Dans les années 1970 et 1980, pour jouer dans les équipes fanions du Djoliba AC, du Stade malien de Bamako ou de l’As Réal, il fallait justifier de qualités largement au-dessus de la moyenne, voire exceptionnelles. Notre héros du jour de la rubrique “Que sont-ils devenus ? ” a relevé allègrement ce défi pour s’imposer, tant dans son club qu’en équipe nationale. Il s’appelle Abdoulaye Kanté, ancien sociétaire du Stade malien de Bamako. Très technique, Adou Kanté a toujours démontré que la confiance en soi constitue une arme imparable. Nous l’avons rencontré pour parler de tout : ses débuts au Stade, sa carrière de joueur et d’entraîneur, sa retraite. L’enfant de Medina Coura a une particularité : le sens élevé de l’humanisme.
Abdoulaye Kanté dit Adou Kanté a intégré le Stade malien de Bamako en 1969, à l’âge de cadet. Certes, il a joué dans la rue comme la plupart des jeunes de la capitale, mais contrairement à beaucoup, il n’a pas évolué dans une équipe du quartier populaire de Medina Coura. Il a pris le raccourci grâce à un grand supporter du Stade malien de Bamako qui l’amena dans le club du président Ben Oumar Sy. Adou a trouvé sur place les Diofolo Traoré, Souleymane Magassouba, Lassine Soumaoro. Ces ainés, se rappelle-t-il, l’ont accueilli à bras ouverts, sinon ce n’était pas évident pour un jeune novice d’émerger aux côtés des anciens déjà suffisamment aguerris.
Adou Kanté a franchi tous les paliers au Stade malien de Bamako. C’est dire qu’il fait partie de cette génération dorée des Blancs forgée par feu Mamadou Keïta dit Capi avant son exil pour la Côte d’Ivoire en 1982. Figurer dans cette cuvée façonnée et maçonnée par le grand technicien Capi était une chance inouïe, d’autant que ces joueurs ont eu l’occasion d’évoluer ensemble depuis les catégories d’âge. Au fil du temps, les automatismes se sont développés pour aboutir à une certaine complicité entre les joueurs.
Un joueur élégant et serein
Au-delà, notre héros du jour, Adou Kanté, était aussi un joueur aux qualités techniques rares. Le fait qu’il ait évolué à trois postes différents dans sa carrière l’atteste. C’est-à-dire que chaque entraîneur a eu à déceler ses atouts.
D’abord latéral, il évoluait ensuite au milieu de terrain. Mais Capi avait compris qu’il était mal utilisé et profita d’un incident avec Cheick Oumar Koné pour lui confier la garde de la maison, c’est-à-dire le poste de libéro. Et c’est à ce niveau qu’on finira par comprendre que Capi ne s’était pas trompé. Voilà un libéro qui ne paniquait jamais, qui avait le sens de l’anticipation, à chaque fois qu’il constatait que son stoppeur et complice, feu Lassine Soumaoro, était en difficulté. Au fil du temps, il aura un cadet au Djoliba AC, qui pratiquement avait les mêmes qualités que lui : technicité, élégance, assurance. Il s’agit de Bakary Diakité dit Bakaryni.
Mais, paradoxalement, les dirigeants stadistes n’appréciaient pas la façon de jouer d’Adou Kanté en tant que libéro. Pour eux, il prenait trop de risques, en se réservant de dégager le ballon. En 1984, à la veille d’un match important du Stade malien en coupe Ufoa, les dirigeants du club, avec à leur tête Yacouba Traoré dit Yacoubadjan, étaient partis à l’internat rien que pour lui demander les raisons de son entêtement à ne pas dégager le ballon. Adou leur répondit tout simplement qu’il savait dans quelle circonstance il fallait dégager le ballon. Les responsables surpris par cette réplique peu discourtoise, avaient tenu à lui dire qu’il sera tenu responsable de tout arrêt cardiaque dont ils seraient victimes. Cela s’appelle : excès de confiance en soi.
Ironie du sort ou chemin de l’histoire, quand il s’est retrouvé entraîneur du Stade malien, Yacoubadjan lui a demandé comment il ressent les errements de ses jeunes joueurs dans la surface de réparation ? Adou dit avoir répondu qu’il rentre en collusion avec eux pour mieux les comprendre. C’est-à-dire que les temps changent, les réalités sont nouvelles.
Au Stade malien de Bamako, Adou Kanté a gravi tous les échelons. Cadet en 1969, deux ans plus tard il devient junior. En 1972, suite à l’indisponibilité de Issa Yattassaye, il est convoqué en équipe première, pour rejoindre les Ibrahim Berthé dit M’Bappé, Cheick Diallo, Moussa Traoré dit Gigla, Lamine Traoré dit Jules.
Auprès de ses ainés, il tisse sa toile petit à petit, jusqu’à décrocher une place de titulaire en 1976. Il saisira cette opportunité comme une balle au bond. Et durant onze ans, il contribue à écrire l’une des plus belles pages du Stade malien de Bamako, avec quatre coupes du Mali ( 1982-1984-1985-1986) , un doublé (saison 1983-1984), une finale de coupe Ufoa (1984) et plusieurs fois champion du Mali.
Entre temps, Adou Kanté fait valoir ses talents sous le drapeau national à partir de 1978, au moment où Karounga Keïta dit Kéké était l’entraîneur des Aigles du Mali. En équipe nationale, il a participé aux éliminatoires de la CAN de 1982, une coupe Cedeao, six tournois Amilcar Cabral (à Dakar 1979, à Banjul 1980, à Bamako en 1981, à Praia en 1982, à Nouakchott en 1983 et à Freetown en 1984).
Ces deux niveaux englobent logiquement ses bons et mauvais souvenirs. Son premier match en équipe première du Stade malien de Bamako, sa première sélection en équipe nationale, le premier doublé du Stade en 1984, constituent les meilleurs souvenirs de sa carrière.
La défaite en finale de la coupe du Mali en 1979 face au Djoliba ( 3 -1) , la lourde défaite des Aigles contre l’Algérie (1- 5) en avril 1981 lors des éliminatoires de la CAN 1982, le faux pas contre la Mauritanie le tracassent toujours comme mauvais souvenirs. Selon Adou Kanté, cela s’explique par le contexte et surtout l’état d’esprit dans lesquels ces défaites sont intervenues.
Six ans sur le banc technique
En 1987, Adou Kanté décide de prendre sa retraite, pendant que les uns et les autres pensaient qu’il pouvait continuer encore quelques années. Mais l’enfant de Medina Coura a vite compris que “chaque chose en son temps”.
On le retrouvera plus tard dans le staff technique du Stade malien. Comment a-t-il franchi ce pas si l’on sait qu’il est rare de revoir les anciens joueurs sur les bancs de touche ? Adou revient sur les raisons de son saut dans l’encadrement de son ancien club : “L’arrivée de Boukary Sidibé dit Kolon aux commandes du Stade malien a été marquée quelques temps après par le départ de l’entraîneur, Djibril Dramé. C’est ainsi qu’il m’a sollicité pour accompagner le doyen Tiémoko Sinaté, à qui l’équipe a été confiée pour jouer un match de championnat à Kayes contre le Sigui. Nous avons effectué le déplacement ensemble, pour ramener les trois points de la rencontre. Le Stade s’est imposé par 2 buts à 1. Au retour, j’ai continué dans le staff en qualité d’entraineur adjoint durant la saison 2009-2010. Et par la suite, je suis resté dans l’encadrement pendant cinq ans et cela jusqu’au départ de Kolon. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour remercier Boukary Sidibé pour tout ce qu’il a fait pour moi. C’est lui qui m’a donné ce que je n’ai pas gagné durant ma carrière. Il me donnait régulièrement de l’argent, avant même qu’il ne me fasse appel dans l’encadrement du Stade. Et quand il m’a recruté, j’avais un salaire conséquent, sans compter les primes de matches et de voyages “.
Quand nous avons pris l’initiative de rencontrer Abdoulaye Kanté dit Adou Kanté, ancien sociétaire du Stade malien de Bamako et des Aigles, l’homme a accepté sans ambages. Et cela, contrairement à d’autres qui posent des conditions, reportent les rendez-vous, au point de nous décourager. Ce qui explique les vas-et-vient et parfois c’est au bout d’un mois que nous parvenons à rencontrer certains de nos héros. Adou nous a reçus à son domicile à Titibougou, sur la route de Koulikoro. Malgré ses 62 ans (il est né le 28 mars 1955 à Bamako), et à l’image de Mamadou Coulibaly dit Kouicy, Idrissa Traoré dit Poker, Amadou Vieux Samaké, il garde une bonne mine bâtie sur une santé de fer. On avait de la peine à croire qu’il revenait d’une maladie. C’est cela aussi l’avantage du sport.
Juste après les formules d’accueil, l’ancien joueur du Stade a tenu à saluer la démarche de votre hebdo préféré, qui consiste à aller à la découverte des anciennes gloires du pays, toutes disciplines confondues.
Un véritable drame !
Après cette retraite d’usage, Adou pense que le drame du football malien se situe à un seul niveau : les anciens athlètes tombent dans les oubliettes après leur carrière. Certains vivent dans les conditions extrêmement difficiles. D’autres sont tombés malades avant de mourir, à l’image de Boubacar Sidibé dit Jardin et Karamoko Diané, deux anciens footballeurs. Pourtant, à un moment donné de leur vie, ils ont servi le football malien, sans état d’âme. Aujourd’hui, il est moralement aplati par l’état de santé d’un de ses anciens coéquipiers. Il s’agit de Tidiane Konaté dit Konan, cet ancien latéral gauche de charme du Stade malien des années 1970-1980.
Aujourd’hui, Konan est malade et abandonné à son triste sort. On le retrouve pratiquement tous les jours à proximité du jardin de l’ex Soudan Ciné en train de soliloquer. En ressassant les images de Konan sur le couloir gauche du Stade, on a de la peine à retenir ses émotions en le voyant monologuer dans son coin du Soudan Ciné.Des informations font également cas du mauvais état de santé de deux anciens internationaux : Seydou Traoré dit Guatigui et Drissa Konaté dit Driballon. C’est pourquoi, pour Adou Kanté, l’Etat doit faire quelque chose pour les anciens joueurs.
Après ces moments pathétiques, la question qui nous brulait les lèvres s’improvise dans le débat. Quelle explication à la complémentarité entre Adou Kanté et Lassine Soumaoro ? Certes, nous étions jeunes quand Adou était au firmament de sa carrière, mais nous n’avons jamais vu Adou et son compagnon, Lassine Soumaoro, se chamailler. Surtout qu’en son temps, Lassine Soumaoro avait dit, dans une interview, qu’Adou est le seul libéro avec lequel il se sent le mieux à l’aise. Sur la question, Adou Kanté dit que sa complémentarité avec Lassine Soumaoro reposait sur la confiance mutuelle. En plus, rarement son compère se trompait sur les actions. Donc lui, se contentait seulement de le suivre à chaque fois qu’il décidait d’intervenir. C’est-à-dire qu’entre Lassine Soumaoro et Adou Kanté, le secret était plus que les liens qui les unissaient, l’amour du club et le souci de bien faire.
Ancien employé de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali (Sonatam), grâce au football, l’ancien joueur du Stade malien affirme que c’est le football qui a fait de lui ce qu’il est. Partout où il passe, les relations créées par la discipline lui facilitent les choses.
A l’instar d’ailleurs de toute sa génération, Adou Kanté confirme qu’à leur époque le football était un plaisir, auquel s’invitait naturellement l’amour du club et de la nation. Selon lui, on ne saurait comparer une période où les primes n’éxistaient pas, à un moment où le football est devenu un business. Pour preuve, durant toute sa carrière au Stade, il n’a jamais bénéficié d’une moto de qui que ce soit. La seule moto qu’il pouvait avoir lui a été achetée par certains supporters. Mais il a retourné le cadeau, au risque d’être pris à partie par ces mêmes supporters, en cas d’erreur de sa part.
Après sa retraite professionnelle, et son départ de l’encadrement du Stade, Adou Kanté n’a pour le moment aucune ambition pour le football.
Dans sa retraite, partagée entre sa maison et la mosquée, Adou Kanté se rappelle toujours de tous ces voyages de l’équipe nationale, dans les conditions déplorables à l’époque, avec ses lots de retard d’avions, de crises de repas, de primes dérisoires.
Selon notre héros du jour, en pensant à ces moments, il oublie ses soucis et se replonge dans ses souvenirs.