Comme on pouvait s’y attendre, le 5e sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du sud), que Durban a abrité les 26 et 27 mars 2013, a relancé le débat sur les relations sino-africaines. Surtout dans les médias de l’Occident pour qui l’Empire du milieu se comporterait en vrai «vampire» sur un continent balloté entre différents intérêts. Il est vrai que les relations sino-africaines ne sont pas aussi équilibrées qu’on l’aurait souhaité. Mais, elles sont néanmoins à la base de la lueur d’espoir qui perce depuis quelques années sur le continent sous forme de croissance économique.
En consacrant la majeure partie de son premier déplacement à l’étranger à trois pays du continent, le nouveau président de la République populaire de Chine entendait sûrement démontrer à l’Afrique et au reste du monde que Pékin a, plus que jamais, l’intention de développer des relations bilatérales solides avec ses partenaires africains.
Arrivé le 24 mars à Dar es Salaam pour une visite officielle de deux jours en Tanzanie, Xi Jinping s’est ensuite envolé pour l’Afrique du Sud pour le 5e sommet des BRICS (Durban les 26 et 27 mars) qui regroupe le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, et l’Afrique du Sud. La République du Congo-Brazzaville (29 et 30 mars 2013) a été la dernière étape de cette tournée africaine. Ainsi, Xi Jinping emboîte le pas à son prédécesseur, Hu Jintao qui avait parcouru18 pays africains en 10 ans de règne.
Cet attrait de la Chine pour l’Afrique ne date pas d’hier. Mais, il a fallu attendre l’accession au pouvoir de Hu Jintao, en 2003, pour réellement donner à la «Chinafrique» tout son sens, surtout tout son poids économique. Ces dernières années, l’Empire du milieu n’a cessé d’accroître sa présence en Afrique au point de prendre la première place de ses partenaires.
«Une situation enviable qui ne va sans inquiéter les investisseurs occidentaux. Sur le continent, la présence chinoise suscite parfois des critiques, voire du rejet. Pékin veut maintenant rectifier le tir en améliorant son image de marque auprès des Africains», analyse pertinemment un confrère du continent.
Au centre de toutes les convoitises
Mais, n’en déplaisent aux multinationales capitalistes, les Chinois ne cessent de consolider leur position sur un continent au cœur de toutes les convoitises. Et Cela fait maintenant trois ans que la Chine est en tête des partenaires commerciaux du continent africain. Un leadership «piqué» à la France et aux Etats-Unis.
Le montant des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique s’est ainsi s’élevé à 166 milliards de dollars entre 2010 et 2011. Depuis deux ans, Beijing est devenue le premier investisseur dans le continent noir en doublant ses crédits portés à 20 milliards de dollars (16,5 milliards d’euros).
Avec une économie qui ressent à peine la récession mondiale, la demande chinoise de matières premières est toujours forte. Ainsi, 80 % des achats chinois à l’Afrique portent, dans l’ordre, sur le pétrole brut, le minerai de fer, le manganèse et le cuivre. On peut également y ajouter, dans des proportions importantes, le bois et le cobalt.
En échange, la Chine a été un vrai moteur pour la construction d’infrastructures (constructions de routes, d’hôpitaux et autres bâtiments ou encore des remises à niveau de lignes ferroviaires) ainsi que pour des projets pétroliers, notamment au Niger. Des investissements jugés insuffisamment rentables par les entreprises occidentales. Des réalisations qui sont pourtant plus rentables et bénéfiques aux populations que les «Eléphants Blancs» qui ont énormément contribué à l’endettement des pays africains dans les années 70-80.
Les puissances occidentales et leurs médias reprochent surtout à la Chine de ne s’intéresser qu’aux matières premières africaines tout en inondant le marché continental des produits manufacturés de moindre qualité. En réalité, elles sont inquiètes de la concurrence chinoise parce qu’elles convoitent les mêmes choses : ces précieuses matières premières et l’immense marché africain ! Le continent, c’est avant tout un milliard de consommateurs ! Certes, comme le soulignent des économistes, c’est une population qui a encore un faible pouvoir d’achat, mais «les entreprises chinoises connaissent très bien ce marché puisqu’il ressemble à celui de leur pays. Ainsi, ils savent qu’il faut des produits simples, faciles a réparer, sans forcément de haute technologie».
Terre d’exil et d’affaires
Ces dernières années, l’Afrique est aussi une «destination privilégiée» pour la population chinoise, qui vient migrer sur le continent. Ainsi, en 2007, ils étaient 750 000 Chinois sur le continent contre seulement 100 000 Français. Ce qui favorise sans doute l’expansion de la culture chinoise dans le berceau de l’humanité.
Lors du dernier forum Chine-Afrique, le chef de l’Etat chinois s’est engagé à envoyer 1 500 personnels médicaux sur le continent et à attribuer des bourses à 18 000 étudiants. Un partenariat que le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait alors qualifié comme étant «l’un des meilleurs exemples de réussite de la coopération Sud-Sud».
Les progrès chinois en Afrique sont en partie liés au fait que l’Empire impose peu ou pas du tout de conditionnalités à son aide. Il se garde surtout de s’ingérer dans les «affaires internes» de ses partenaires, contrairement aux puissances industrielles qui s’insurgent chaque fois en donneuses de leçon, notamment en matière de Droits de l’Homme et de démocratie.
«Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts», disait le Général Charles de Gaulle (22 novembre 1890-9 novembre 1970). Il ne faut donc pas en vouloir à la Chine de tirer le meilleur profit de son amitié avec un continent dont les populations sont de plus en plus dépitées de la cupidité et l’ingérence occidentales.
Surtout que l’Afrique ne perd pas totalement dans des échanges plus fructueux que ce que le continent avait jusque-là connu. La Chine est en train d’améliorer l’économie africaine. Ainsi, la plupart des pays africains on vu leur PIB global augmenter, car le prix des matières premières augmente grâce aux investissements chinois.
Allié bienveillant ou «Prédateur» ?
«Les Chinois dopent la croissance africaine, c’est incontestable. Cela permet donc à l’Afrique d’être plus insérée dans les relations internationales. Au niveau du développement, la Chine investit aussi dans l’éducation. Par exemple, 13 000 bourses vont être bientôt données à des Africains pour qu’ils puissent étudier en Chine», souligne Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, en charge de l’Afrique.
«La Chine achète surtout des matières premières, et elle réexporte des produits déjà transformés. Mais quand on regarde les chiffres, la Chine a souvent un déficit commercial avec l’Afrique. Ce sont les Africains qui gagnent le plus d’argent à la fin de l’année. Sauf pour 2011, car le prix du pétrole a beaucoup baissé. Le commerce est donc beaucoup plus équilibré qu’il n’y paraît», analysait récemment François Lafargue, spécialiste de la Chine, professeur à l’école ESG.
N’empêche, précise M. Hugon, «l’Afrique reste essentiellement exportatrice de produits primaires, ce qui ne permet pas le développement de l’industrie. A cela s’ajoute le fait que les grands projets de constructions publiques (routes, chemins de fer etc.) se font essentiellement avec de la main d’œuvre chinoise. Ils ne créent donc pas d’emplois pour les Africains». Les emplois créés sont rarement rémunérés à hauteur de souhait.
D’où un nécessaire rééquilibrage des relations sino-africaines. Il est vrai que la Chine ne s’octroie pas un devoir d’ingérence dans ses relations avec l’Afrique. L’Empire du milieu a par exemple été la seule puissance a conservé ses relations avec le Mali après le coup d’Etat du 22 mars 2012.
L’augmentation du prix des matières premières (coton, bois, etc.) en Afrique se fait grâce au dynamisme de la Chine. Mais, elle est perçue comme «prédatrice» car «elle bouleverse certaines entreprises africaines qui font alors faillite, ou bien elle s’approprie parfois certaines côtes telles que les zones de pêche».
«Les relations sont asymétriques. Ceci étant, les relations avec les anciennes puissances coloniales l’étaient aussi. Il y a une forme de présence chinoise qui s’apparente au colonialisme», reconnait Philippe Hugon. En effet, aujourd’hui, l’Occident reproche à la Chine ce qu’elle n’a pas fait dans nos Etats en près de deux siècles de colonisation et de néocolonialisme.
L’éternel réservoir de matières premières
Les puissances coloniales se partagèrent l’Afrique, rapidement et sans concession, au cours des vingt dernières années du 19e siècle. La lente pénétration européenne en Afrique, tout au long du cette période, connut une brutale accélération à la fin des années 1870, notamment après la conférence de Berlin (1884-1885),
On sait que les colonies n’avaient pas vocation à rapporter directement de l’argent à leur métropole. Elles constituaient plutôt et essentiellement «un réservoir de matières premières» pour les industries métropolitaines, et des débouchés pour les biens et services fabriqués en métropole.
Cette fonction systémique a été amplement remplie jusqu’au-delà de la période coloniale, puisque l’Afrique dite du «pré carré français» demeure encore l’une de ses principales sources d’approvisionnement en matières premières, notamment en vertu d’accords économiques, financiers et monétaires conclus à la veille des indépendances: café, cacao, pétrole, arachide, coton, bois, uranium, bauxite, phosphate, etc. Dès 1911, la Gold Coast (actuel Ghana) devenait le premier producteur mondial de cacao.
Quant aux investissements financiers de la métropole dans ses colonies, les principaux destinataires et bénéficiaires de ces transferts étaient les compagnies métropolitaines spécialisées dans l’exploitation économique des colonies. Les commandes d’infrastructures étaient faites à des sociétés comme Colas, tandis que les subventions aux productions agricoles enrichissaient la CFSO (Compagnie forestière Sanga-Oubangui), la CFAO (Compagnie financière de l’Afrique occidentale), la CICA (compagnie industrielle et commerciale africaine) ou encore la SCOA (Société commerciale de l’Ouest africain). Et celles-ci rapatriaient leurs profits en Métropole, les colonies devenant ainsi de gigantesques réservoirs de matières premières pour les puissances coloniales.
Sans compter que ces cultures d’exportation et l’exploitation des matières premières minières étaient et sont toujours développées au détriment des cultures vivrières dont vivent les paysans des pays colonisés.
Aux Africains de se battre pour tirer les meilleurs profits de leurs précieuses richesses
Les colonisateurs ont souvent recours à la spoliation des terres, comme en Algérie, voire au travail forcé, surtout en Afrique noire. La colonisation avait accentué aussi les inégalités à l’intérieur des sociétés rurales. En Algérie, à Ceylan, en Côte-d’Ivoire, elle a favorisé l’enrichissement d’une bourgeoisie indigène au détriment de la paysannerie traditionnelle forcée d’aller vivre dans les premiers «bidonvilles».
Si transfert de technologie il y a eu, il est infime par rapport aux besoins réels de l’Afrique, surtout des jeunes Etats indépendants. Certains d’entre eux, comme le Mali de Modibo Kéita, ont opté pour le transfert via des puissances communistes comme l’ex-URSS afin de soutenir leurs jeunes économies par des industries fortes. Des expériences qui ont malheureusement tourné court avec les coups d’Etat bénis par la France à travers les réseaux de Jacques Foccart.
Finalement l’Afrique, surtout francophone, n’a hérité des puissances que les tares (complexe culturel, corruption, népotisme, le goût effréné pour les produits manufacturés importés) de leur expérience coloniale. Le transfert de technologie est resté embryonnaire voire inexistant.
Mais, cela ne doit pas être une raison pour les Africains de ne pas exiger cela de la Chine. Le transfert de technologie est aujourd’hui indispensable pour consolider et améliorer la croissance amorcée sur le continent grâce aux relations sino-africaines.
Et comme le disait le directeur de recherche à l’Iris, Philippe Hugon, «le problème est uniquement d’ordre politique. Dès lors que vous êtes convoité, dès lors qu’il y a plusieurs partenaires possibles, il faut augmenter les enchères avec des contreparties comme un accès à la technologie ou des créneaux d’exportations sur le marché chinois. Les cartes sont dans les mains des Africains». Il est temps que nous apprenons donc à réellement à profiter, de façon juteuse la grande convoitise dont notre continent fait objet depuis des siècles !