C'est la grande inconnue de l'accord toujours en discussion entre les deux principaux groupes touaregs du Nord du Mali, Ansar Dine et le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Pas un mot sur le sort qui sera réservé à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans un premier protocole d'entente signé samedi entre les deux mouvements.
Bloqué à la toute dernière minute lundi pour cause de nouveaux désaccords, ce texte prévoyait leur "auto-dissolution" et la création d’un "Etat islamique", dirigé par un "Conseil transitoire", sur le territoire de l'Azawad, le vaste désert septentrional du Mali dont les touaregs se sont emparés début avril.
Pourtant, l’organisation terroriste islamiste, qui détient toujours 20 otages dont 6 Français dans la région, est au cœur de leurs dissensions : alliée des premiers, qui prônent l'instauration de la charia (loi islamique) dans tout le Mali, elle est l’ennemi juré des seconds, laïques et indépendantistes. Aqmi fait-elle partie des concessions que chacun est en train de faire pour arracher un accord ?
Les islamistes en position de force
Les négociations sont ardues reconnaît Moussa ag Assarid, l’un des porte-parole du MNLA. Il aura fallu trois semaines de tractations pour que chacune des deux parties, sous la pression des chefs religieux et coutumiers locaux, fasse "un pas l'un vers l'autre, car il fallait à tout prix éviter une guerre fratricide entre touaregs". Résultat, dans le texte élaboré samedi, le MNLA renonce à la laïcité et Ansar Dine accepte de se dissoudre et de reconnaître l'indépendance de l'Azawad.
A l'évidence, le MNLA a mangé son chapeau. Il minimisait jusqu’à cette nuit la portée de cette énorme concession en martelant que cet islam ne serait pas radical, que le peuple de l'Azawad opterait plus probablement pour un modèle modéré de type mauritanien. Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains, lui donne d'ailleurs raison : "Je ne crois pas à l'instauration de la charia dans l'ensemble du nord du Mali. Sauf si elle est imposée par la force. Les seuls mouvements de protestation de la population locale depuis que les rebelles ont pris le nord ont été justement tournés contre les interdictions prises en vertu de la loi islamique."
Mais Iyad ag Ghaly, le chef d’Ansar Dine, aurait fait parvenir lundi de nouvelles exigences au MNLA : l’application de la charia pure et dure, et l’interdiction des organisations humanitaires non-musulmanes. Le MNLA refuse de céder sur ces deux points qui remettent en question le texte sur lequel les deux parties s’étaient entendues.
Reste que le rapport de force semble bel et bien favorable aux islamistes : affaiblis, financièrement et militairement mal en point, les rebelles touaregs du MNLA ne peuvent pas dicter leurs conditions à l’attelage Ansar Dine-Aqmi, grassement nourri par l’argent des rançons et du trafic de drogue.
Le troisième point de l'accord
Pourtant, Moussa ag Assarid jure qu’Aqmi ne fait l’objet d’aucun compromis. Pour preuve, il avance un "troisième point du document interne aux discussions", curieusement passé inaperçu. Il y est écrit, assure-t-il, que "les deux parties rejettent et combattent toute détention d'armes par un individu ou un groupe sur le territoire de l'Azawad".
Cette formulation aurait le mérite, veut-il nous convaincre, d’englober tous les groupes armés sans foi ni loi qui sévissent dans la zone (groupe dissident d’Aqmi, islamistes du mouvement nigérian Boko Haram, narcotrafiquants..) et d’éviter de déclarer ouvertement la guerre à Aqmi alors, admet-il, qu’"on n’est pas prêt". Mais l’énoncé donne plutôt l’impression que le MNLA se heurte à un refus catégorique de la part du chef d’Ansar Dine de s’en prendre à son allié terroriste.
Aqmi, tapi dans l'ombre
Si la fusion des deux groupes rebelles touaregs aboutit, "on pourra l’appréhender de deux manières", résume le chercheur Pierre Boilley. "Si l'on est optimiste, on peut espérer, d'une part, qu'il sera plus facile de négocier avec un seul interlocuteur plutôt qu'avec plusieurs groupes et, d'autre part, que cet accord contribuera à isoler Aqmi. Dans la version pessimiste, d'une part Bamako refuse d'autant plus de discuter que cette alliance le conforte dans l'idée qu'il n'a affaire qu'à des terroristes islamistes et, d'autre part, Aqmi se sert de cet accord pour peser sur le devenir de la région".
Les discussions qu’Ansar Dine a tenues en parallèle avec Aqmi et qui se sont achevées lundi pourraient être de mauvais augure. D’autant que c’est à l’issue de ces négociations qu’Ansar Dine a durci sa position sur la charia. Faut-il y voir un double jeu de la part d’Iyad ag Ghali ? "Nous faisons confiance. Jusqu'à preuve du contraire," commente prudemment Moussa ag Assarid. Faute d'alternative, c'est aussi, semble-t-il, la position de la médiation ouest-africaine, qui a pris langue avec le MNLA et Ansar Dine. Et de l'Algérie, l'incontournable puissance voisine dont tous épient chaque battement de cil, qui appelle elle aussi au "dialogue".