Ce jour-là, l’emblématique roi de Ségou, Da Diarra, demande à son griot favori, Tiéntiguiba Danté : qu’est-ce le pouvoir ? Le spécialiste de la parole bien ciselée lui répond : que toi, fama, fasses ce dont nous, jama, sommes convenus. En ces temps-là, l’on ne parlait pas de démocratie. Du reste, le Bamanan a-t-il jamais su ce qu’est la démocratie ? Cependant, existe-t-il meilleure conception du gouvernement par le peuple que celle contenue dans la réponse donnée au roi ? Qu’est-il demandé au Prince, en l’occurrence, le roi ? Qu’il soit à l’écoute du Souverain, le peuple, et agisse conformément à la volonté de ce dernier. Jean-Jacques Rousseau ne proposait pas autre chose avec Le Contrat social.
Voilà qui pourrait inspirer en ces temps de crise née d’une volonté du Président de la République de réaliser une révision constitutionnelle par voie de référendum. Sur le sujet, il a eu une déclaration très forte : Je trahirai si je ne réalise pas la révision. Mais, pourrait-on demander : qui va-t-il trahir ? Le peuple qui l’a élu ? Comment ne pas faire le constat que ce peuple s’est déjà prononcé à travers meetings et marches?
Il est demandé de s’en remettre à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, de s’en remettre au verdict des urnes, de s’abstenir mais de ne pas empêcher le vote des Maliens. La rhétorique ne convainc nullement. En effet, comment s’en remettre à l’arrêt d’une institution qui, dans un suivisme plus que candide, en est arrivé à présenter l’insécurité que connaît, actuellement, notre pays comme une « insécurité résiduelle » ?
La démocratie offre plus d’un espace d’expression. L’idéal serait que l’on s’en remette aux débats parlementaires pour trancher, que les élus du peuple se manifestent pour décider des orientations à suivre. Mais nul n’ignore comment l’on accède à l’Assemblée Nationale dans ce pays, nul n’ignore que le parlementarisme tel que vécu dans notre pays ne permet pas de remettre en cause les décisions voulues par l’exécutif : de la part d’un élu membre de la majorité, voter contre un projet de loi, c’est exposer le gouvernement et, partant, le parti auquel on appartient. La collaboration entre l’exécutif et le législatif se ramène à un soutien affiché à l’exécutif par le législatif.
Ne se sentant pas suffisamment représenté par ses « honorables » représentants, le peuple choisit un autre espace d’expression : la rue. Cela pourrait paraître aberrant, tant la rue peut être dangereuse ; mais la Constitution l’autorise. Les opposants au référendum et, parmi eux, d’éminents juristes, le savent. Que cela soit au carrefour de l’Obélisque ou devant la Bourse du Travail, ils se sont retrouvés par milliers pour demander le retrait d’un projet de loi plus que controversé. La semaine dernière, leur détermination s’est davantage manifestée. Chose inédite dans les annales du pays, ils ont adressé un ultimatum au président de la République : le retrait du projet ou la désobéissance civique et ce, dans un délai déterminé.
Serait-ce un frémissement ? Le président se dit prêt à les rencontrer dans le courant de cette semaine. Samedi 12 août, il a reçu les autorités coutumières. Une recommandation lui a été faite : même s’il ne retire pas le projet, qu’il temporise ! L’opposition ne demande pas mieux. Ce n’est pas l’initiative de réviser la Constitution qu’elle conteste. Ce qu’elle récuse, c’est le moment choisi pour le faire et le moment n’est nullement propice.
La mise en œuvre des dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger aurait dû commencer par le désarmement et le cantonnement des rebelles afin que, de retour sur le terrain, l’Etat garantisse l’ordre et la sécurité. Cela n’a pas été. Instituer un Sénat avant ce préalable reviendrait à placer la charrue devant les bœufs. Quant à la Cour des Comptes, la CEDEAO pourra attendre. Elle n’ignore rien de notre situation.
Au cas où il y aurait référendum actuellement, ceux qui ne pourraient pas y participer seraient plus nombreux que ceux qui pourraient le faire. Ce sont les exilés et tous ceux-là qui, dans l’angoisse, sont privés de la protection de l’Etat au nord et au centre du pays. Et, parmi ceux qui pourraient y participer, le pourcentage de ceux-là que cela n’intéresse pas est plus élevé que les quelques militants du RPM qui, sans conviction, accepteront de faire le déplacement vers les urnes. Comment parler de Sénat, de Cour des Comptes, de suppression de la Haute Cour de Justice au paysan, à l’éleveur, à l’artisan du Mali profond qui suent sang et souffrance pour assurer les trois repas quotidiens ; en particulier, en cette période de soudure ?
Plus d’une raison plaide en faveur d’une meilleure appréciation de la situation. Aussi, puisse la rencontre prévue cette semaine entre le chef de l’Etat et le camp du refus servir de tremplin pour nouer un dialogue afin de trouver une solution aux problèmes qui nous préoccupent actuellement. L’Etat s’est effondré. Pour le relever et le reconstruire, ni un seul homme, ni un seul parti ne suffisent. Il ne s’agit pas d’en appeler à un gouvernement d’union nationale qui ne serait qu’une redistribution de prébendes ; il s’agit d’une union sacrée des patriotes conviés à un dialogue afin que le Mali renoue avec l’unité, la concorde et le développement.