Tous ceux qui ont connu Bakary Diakité dit Bakaryni se rappellent aujourd’hui d’un joueur technique, élégant dans sa démarche, avec épaule cassée comme ces gentlemen des années 1970. Il avait le don de la maîtrise de soi dans les situations plus délicates, voire inespérées. Contrairement à beaucoup de stoppeurs, ” l’élégant Bakary ” ne paniquait jamais et rarement il dégageait le ballon à l’aveuglette. Parce qu’il était doté d’une technicité extraordinaire, pour avoir évolué comme milieu dépositaire depuis le bas âge jusqu’à son intégration dans l’équipe sénior du Djoliba. Nous l’avons rencontré dans le quartier de Bolibana, dans le cadre de la rubrique ” Que sont-ils devenus ? “. Après sa retraite, l’homme s’occupe d’un centre de formation des jeunes, mais dans des conditions extrêmement difficiles. Il nous parle de sa carrière et lance un cri de cœur pour l’accompagnement de son centre, seule source de revenus pour lui dans un pays où l’indifférence des autorités fait plonger beaucoup d’anciennes gloires dans les ténèbres.
Pour la rédaction de ce numéro de notre rubrique ” Que sont -ils devenus”, nous nous sommes retrouvés dans un tourbillon de questionnements. A savoir. Faudrait-il continuer de dire que l’Etat malien doit penser aux anciens sportifs du pays ? Devrons-nous éviter que nos héros fassent allusion de leur cri de cœur ? Faudrait-il communiquer leurs contacts, adresses ou numéros de comptes bancaires (pour ceux qui en ont) pour les éventuels soutiens qui pourront leur venir en aide ?
Le jugement de Brimis !
C’est l’occasion ici de dévoiler le cas du jeune Malamine Konaré, le fils de l’ancien président du Mali, Alpha Oumar Konaré. A la suite d’un de nos articles, l’Officier a cherché le contact du joueur dont la santé était dégradée, pour lui envoyer de l’argent par transaction téléphonique. Le joueur, très ému, a été reconnaissant envers nous et a proposé même de nous envoyer une partie du montant reçu. Offre que nous avons déclinée, par principe, parce que nous pensons avoir fait notre devoir dans un métier qui nous passionne.
En réalité, le même refrain par rapport aux mauvaises conditions de vie de certains anciens joueurs internationaux refait surface à tous les niveaux. Le problème prend une autre dimension. Même les parents reconnaissant tout ce que l’un des leurs a fait pour le sport malien, sont choqués par le sort réservé à toutes ces anciennes sommités du pays. Tel fut le cas dans la famille de notre héros du jour, Bakary Diakité dit Bakaryni. Arrivé dans sa famille à Bolibana, peu avant le crépuscule, nous le portâmes absent. Mais, il avait laissé des consignes pour qu’on s’occupe de nous avant son retour. C’est ainsi que son grand frère, Ibrahima Diakité dit Brimis, nous a entretenus autour d’un thé. Sa connaissance de l’histoire du football malien nous a poussés à nous intéresser à sa personne, avec une pluie de questions. C’est à ce niveau que nous finirons par comprendre qu’il fut un bon gardien, mais qui a manqué de chance.
Après ses débuts au FC Renaissance de Bolibana, il transfère au Djoliba. Mais la célébrité de Sory Kourouma et le statut de dauphin de Mouctar Sidibé rendent son avenir sombre chez les Rouges. Il quitte pour le Stade malien de Bamako où Modibo Doumbia dit Modibo Dix et Bakary Traoré “Yachine” lui barrent la route. Il deviendra alors une grande vedette de l’équipe de la Commune III dont les responsables ont bloqué sa licence quand il a été sollicité par l’AS Réal. Cela lui a fait mal et finalement il a fini par raccrocher pour aller à l’aventure en 1982. Nous avons beaucoup appris de lui sur le football malien.
Echec à Ekoulé et Krimau !
Entre temps Bakary arrive, Brimis le regarde longuement pour ensuite dire dans un sourire, que son frère méritait mieux, comme récompense, qu’un centre de formation où on lui donne un salaire dérisoire équivalent au Smig. Pour l’aîné, le football malien est ingrat, sinon on ne rencontrerait pas aujourd’hui des anciens internationaux dans les rues de Bamako, en train de tirer le diable par la queue. Il est convaincu que la situation changera un jour. Sur ces mots, Bakary s’installe juste à côté de lui. Nous profitons pour lui poser la question de savoir pourquoi, en 1989, lors du dernier match qualificatif des Aigles pour les ½ finales de la Coupe Cabral contre la Guinée Bissau, il n’a pas répliqué quand Yacouba Traoré “Yaba” l’a bousculé pour s’emparer du ballon ? A titre de rappel ce jour, après avoir quitté les griffes des Lions du Sénégal, les Aigles devraient encore s’imposer pour se qualifier en ½ finales. Dans les ultimes minutes, le Mali obtient un coup franc, et Bakaryni s’apprêta à l’exécuter. Brusquement, Yaba surgit dans le dos et le bouscule. Vingt-huit ans après, personne ne sait comment ce coup franc tiré par le jeune Yaba, a pu tromper le gardien Bissau guinéen et propulser les Aigles en avant. Ce but libérateur a plongé Bamako et le Mali entier dans une joie immense. La réponse donnée par Bakary par rapport à l’attitude de Yaba met en évidence leur complicité. Il soutient que Yaba est son intime ami, mais qui le contredit très rarement. Mais chaque fois qu’il pose un acte dans le sens de la contradiction, lui, Bakary comprend qu’il ne faut pas insister. C’est le même instinct qui l’a commandé, sinon il était un bon tireur de ce genre de coups francs que Yaba a marqué ce jour.
Durant sa carrière, au Djoliba AC, ou en équipe nationale, Bakary Diakité s’est toujours imposé. Et Youssouf Sidibé qui lui a remis sa dernière paire de crampons afin qu’il le remplace, nous a dit qu’il est fier de lui. Le seul joueur qui a pu le défier est l’Ivoirien Dally Benoît, l’ailier gauche des Eléphants de Côte d’Ivoire. Celui-ci était vraiment un attaquant véloce et vivace. Sinon Bakaryni a fait échec au Camerounais Eugène Ekoulé au summum de son art. C’était en 1981, lors du match épique Djoliba-Union de Douala à Bamako. Parce que le joueur Camerounais voulait marquer à tout prix pour humilier le gardien Sory Kourouma “Remetter” qui avait confié au doyen Madou Diarra dans les colonnes de Podium : ” Ekoulé ne me marquera pas de but ! “ Dans l’honneur tenu du portier rouge, Bakary Diakité a été d’un très grand apport.
Aussi, le Marocain Mery Krimau se souviendra longtemps du jeune défenseur malien, pour avoir subi sa foudre à Bamako lors du match retour des éliminatoires de la CAN Côte d’Ivoire 1984. C’était exactement le 24 avril 1983 au stade Omnisports.
Un centre de formation sans ballons
A peine que Bakary termine de parler de sa complicité avec Yaba, son frère Brimis profite d’une brèche pour s’engouffrer en demandant à son cadet ce qu’il pense de l’indifférence des autorités vis-à-vis des anciens footballeurs, basketteurs et autres sportifs qui ont mérité de la Nation. Selon lui, il ne l’a jamais vu parler de ce problème malgré son calvaire.
L’enfant de Bolibana avance une argumentation émouvante : ” ce problème a tellement été abordé que je me demande si mon avis servirait à quelque chose. Nous déplorons cet état de fait, mais que faire ? Si ce n’est de s’en remettre à Dieu. Depuis 2010, je forme des jeunes dans un centre de football dont le financement a été assuré par le président ATT. Mais aujourd’hui, je suis confronté à d’énormes difficultés. La direction du Stade Ouezzin Coulibaly pose trop de problèmes qui entravent le bon fonctionnement de mon centre. J’ai été obligé de transférer mes séances d’entraînement au terrain Edm de Darsalam. Et je vous avoue que mes ballons sont défectueux, à telle enseigne qu’on aperçoit les chambres à air. C’est évident que l’Etat ne pense pas à nous, le seul centre qui peut nous permettre de vivre a des difficultés pour survivre. Comment comprendre qu’après avoir formé des jeunes depuis qu’ils venaient au terrain avec le biberon, je n’ai reçu que la somme de vingt mille Fcfa, comme retombée quand ils ont été prêtés à deux clubs de San et Koulikoro. Cela m’a trop touché, je n’ai pu avoir aucune explication venant de la direction du stade Ouezzin Coulibaly. Pourtant, j’ai des informations, selon lesquelles, les deux équipes ont versé beaucoup d’argent. C’est pourquoi, je demande aux gens de bonne volonté de nous aider en matériel pour permettre aux jeunots que nous formons d’atteindre leurs objectifs. Aujourd’hui, j’utilise des cailloux pour inculquer aux enfants certaines notions.”
Malgré ces moments difficiles de sa retraite footballistique, liés aux conditions de fonctionnement de son centre, Bakary Diakité garde le moral. Il se dit convaincu que rien ne pourra le décourager. Parce qu’il n’a connu que ce football depuis son enfance en 1976 à Bolibana, où il évoluait au club Hafia du quartier sur le terrain Harlem. C’est la même année que son ainé de quartier, Boubacar Koné dit Becken l’a remis à l’infatigable Aly Koïta dit Faye, chargé de la formation des catégories de jeunes du Djoliba.
Trois clubs, trois raisons !
A l’époque, Bakary était minime. Malgré son talent, il ne brûlera aucune étape pour se retrouver avec les seniors. En 1977, il porte le galon de cadet, puis celui des juniors trois ans après. Comme Youssouf Sidibé venait d’être muté à Koutiala, il fallait trouver un joueur de sa trempe pour le remplacer chez les Grands. L’occasion de tester Bakary Diakité s’est offerte à l’issue du tournoi Mamadou Konaté, après le départ des Aigles à la coupe Cabral en 1982. Il relève le défi et Youssouf lui remet sa dernière paire de chaussures pour le remplacer. Ce fut le déclic pour l’enfant de Bolibana, qui s’imposa comme la tour de contrôle de la défense des Rouges auprès de Sadia Cissé, jusqu’en 1985, où un clash se produit entre les dirigeants et lui. Il plie ses bagages pour l’As Biton de Ségou. Pourquoi ? Bakary Diakité donne sa version des faits : “A l’époque, j’ai donné 300 000 Fcfa aux dirigeants du Djoliba afin qu’ils complètent pour m’acheter une moto. Entre temps, d’autres joueurs venus de l’intérieur ont reçu des motos. Devant un tel déséquilibre dans le traitement des joueurs d’un même club, j’ai exigé à ce que mes sous me soient remboursés. Les dirigeants n’ont pas tenu une bonne oreille à ma revendication. Et j’ai pris la lourde responsabilité de quitter le Djoliba pour l’As Biton de Ségou. Surtout qu’Amary Daou avait de réelles ambitions pour sa région”.
Fougue de jeunesse ou incompréhension, tout compte fait, cet incident n’a pas enchanté Faye. Après deux ans, il est allé chercher le fruit de sa pépinière afin qu’il continue sa progression dans le jardin familial, c’est-à-dire le Djoliba. Il récupère sa place de titulaire.
La rupture entre le Djoliba et Bakary Diakité se produira une seconde fois en 1991, quand certains dirigeants et supporters l’ont accusé de corruption. Parce qu’à l’époque, le Djoliba ne gagnait pas et avait des difficultés à se faire du chemin. Le moment propice pour les gens de mauvaise foi de faire porter le chapeau de cette disgrâce du club à trois joueurs : Abdoulaye Traoré, Aboubacar Traoré dit Artiste et Bakary Diakité. On les accusait de vendre les matches du Djoliba contre le Stade malien de Bamako. Blessés dans leur orgueil par des accusations qui avaient tendance à nuire à leur dignité, les trois joueurs quittent le Djoliba.
Avec le Stade où il déposa ses valises, Bakaryni a réalisé un doublé en 1995 et profita de cet exploit pour mettre fin à sa carrière. Il prenait de l’âge et les jeunes attaquants prêts à défier leurs ainés germaient de partout. Deux ans auparavant, il avait pris aussi sa retraite avec les Aigles dont l’aventure avait commencé en 1982, avec Idrissa Touré dit Nany.
Comme mauvais souvenirs, Bakary Diakité pense encore à ce but qu’il a marqué contre son camp en 1985 en finale de la coupe du Mali Djoliba AC-Stade malien de Bamako. Aussi, ce penalty raté en Sierra Leone lors du tournoi Cabral demeure une psychose dans sa tête.
Ce qui le requinque, même pendant les moments difficiles est ce sacrifice qu’il a consenti pour son pays. En aucun moment, l’absence de primes, les mauvaises conditions des voyages n’ont affecté le moral de sa génération en équipe nationale. Au contraire, ils s’impatientaient de se retrouver à l’internat pour joueur aux cartes, ou évoquer les souvenirs d’enfance.
Comme anecdote, l’enfant de Bolibana se souvient de ce match des Aigles contre les Eléphants à Abidjan le 31 mars 1985 (éliminatoires CAN 1986 en Egypte ). Le séjour de l’équipe nationale a coïncidé avec celui du guide spirituel de Dily, El Hadj Sidi Modibo Kane. Venu à l’Ambassade, le grand marabout a travaillé un ballon et a demandé à la délégation malienne de tout faire pour rentrer dans le stade avec le ballon et la victoire et la qualification des Aigles ne feraient l’objet d’aucune ambigüité. On confia le cuir à Mamadou Diarra dit Libo. Incroyable mais vrai, arrivée au terrain, la délégation se rend compte que Libo a oublié le ballon à l’hôtel. Psychologiquement, les joueurs étaient abattus. Le même jour avant de prendre le départ pour le terrain, une malienne résidant en Côte d’Ivoire du nom de Korotoumou est venue remettre sept poudres de fusil à l’encadrement afin qu’il les mette dans le feu. L’attitude de la dame n’a pas enchanté certains joueurs. Mais avec ses larmes, l’entraîneur Kidian Diallo et ses adjoints ont cédé et la suite est connue. Le nombre de poudre de fusil équivaut au nombre de buts encaissés par les Aigles qui se sont inclinés par six buts à un. Le septième sachet de poudre a échoué dans le feu et le septième but ivoirien a été refusé par l’arbitre. Bakaryni nous fera savoir qu’en réalité la dame a été approchée par les Ivoiriens pour jouer ce sale coup à ses compatriotes. Nous sommes en Afrique et nous ne saurons douter des allégations de notre héros du jour.
Dans sa retraite il a une seule ambition, celle de former de jeunes talents dans son centre pour qu’ils deviennent de grands professionnels. Une ambition, certes louable, seulement faudrait-il que Bakary bénéficie d’un soutien pour maintenir le cap.