Barry n’avais jamais travaillé dans un chantier. Maintenant il marche doucement à cause d’une blessure qui l’accompagne depuis ce jour-là. Une pointe a été suffisante pour mettre fin à son séjour en Algérie. Ses compatriotes l’ont amené à l’hôpital pour les premiers soins. Un banal accident de travail constitue, pour un ‘irrégulier’, comme une condamnation. Il reste ce qu’il peut puis il prend la décision de rentrer en Guinée d’où il était parti, il y a quelques mois, cherchant fortune ailleurs. Dans son pays, il vendait les téléphones portables, les cartes et aussi des petites boites de savon en poudre. De l’autre côté de la conversation tout était meilleur, les images et les voix garantissaient un plein succès. Barry est donc parti sans rien dire à sa famille. C’est seulement quand un groupe de rebelles, après l’avoir dépouillé, l’a vendu à un autre groupe, il a appelé son frère en Côte d’Ivoire pour se faire envoyer de l’argent du rachat. C’est ainsi que sa famille a su qu’il se trouvait en Algérie. La pointe, il la porte encore dans la chair. Il suffit de regarder le désert, militarisé, quadrillé, vendu et encerclé par les barrières armées de l’Europe.
L’homme ‘’marchandise’’ dans le désert
A la gare des bus et des taxis d’Agadez, l’on négocie les passages ‘clandestins’ des frontières. Pour l’Algérie ou la Libye, en échange de 80 000 francs CFA. Le piège se découvre plus tard dans le désert. La voiture s’arrête et les passagers sont abandonnés à leur destin jusqu’à l’acheteur suivant. Peut-être le chauffeur arrivera le jour suivant, après une nuit de marche dans le désert, et, arme à la main, il demandera le reste de l’argent pour les conduire au village suivant. Autre étape, autre acheteur. On paie cela avec le travail de quelque semaine au chantier ou ailleurs. Faute de travail on sera obligé d’appeler la famille lointaine au pays. C’est à cela qui devait conduire le blocus de la mer du désert de pierre, sable et pointes. Une de ces dernières accompagne Barry. Sa couronne est une couronne de pointes et le jour de son passage est un jour au hasard du calendrier migrant. Les jours qui passent et reviennent, expulsés, détenus et vendus l’étape suivante à l’autre commerçant de vie humaine. Un calendrier fabriqué en Europe, sans jours de fête et sans Dieu. Les mois, les semaines et les années passent dans la tentative de trouver le jour qui n’existe pas. Le jour de l’arrivé. Il a disparu parce qu’il a été rapatrié sans documents.
Dans son pays Alpha vendait les cigarettes et il conseillait aux clients de ne pas fumer pour éviter de tomber malades. Il ne lui restait que de quitter sa patrie et d’aller en Algérie où l’on contrebande le travail des migrants dans les chantiers et les champs. Il a commencé à cultiver les fraises dans un jardin pendant la bonne saison. A la fin du contrat, le patron ne l’a pas payé, mais il l’a dénoncé à la police comme ‘irrégulier’. Il trouve ensuite un travail en cachette dans un restaurant. Alpha ne sera pas payé. Accusé comme potentiel ‘terroriste’, certainement vendeur de drogue, avec toute probabilité criminel et donc migrant, selon les dernières mesures de control, il sera expulsé. C’est une étrange catégorie que celle des migrants, depuis quelques temps partout dans les medias. Ici au Sahel on les appelait avec respect ‘exodants’, ensuite ils se sont transformés en aventuriers, et enfin décrétés ‘irréguliers’ et donc ‘illégaux’ ou criminels selon les circonstances. Sur eux on réalise des affaires sans fin. Les migrations sont une industrie qui enrichi toute la filière qui, grâce à elle, assoit sa gloire. Les bienfaiteurs de l’humanité sont innombrables. Avec le prétexte de sauver des vies humaines, ils achètent les frontières, les déserts, la mer et les fraises. A la fin, il ne reste qu’une blessure, celle que Barry apporte à la maison comme un souvenir de voyage.
Mauro Armanino
Contributeur du site 30minutes
Niamey, Aout 2017