours pas équilibrées.» Elle poursuit : «Parler de l’Afrique qui ne serait pas encore "entrée dans l’histoire", comme l’a fait dire Henri Guaino au président Sarkozy, revient à n’exprimer aucun regret de la colonisation, aucune connaissance du mal commis.»
«Foyer de métis»
Rokia Troaré relate encore l’histoire méconnue des femmes données aux colons pour assouvir leurs besoins sexuels et domestiques, pendant que madame légitime restait en métropole. «Les enfants de ces unions forcées, qui ont 70 ans aujourd’hui, étaient ensuite placés dans ce qu’on appelait un foyer de métis afin d’être élevés selon les normes européennes. Ce sont des vagues qui font encore trop mal pour être étudiées.» Cette fille de diplomate, élevée dans des écoles publiques au Mali et privées en Europe - «sans aucune difficulté, ce qui montre bien que l’enseignement public malien avait un niveau correct», est aussi, comme quelques autres artistes africains invités à Avignon (les chorégraphes Serge Aimé Coulibaly ou Boyzie Cekwana, respectivement installés au Burkina Faso et en Afrique du Sud), une opératrice culturelle d’envergure à travers la fondation qu’elle a créée à Bamako. Active depuis une douzaine d’années, la structure se définit comme une école de musique, de chant, un espace scénique, et développera bientôt une plateforme de recherche culturelle et historique, espère-t-elle. Rokia Traoré y réinvestit tous les cachets perçus lors de ses tournées internationales et ne bénéficie d’aucune subvention de la part du ministère de la Culture malien. «Pour autant, quand je fais état d’une question ou d’une difficulté, je suis écoutée et j’obtiens gain de cause, car mon travail est reconnu.»
Par Anne Diatkine Envoyée spéciale à Avignon
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