Si la Communauté internationale pousse à des élections immédiates au Mali, c’est pour se donner bonne conscience mais, surtout, trouver un président qui saura remettre la junte de Sanogo hors du pouvoir. L’affaire marchera-t-elle ?
Depuis le putsch du 22 mars, le capitaine Sanogo, chef de la junte (les naïfs parlent d’ex-junte), dicte sa loi au Mali. Du moins au sud, le nord étant, jusqu’à une période récente, dirigé au sabre et au fouet par le grand barbu Iyad Ag Ghali. Au sud donc, quand un journaliste noircit plus de papier qu’il n’en faut, quelqu’un de hautement galonné se charge de lui apprendre, à coups de bâton, l’art de se taire. Aucun parent d’élève ne se plaindra de cette méthode pédagogique spéciale car comme chacun le sait, l’élève n’oublie jamais une leçon enseignée à coups de bâton. Quand, au sud, un Premier ministre, du haut de ses « pleins pouvoirs », oublie les souhaits de Kati, quelqu’un de galonné se charge de « faciliter » sa démission, même si elle doit être lue sur les antennes avant l’aube, quand le muezzin lui-même dort sur ses deux oreilles. Et quand il s’agit, au sud, de nommer un gouvernement, notre ami galonné se réserve les morceaux les plus gras (primature, défense, sécurité, administration territoriale, équipement et transports), réservant aux politiciens et assimilés du menu fretin:
- le ministère du tourisme, alors que les riches touristes blancs ont tous pris leurs jambes au cou, de peur de finir dans les mains d’AQMI);
- le ministère de l’industrie, alors qu’aucun investisseur, même mongolien, ne miserait de nos jours un clou rouillé sous nos tropiques;
-le ministère de la culture, alors que l’ORTM a supprimé l’émission musicale « Top étoiles » pour cause de guerre;
- le ministère des Relations avec les Institutions, alors qu’en fait d’institutions, il n’y a que la junte et ses porte-parole…
Maintenant que la France a engagé ses soldats pour reconquérir, à notre place, le nord, elle est gênée aux entournures.
D’abord, une partie des Français pense, à l’instar de Sarkozy, que leur pays vient sauver un « régime putschiste » – entendez un régime commandé dans l’ombre par les putschistes. Ensuite, la France estime que le bordel terroriste qui règne au nord vient de la mauvaise gouvernance au sud du Mali. Dans l’entendement de nos amis les Gaulois, s’il y a, dans le pays, un président, un vrai, légitime et capable de dire non aux militaires, le Mali repartira du bon pied.D’où l’exigence française que les élections se tiennent avant fin juillet 2013. Quand on dit « élections », il s’agit, bien sûr, de la présidentielle car les maires et autres vendeurs de parcelles, les Français s’en fichent.
Des élections en juillet, c’est-à-dire dans quatre petits mois ?
C’est faisable, selon le colonel-ministre de l’Administration Territoriale, Coulibaly, qui révèle que le budget de l’organisation est déjà bouclé, que le fichier électoral sera biométrique et les cartes d’électeurs numérisées. Voilà pour le côté technique.Et côté participation populaire ? On envisage, selon le ministre-colonel, d’aller trouver les réfugiés du nord dans les tentes du HCR et de la Croix Rouge pour les recenser, leur donner des cartes d’électeurs et les faire voter. Là, j’émets des doutes sur les plans du colonel Coulibaly.
Si j’étais réfugié dans une tente, je demanderais d’abord qu’on me ramène chez moi, à Kidal, pour bien étudier les candidatures et les programmes.
Or là, le bât blesse: non seulement l’armée malienne elle-même n’arrive pas à mettre le pied à Kidal, zone franco-tchado-MNLA; mais en outre, il n’est pas certain que les électeurs rencontrent les candidats avant l’élection. Ils risquent donc de voter pour des…photos ! Pour un candidat de la taille de LadjiBourama ou SoumailaCissé, il serait dangereux de se rendre au nord avant que l’Elysée ne confirme la mort d’Iyad Ag Ghali. En effet, pour un otage du genre Ladji ou Soumaila, Iyad et ses amis d’AQMI demanderaient, à titre de rançon, 20 ans du budget malien.De plus, des files d’électeurs dans le désert constitueraient des cibles de choix pour les terroristes. Enfin, je me pose des questions sur la viabilité du scrutin dans un pays où pour un mot trop haut, on se fait bastonner, tel un champ de mil, par des inconnus cagoulés.
A supposer que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, quel président aura-t-on ? Celui des militaires, celui du peuple ou celui de la France ? Un sage dit qu’en Afrique, on n’organise pas les élections pour les perdre. Or chez nous, qui organise l’élection ? Un ministre-colonel de la junte, grand ami d’un grand capitaine ! C’est ce ministre qui a nommé les préfets et les gouverneurs et c’est chez lui qu’atterrissent les résultats. Je ne crois pas qu’au cas où les résultats sont falsifiés en cours de route, il soit possible aux juges ou aux candidats d’aller vérifier les vrais chiffres auprès des votants du nord qui, par définition, ne cessent de se déplacer. Il va falloir se contenter des résultats présentés par le ministère, donc par la junte.De surcroît, les résultats ne déviennent définitifs que s’ils sont validés par la Cour constitutionnelle. Or par les temps qui courent, les juges ne sont pas, eux non plus, vaccinés contre le bâton. Auront-ils le courage d’annuler les résultats présentés par le ministère ? Si oui, qui leur évitera une éventuelle bastonnade nocturne ?
Ces constats nous amènent à penser que l’élection est techniquement faisable mais ne sera pas libre en raison de l’insécurité ambiante.
Si on vote en juillet, c’est le candidat de la junte qui s’imposera. A moins que la France ne prenne le taureau par les cornes en assurant la garde quotidienne des candidats et des juges, du début de la campagne électorale à l’investiture du futur président. La France, pour éviter le reproche d’ingérencve colonialiste, pourrait sous-traiter cette tâche de gardiennage à la MISMA qui, jusqu’à présent, ne brille pas par ses exploits anti-jihadistes. Il va falloir aussi que la France garde l’oeil sur le convoyage des résultats électoraux afin d’éviter qu’entre Gossi et Léré, quelqu’un se cache dans les broussailles pour les falsifier. Enfin, la France devra intervenir pour que les candidats puissent battre campagne, même dans la garnison de Kati. Ce qui suppose de trouver un laissez-passer pour franchir le mur de Berlin érigé là par le maître des lieux. On le voit, sans l’implication active et permanente de la France, le candidat de la junte l’emportera.Mais si la France s’implique à ce point dans le scrutin, qui nous garantit qu’elle n’imposera pas son propre candidat ? C’est-à-dire quelqu’un qui, avant de tousser, demandera l’avis de Paris? Une sorte de sous-préfet français du Mali ?
Pour donner une chance au candidat du peuple, on ferait bien de confier àl’ONU l’organisation du scrutin et la proclamation des résultats définitifs, lesquels n’auront plus à passer par la Cour constitutionnelle. L’ONU, qui compte déployer 11 000 soldats chez nous, se chargera aussi, après le scrutin, d’assurer la garde présidentielle. Des fois que les bastonneurs de Yerewolo Ton et autres se mettraient en tête de rendre visite au président élu…
Une fois en place, que fera de la junte le président élu?
S’il demande mon avis, je lui conseillerai de nommer le capitaine Amadou Sanogo ambassadeur à Dakar. Ainsi, le jeune Amadou et le vieil Amadou, le général exilé, auront de longues journées d’explications et finiront par sceller la paix. Et quand la paix revient entre ces deux-là, elle reviendra forcément au pays. Surtout si un troisième Amadou (le lieutenant Amadou Konaré ) se joint aux discussions dakaroises en tant que consul général du Mali au Sénégal. La paix de retour, il restera à donner un os à ronger à quelques bruyants adeptes du « changement » qui meurent de faim. Il s’agit, entre autres, de Younouss HamèyeDicko, privé de strapontin ministériel malgré ses hauts cris; de Boré, leader de Yerewolo Ton, reconverti au bâton depuis la chute du « Vieux Commando »; et, bien entendu, du Che Gevarra national qui, malgré son soutien de bonne heure au putsch, n’arrive pas à mettre la main sur la primature…
Tiékorobani