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Que sont-ils devenus ? Baba Djourté : la passion de la radio
Publié le samedi 9 septembre 2017  |  Aujourd`hui
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Nous ne cesserons jamais de dire que la mise à touche des anciens de Radio-Mali, devenue par la suite l’Ortm, est un gâchis. D’abord pour ces milliers d’auditeurs en qui ils ont créé l’envie d’être toujours collés au transistor dans les années 1970-1980. Mais aussi pour cette nouvelle génération de l’Ortm, pour laquelle ils auraient pu constituer un pool de formateurs pour leur inculquer les vraies notions du métier. Ces anciens ont exercé le métier de journaliste à un moment où sa passion se cultivait. Il ne saurait être aujourd’hui un complexe, en confiant certaines émissions à ces sommités, à l’occasion des grands événements. Or, un journaliste, d’après un de nos doyens, est comme un médecin, un ingénieur. C’est-à-dire qu’au fur à mesure qu’il vieillit, il assoit ses expériences, et devient plus efficace donc plus utile. Pourtant, ces anciens journalistes qui ont tout donné afin que l’Ortm soit ce qu’il est aujourd’hui, sont fiers, dans leur retraite, d’avoir servi le pays. Parmi eux, il y a Baba Djourté. Nous sommes allés à la rencontre de ce natif de Loulouni, cercle de Kadiolo, dans la région de Sikasso. Qui est Baba Djourté ?

Nous étions encore au cycle fondamental quand la voix de Baba Djourté, comme celles des Lamine Coulibaly, Baba Dagamaïssa, Djibril M’Bodge, résonnaient sur Radio-Mali à la fin des années 1970. L’homme avait une voix radiophonique extraordinaire. Il présentait le journal et dirigeait les débats dans une simplicité déconcertante. Cette dextérité dans l’exercice du métier a été un facteur déterminant dans son ascension à la Radiodiffusion Télévision du Mali devenue par la suite l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (Ortm). Un de ses collègues de Radio-Mali nous confie que Baba Djourté était tellement passionné qu’il n’a pas vu ses enfants grandir. Parce qu’il était tout le temps au boulot et chaque fois qu’un problème se posait, on l’appelait quelle que soit l’heure.



Que de sommets couverts !

C’est cette passion pour le métier qui lui a permis d’interviewer avec une grande aisance des hommes d’Etat comme Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Ahmed Sékou Touré de la Guinée. C’est lui qui a eu le privilège de couvrir le sommet France-Afrique de La Baule sous François Mitterrand et qui a été un tournant décisif pour la démocratisation en Afrique. Baba Djourté retient de ce sommet ce fameux discours de François Mitterrand et la réponse donnée par le roi Hassan II au nom de ses pairs africains. On se rappelle que le doyen marocain a dit au président français que l’Occident a mis plus de 200 ans pour aller à la démocratie. Et que, avec seulement 30 ans, on doit vraiment laisser l’Afrique aller à son rythme. La suite est connue : les récalcitrants au multipartisme le paieront cash à l’image du président Moussa Traoré.

Moult sommets de chefs d’Etat à Bamako et à l’étranger ont marqué Baba Djourté dans sa carrière de journaliste. Parce qu’il n’est pas donné à tous les journalistes de couvrir les grands événements.

Quand nous l’avons rencontré à son domicile à Faladié, le doyen Baba Djourté s’est dit réjoui de la bonne initiative de la direction de votre hebdo préféré d’avoir créé la rubrique ” Que sont-ils devenus ? “. Surtout qu’en son temps, il avait demandé la même rubrique à feu Demba Coulibaly, mais sous une autre forme. Parce qu’il se dit convaincu que l’histoire ne doit pas se perdre dans ses propres méandres. Bref, le journal est en train de combler un vide qui lui tenait à cœur

Au premier contact avec Baba Djourté, nous avons relevé en l’homme une qualité : il est profondément enraciné dans la culture de son terroir qui l’a vu naitre, Sikasso et le pays Sénoufo.

Pari gagné partout…

Fruit de l’école coloniale qu’il a fréquentée en 1954 à Loulouni, à un moment où l’école était très dure et peu de parents acceptaient de scolariser leurs enfants, Baba Djourté n’avait pas l’âge requis, mais puisque son père tenait à ses études, il a fait 7 km pour demander au directeur d’école de l’inscrire. Après Loulouni, Baba Djourté s’en va à Sikasso pour poursuivre ses études, au cours complémentaire, puis au Collège moderne.

En 1965, il obtint le DEF (Diplôme d’Etudes fondamentales) et se retrouve au lycée Askia Mohamed, séries Lettres modernes, en compagnie de Souleymane Drabo (journaliste émérite de L’Essor, ancien directeur général de l’Amap).

Le Mali ayant été frappé par une épidémie de méningite en 1969, les autorités ont été contraintes à la fermeture des écoles et avaient différé la tenue du Baccalauréat à juillet. Cette année 1969 a consacré aussi le premier pas de l’homme sur la lune. Notre héros avoue avoir vécu cet événement sur Radio-Mali. Des repères concrets pour Baba Djourté pour nous dire qu’il a reçu le Baccalauréat la même année.

Nanti de ce visa pour entamer des études supérieures, il bénéficie d’une bourse pour une école de journalisme à Strasbourg. Pourquoi directement sur le chemin du journalisme lorsqu’on sait que bon nombre de ses collègues ont forcé leur destin pour être journaliste ? Baba Djourté soutient qu’à la veille des examens, chaque candidat devait faire trois choix pour définir son avenir. C’est ainsi qu’il a choisi d’abord le journalisme, ensuite la filière Iinterprétariat-agent technique de voyage et l’Ena. Sa passion pour la radio a guidé ses ambitions pour le journalisme. Il ne fera qu’une année en France. Puisque l’année suivante, le Cesti venait d’ouvrir ses portes et le gouvernement malien a transféré tous ses boursiers à Dakar. Baba Djourté termine ses études dans la capitale sénégalaise en 1974, avec la spécialité Radio-Télévision.

C’est seulement en 1978 qu’il fait ses premiers pas à Radio-Mali en tant que journaliste stagiaire. Après son stage probatoire, il est nommé chef Section Reportages, puis Rédacteur en chef du journal de 1983 à 1988. Il dirigera ensuite durant quatre ans (1988 à 1991) la Division Information de la Radiodiffusion Télévision du Mali (Rtm). De 1994 à 1997, Djourté occupa le même poste, mais cette fois-ci à l’Ortm. En même temps, il est un présentateur attitré du journal télévisé.

Il quitte définitivement l’Ortm en octobre 1997 pour l’Administration générale, parce qu’il passera le reste de sa carrière dans un autre milieu, différent de l’Ortm. D’abord, comme Conseiller à la communication chargé des médias dans son département de tutelle, ensuite ce fut le tour de la Délégation Générale aux élections en 2001 dont on lui confia la Section Communication. Une année plus tard, il rejoint la Commission de régulation de l’eau et de l’électricité (Cree). Dans cette boite où il a été appelé pour donner plus de visibilité aux actions de la structure, Baba Djourté a gagné le pari pour avoir comblé les attentes. Sa retraite en 2009 a créé une certaine crainte par rapport à la gestion de l’héritage qu’il a laissé.

Au moment de quitter la Cree, le directeur de la radio Liberté lui fait appel. Dans cette nouvelle aventure, il crée l’émission “En toute liberté “.

Parallèlement à ce nouvel emploi du temps, il fait des consultations pour l’Institut Panos de Dakar et une Ong Sud-africaine dont les travaux ont concerné les organes audio-visuels en Afrique, cas du Mali ; ensuite une enquête sur ” Africa Gouvernance Monotoring and Advocacy Project, Open Society Initiative for West Africa , Open Society Media Program “.

Mandela et Jessy Jackson

Comme temps forts de sa carrière, Baba Djourté se rappelle de son premier grand reportage. En tant qu’homme de terrain, il a dirigé une enquête sur les problèmes d’eau dans les secteurs de Kolokani et Nara, en passant par la vallée du Serpent (affluent asséché du fleuve Niger). Durant une semaine, le soir, il avait de la peine à se laver, tellement que les conditions de travail et de vie étaient pénibles. Des populations parcouraient 7 km pour se procurer un seau d’eau. Nous sommes dans les années 1979-1980.

Avec l’avènement de la télévision en septembre 1983, la dévaluation du franc Cfa en juin 1984 lui donne l’inspiration de s’intéresser au marché de la pomme de terre, dans le contexte de la chute du franc malien. Au cours de cette mission, il fait d’une pierre deux coups. C’est-à-dire qu’il en a profité pour réaliser un dossier sur la culture du café, du cacao et de la cola dans la région de Sikasso, plus précisément à Pissasso, à 50 km au sud Est de Sikasso. C’était l’occasion pour lui de prouver que ces produits sont cultivés au Mali.

Les différentes émissions qu’il a créées durant son séjour à Radio-Mali, à la Rtm et à l’Ortm, constituent les moments forts de sa carrière, notamment : “Rétro 7” en 1987, tous les dimanches après le journal parlé, “Les méandres de l’histoire” grâce à l’appui du Professeur Bakary Kamian, “L’invité du dimanche” où tous les ministres du gouvernement passaient. On se rappelle que cette émission a été transplantée à la télé à sa création.

Au-delà des créations de telles émissions qui ont fini par s’imposer et demeurer plus tard des repères pour la jeune génération, la rencontre des grandes personnalités ne peut passer inaperçue dans la carrière d’un journaliste. C’est pourquoi, notre héros n’oublie pas encore ces poignées de mains avec deux grandes personnalités du monde : l’ex président Sud-africain, Nelson Mandela lors de l’indépendance de la Namibie à Windhoek et le sénateur Américain Jessy Jackson, grand défenseur des droits civiques des noirs Américains aux Etats Unis.

Après 20 ans dans une boite comme l’Ortm, avec un temps sous la coupe d’un régime dictatorial, les mauvais souvenirs sont en quelque sorte le cours normal des choses. Autrement dit, Baba Djourté, comme tous ces anciens de la radio Mali et de l’Ortm ont travaillé dans les mauvaises conditions, à cause du manque d’équipements, avec comme conséquence ces multiples reportages annulés à la dernière minute. Que dire de ces consignes du Cmln par rapport à la couverture de certains événements ? Or on sait que rien n’est plus contraignant pour un journaliste que son cadrage dans ce qu’il fait, à un moment où il a des valeurs à faire valoir. Dommage, c’est cela aussi les aléas liés au métier.

Comme anecdote, Baba Djourté se rappelle encore de cette interview préparée à l’avance, du ministre de l’Education nationale et à lui remise par le directeur de Cabinet à la veille d’une rentrée scolaire. Après avoir lu le papier, il le remet au Dircab en lui disant que le texte est très bon, mais le manque de professionnalisme dans sa conception l’empêche de le prendre pour poser des questions au Ministre. La logique voudrait bien qu’on lui demande de soumettre le questionnaire. Mais, à défaut, n’importe qui pouvait tendre le micro au ministre avec le système du Dircab. Etonné et surpris par la réaction de Baba Djourté, le directeur de Cabinet lui promet que cela serait la dernière fois et au finish il prend ladite interview préparée pour tendre son micro au ministre.

Briser le mythe GMT

Au firmament de sa gloire, il n’était pas permis de poser des questions au président Moussa Traoré quand il devait voyager. Baba Djourté qui n’était pas d’accord avec cette façon de faire a été le premier à briser le mythe. Comment ?

L’enfant de Loulouni revient sur le gros risque qu’il a pris. ” A quelques heures du voyage du président Moussa Traoré, on me confie une équipe pour le reportage à l’aéroport, et on m’explique le principe, c’est-à-dire pas d’interview du chef de l’Etat. Mais, j’ai insisté à démystifier cette règle non écrite. Arrivé à Sénou, je m’installe au bas de la passerelle et mon ministre m’appelle pour poser des questions sur mes intentions, tout en me rappelant le principe. Au même moment, le président arrive, le ministre s’en va rejoindre les autres membres du gouvernement. Quand Moussa Traoré s’apprêtait à monter dans l’avion, je lui tends le micro. En bon bambara, il dit ” n’té kouma ” (je ne parle pas). Avec cette réponse du président, j’ai tourné le dos et j’ai fait à peine dix mètres, quand le protocole du président vient m’annoncer que le président m’attend dans l’avion pour l’interview. Je suis monté dans l’avion et je réalise l’interview du président. De retour à la radio, mon ministre me rappelle à l’ordre et je lui demande ce qu’on fait de l’élément. Sur sa demande, je lui explique le contenu et après échange, le ministre ordonne la diffusion de l’interview. Au-delà du risque que j’ai pris, l’important pour moi était d’avoir mis fin à une règle non écrite “.

Selon Baba Djourté, le temps, le contexte rendent la comparaison difficile entre leur époque et aujourd’hui. Parce qu’avec la ligne politique du pays, leur génération était cadrée dans tout ce qu’elle faisait. Il arrivait que le directeur de la radio biffe certaines parties du journal parlé. C’est dire que les conditions de travail étaient contraignantes. D’autres l’ont compris, raison pour laquelle ils ont préféré rester à l’étranger, au lieu de venir prendre des salaires dérisoires dans le pays. Mais lui, Baba Djourté, avait une autre ambition: venir servir son pays, le Mali. Chose qu’il a faite parce qu’il est convaincu que le reste devait venir après. Aujourd’hui, la vie de vieux retraité de Baba Djourté est partagée entre la mosquée, la lecture et les consultations.

O. Roger Sissoko

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