Signé le 15 mai 2015 puis amendé le 20 juin 2015 par le gouvernement malien et les groupes armés, l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale était censé conduire à une paix définitive dans le pays. Mais deux ans après sa signature, la paix n’est toujours pas de retour (loin de là!). La mise en œuvre de l’Accord est régulièrement interrompue par des événements qui paraissent fortuits mais qui, à l’analyse, semblent découler d’un plan concerté entre deux groupes apparemment opposés: la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, rébellion) et le GATIA, milice officiellement pro-Mali. En effet, chaque fois qu’un acte doit être posé pour faire avancer l’application de l’Accord, la CMA et le GATIA trouvent le moyen de s’affronter. Des coïncidences pour le moins troublantes, suspectes. Les exemples qui suivent en témoignent.
Incident armé juste avant la signature de l’Accord de paix
Tout commence le 1er mars 2015, quand un projet d’Accord paix est proposé par l’Algérie, chef de file de la médiation internationale. Le gouvernement malien et les groupes armés jugés loyalistes acceptent le document; les rebelles de la CMA, eux, le rejettent au motif qu’il ne prend pas en compte certaines de leurs doléances, notamment sécuritaires, politiques, administratives et financières. L’attitude de la CMA suscite la colère de la communauté internationale qui la menace de sanctions elle ne signe pas l’Accord le 15 mai 2015, date retenue pour la signature solennelle du document à Bamako par toutes les parties au conflit.
Curieusement, c’est le moment que choisit le GATIA pour envahir, le 27 avril 2015, la localité de Ménaka jusque-là tenue par les rebelles du MNLA, membre de la CMA. Ce groupe laisse 5 prisonniers aux mains du GATIA. Soutenu par ses alliés de la CMA, le MNLA lance une contre-offensive le 30 avril, tuant un combattant du GATIA et capturant 8 autres.
En prenant le contrôle de Ménaka, le GATIA arrache quelques larmes de joie aux Maliens abonnés depuis 2012 aux défaites militaires. Cependant, il viole ouvertement le cessez-le-feu et offre à la CMA un prétexte royal pour ne pas signer l’Accord de paix le 15 mai. Du même coup, le GATIA permet à la CMA de justifier sa méfiance et d’éviter les sanctions promises contre elle par la communauté internationale. L’effet ne tardera pas: après avoir crié sur tous les toits que l’Accord qu’il a signé le 15 mai ne serait pas renégocié, le gouvernement reprend bien vite le chemin d’Alger pour la… renégociation. Résultat: un nouvel Accord est signé le 20 juin 2015, qui fait la part belle aux rebelles de la CMA. Et qui est l’instigateur principal de cette victoire diplomatique de la CMA ? Le GATIA, un groupe qui se dit pourtant loyal à l’Etat malien!
Incident armé à la veille du cantonnement des groupes armés
Le 20 juillet 2015, un mois après la signature de l’Accord amendé, la Commission Technique de Sécurité finalise l’identification et la validation des sites de cantonnement, de regroupement et de démobilisation des combattants des groupes armés. Le GATIA (encore lui!) viole à nouveau le cessez-le-feu en attaquant les forces de la CMA à Anéfis et en s’emparant de cette ville. Sous la pression de la médiation internationale, de la MINUSMA et du gouvernement malien lui-même, il se retire à partir du 5 septembre 2015, laissant la CMA reprendre le contrôle d’Anéfis le 18. Mais le mal est fait: l’incident, directement imputable au GATIA, renvoie aux calendes grecques le désarmement et le cantonnement des groupes armés. Et qui est la grande bénéficiaire de ce report ? La CMA qui, en réalité, ne veut pas déposer les armes! Et qui lui donne cette victoire ? Le GATIA, censé être l’ami, voire la créature de l’Etat malien!
Pacte sur le dos de l’Etat malien
Le 2 février 2016, un millier de miliciens du GATIA entrent à Kidal à la stupéfaction générale des Maliens. On apprend peu après que l’entrée du GATIA dans le fief des rebelles s’est faite avec le consentement de la CMA. Les deux parties en profitent pour signer une déclaration commune où elles affirment la primauté des « Accords d’Anéfis » (passé entre elles seules) sur celui d’Alger (dont le gouvernement malien est signataire). Que penser d’une déclaration où un groupe armé qui se dit proche du Mali pactise avec la rébellion et jette au lac un Accord de paix signé sous l’égide de la communauté internationale ? Autre constat: c’est à la faveur de ces retrouvailles que la CMA et le GATIA dégageront les principes de répartition des autorités dites intérimaires, principes imposés par la suite au pauvre gouvernement malien.
Incident armé à Kidal
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le Mali et la communauté internationale tentent de profiter de l’entente affichée par la CMA et le GATIA pour faire avancer l’application de l’Accord de paix issus du processus d’Alger. Mais bizarrement, à Kidal, la situation se dégrade entre les Touaregs imghads du GATIA et les Touaregs Ifoghas du HCUA, principale composante de la CMA, au sujet de la gestion administrative et sécuritaire de la ville. Le 21 juillet 2016, des combats éclatent entre les deux groupes, faisant plusieurs dizaines de morts. Le GATIA se retire de la ville. Le 30 juillet, le GATIA et la CMA s’affrontent à nouveau à Edjerère, à 65 kilomètres au nord-est de Kidal, faisant de nouvelles victimes dans les deux camps. Les combats reprennent au même endroit les 9 et 10 août 2016. Le 16 septembre 2016, un nouvel accrochage à Intachdayte, à 85 kilomètres au nord-est de Kidal, fait une dizaine de morts. En septembre 2016, une partie de forces de la CMA fait dissidence pour créer le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), qui, sans vouloir rompre totalement avec la CMA, se montre plus conciliant avec le GATIA. Il n’en demeure pas moins que les combats retardent à nouveau la mise en place des patrouilles mixtes et des autorités intérimaires. Et adieu tout retour de l’Etat dans la gestion de Kidal.
Incident à la veille du retour de l’armée malienne à Kidal
Début mars 2017, après l’installation mouvementée des autorités intérimaires à Ménaka, Gao, Tombouctou, Kidal et Gao, se tient la 18ème session du Comité de suivi de l’accord de paix (CSA). L’Algérien Ahmed Boutache, président du Comité annonce le retour des Forces armées maliennes à Kidal avant le 20 juin 2017 à Kidal. C’est aller trop vite en besogne. Début juin, des affrontements sanglants éclatent dans la région de Kidal entre Touaregs Idnanes de la CMA et Touaregs imghads du GATIA, faisant 10 morts, voire 30 selon certaines sources. Ces affrontements qui, encore une fois, impliquzent le GATIA, remettent en cause le retour de l’armée à Kidal et c’est, bien entendu, la CMA qui en profite!
Après l’échec du retour prévu le 20 juin, le Premier ministre malien Abdoulaye Idrissa Maiga reçoit les représentants de la CMA et de la Plateforme le 23 juin à la primature. De commun accord, une nouvelle date de retour de l’administration et de l’armée maliennes à Kidal est fixée: le 20 juillet 2017. Une commission technique multipartite est chargée de régler les modalités pratiques du retour. Y siègent notamment le gouvernement, la CMA et la Plateforme.
Le 6 juillet, comme par miracle, patatras ! Les choses se gâtent avec de nouveaux affrontements entre la CMA et l’inévitable GATIA au sud d’Aguel’hoc. Bilan: trois morts. Le 11 juillet, des combats se poursuivent près d’Anéfis entre les deux groupes armés, faisant une dizaine de morts. Conséquence de cette énième belligérance GATIA-CMA: pas de retour de l’armée et de l’administration maliennes à Kidal!
En définitive, chacun peut constater que le GATIA ne sert pas du les intérêts du Mali. Les combats qu’il livre à la CMA le sont presque toujours à la veille d’échéances cruciales pour la paix et ont pour effet, sinon pour but, de donner à la CMA le prétexte de ne pas tenir ses engagements. Le plus pénible, c’est que le GATIA ne reçoit aucune mise en garde publique du Mali et ce, pour une raison simple: le Mali prétend n’avoir aucun lien avec le GATIA…