Le professeur Clément Dembélé, enseignant des universités au Mali et en France et Dr en philosophie et littérature, a bien voulu nous donner son impression sur la citoyenneté, les enjeux et les prospectives de développement durable au Mali.
«La citoyenneté est un thème très complexe, et je ne suis pas là pour donner un cours de citoyenneté non plus. Mais, notre citoyenneté commencera par cette confiance en soi. Les maliens doivent comprendre que le Mali a un grand peuple, donc de ne pas aimer le Mali, c’est de ne pas aimer soi-même.
Les maliens, nous devons comprendre notre devoir avant de réclamer notre droit. Chaque matin qu’on se lève, on doit se demander, qu’est-ce que je dois faire pour mon pays.
Le fait d’avoir la nationalité malienne, de naitre au Mali ou d’aller à l’école de la République ne doit plus faire de quelqu’un un malien !
Le malien du 21e siècle est celui qui aime le Mali, qui a compris le Mali et qui peut apporter quelque chose au Mali. Le malien d’aujourd’hui, c’est aussi celui qui se donne comme premier souci, de dire, qu’est-ce-que je peux faire pour ce pays qui a tant besoin de moi.
Le premier malien, le malien le plus important sera ce nouveau type de maliens qui a compris que le pays est en danger. Parce que, ce sont les maliens eux-mêmes qui ont failli à ce devoir fondamental d’aimer la nation. C’est parce que aussi, tout simplement, le malien ne se fait plus confiance.
Quand la démocratie est arrivée chez nous en 1991, il y’a quelque chose qui s’est passée au Mali et nous avons tous raté ce petit train. Nous avons oublié quelque chose de très importante : le sens civique de la démocratie. Nous avons juste pensé que la démocratie est une affaire politique et non un acte social. Alors que celle-ci est une affaire sociale, avant d’être un acte politique.
Tel est le grand problème dans notre pays. Ainsi, le processus s’est développé comme un cancer. C’est pourquoi, tout ce qu’on fait dans ce pays est allé au simple fait que non seulement on oublie le citoyen, mais aussi celui-ci s’oublie lui-même.
C’est qui a fait que, aujourd’hui, nous sommes arrivés à un point, où nous sommes tous devenus de spécialistes de critiques. Nous critiquons et nous oublions de faire l’autocritique. Moi, je peux dire que Ben (journaliste Ali24) n’a rien fait pour le Mali, et que Salia Touré (ancien président du CNJ) aussi n’a rien fait ; mais j’oublie que moi-même, Pr Dembélé n’ai encore rien fait pour mon pays.
Sinon, comment se peut-il que dans un pays comme le nôtre, où il y’a à peu près 20 millions de maliens (les 17 millions recensés à l’intérieur plus les maliens de l’extérieur) on n’arrive pas à avoir un dialogue, un consensus ? Comment dans ce pays, dont la population correspond à celle de Paris qu’on n’arrive toujours pas à bien gérer ?
Comment dans ce pays, où on n’est fier de parler de Sony Ali Ber et des trois grands empires, notamment de Soundjata Keita, de Samory Touré et de Modibo Keita et qu’on ne parvienne toujours pas à construire la citoyenneté qui est le préalable, la chose la plus facile pour quelqu’un qui aime son pays ? C’est parce que tout simplement, nous avons cultivé dans ce pays deux choses très différentes et très dangereuses pour le développement.
La première chose, c’est de revendiquer quelque chose sans se demander ce que tu as d’abord fait (éducation dès la famille). On n’éduque plus les gens dans le bon sens. La deuxième, c’est l’école qui est malade maintenant, parce qu’elle a failli à son devoir.
La génération actuelle du Mali doit savoir qu’elle est la plus intelligente dans l’histoire de ce pays. Pour cause, la jeunesse actuelle est plus active, plus interactive et la plus motivée que le Mali n’ait jamais connue. Elle est beaucoup plus capable que tous ses anciens qui sont au pouvoir aujourd’hui.
Son seul handicap, est qu’elle n’est pas capable de s’organiser en citoyen et prouver qu’on peut lui faire confiance. Donc, elle doit avoir confiance en elle-même et se dire être capable. Cela sera le début d’une construction citoyenne.
La jeunesse ne doit pas aussi aimer d’être fonctionnaire au Mali, car avoir ce titre, est synonyme de passer toute sa vie à voler l’Etat. Alors que, sa citoyenneté ne doit pas lui conduire à l’individualisme, mais à savoir que le Mali de demain, c’est elle et qu’elle doit être ce citoyen qui capable de respecter les règles de la cité. Par exemple, quand vous arriviez avec votre Djakarta, pourquoi vous grillez le feu rouge? Parce que, vous ne voyez pas venir de voiture et puis vous en allez. Donc, à partir du moment que tu grilles le feu rouge, tu démontres que tu n’es pas bien éduqué et que tu viennes d’une famille mal éduquée qui vient aussi d’une descendance mal éduquée. Bref, toute la lignée est mal éduquée et dont tous les ascendants seront des délinquants que les bons citoyens vont emprisonner pour les nourrir en prison. Donc, à chaque fois que vous grillez le feu, vous avez porté atteinte à votre dignité, parce que vous vous dites, je m’en fou, cela est le comportement d’un mauvais citoyen.
En plus, c’est seulement au Mali qu’on voit que les gens sont fiers d’être voleurs et qui se disent, je vole sans être inquiété. C’est seulement dans ce pays que les hauts fonctionnaires de l’Etat viennent se taper la poitrine en se glorifiant d’avoir volé.
C’est aussi dans ce pays qu’on voit que la plus part des jeunes, à 90%, attendent d’être fonctionnaires sachant que le taux de fonctionnariat ne dépasse pas 5%.
Notre citoyenneté d’aujourd’hui, doit être, de se dire que, je ne veux plus être fonctionnaire et que je veux inventer moi-même, innover, créer mon propre emploi pour moi et pour les autres.
N’attendez donc plus à être fonctionnaire, car vous êtes 7000 diplômés qui sortent des universités chaque année et que seulement 3% ont la chance d’être un employé de l’Etat.
C’est pourquoi, il est extrêmement urgent qu’on arrête de penser dans ce pays que l’Etat doit tout faire pour nous. Ne cherchez plus à être embauché par quelqu’un, car la main qui reçoit est toujours en dessous. Travaillez pour vous-mêmes, mettez en tête que le Mali vous appartient.
La citoyenneté, enfin, c’est de dire que je respecte la loi, que je revendique mon devoir et que je n’accepte plus qu’on me mente. En somme, la citoyenneté doit être notre engagement social et politique ».