Le président malien, Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK, n’a pas la moindre envie que les révélations de l’ancien général putschiste divisent son armée et révèlent le jeu trouble qui fut le sien avant l’intervention française de janvier 2013.
Toujours aucune date n’a été fixée au Mali pour la reprise du procès du général Amadou Sanogo, l’ancien chef de la junte militaire qui avait renversé le président malien Amadou Toumani Touré (ATT) le 22 mars 2012 et qui est poursuivi pour l’implication dans l’assassinat, en 2013, d’une vingtaine de « bérets rouges », une unité de l’armée restée fidèle à l’ancien président ATT et donc opposée aux « bérets verts » du général Sanogo.
Quelques heures seulement après son ouverture le 30 novembre 2016, le procès de avait été reporté au 8 décembre 2016, puis ajourné sine die. Faute de date précise, le pouvoir malien s’était engagé à reprendre les débats en mars 2017. Et depuis lors, plus rien. Les autorités maliennes ne commentent plus ce dossier.
Des menaces claires
« Je suis pressé de parler », a menacé le général Sanogo, en recevant un journaliste dans sa prison de Sélingué, à environ 140 km, au nord-ouest de Bamako. cve qu’a confirmé récemment un autre de ses visiteurs. Le général Sanogo « a dit qu’il avait des choses sur des gens et qu’il pouvait parler », a rapporté un de ses derniers visiteurs.
L’ancien chef de la junte a expliqué qu’il transformerait son procès en tribune. Des révélations pourraient être faites sur la classe politique malienne et notamment sur tous ceux qui venaient le voir nuitamment lorsqu’il avait les commandes de l’Etat.
Un coup de bluff? Pas sûr. A Bamako, ces menaces ont été prises très au sérieux. Ont-elles convaincu le pouvoir de retarder encore les révélations réelles ou supposées de l’imprévisible capitaine? On peut l’imaginer.
Une armée fragile
L’arrestation du général Sanogo, le 27 novembre 2013, s’est faite grâce à la détermination de deux magistrats téméraires : Daniel Tessougué, alors procureur général de Bamako, écarté depuis de toute fonction opérationnelle et le juge d’instruction Yahaya Karembé.
Le président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et son gouvernement ont toutes les raisons de gagner du temps. Première raison, il s’agit de ne pas déstabiliser l’armée malienne, déjà affaiblie par sa guerre contre les djihadistes. En effet, « l’affaire Sanogo » implique l’ancien ministre de la défense le général Yamoussa Camara, l’ancien chef d’état-major de l’armée malienne Ibrahim Dahirou Dembélé ainsi que le général Moussa Sinko Coulibaly, directeur de cabinet de Sanogo à l’époque des faits incriminés. La justice malienne cherche à établir la responsabilité de chacun d’entre eux dans la disparition d’une vingtaine de soldats.
L’ombre de l’Imam Dicko
Mais il est d’autres secrets que le président malien IBK ne souhaiterait sans doute pas dévoiler. Lorsque les Français déclenchent en janvier 2013 l’opération Serval pour lutter contre la présence djihadiste au Nord Mali, d’étranges alliances s’étaient nouées à Bamako pour sortir le Mali du bourbier. A l’époque, l’homme fort à Bamako est l’imam Dicko, chef du Haut Conseil Islamique (HCI) malien.
Durant les dix huit mois d’occupation du Nord Mali, ce religieux charismatique, qui se réclame du wahabisme, était en de très bons termes avec les bérets verts de Sanogo et au mieux avec le chef de la rébellion du Nord Mali, Iyad Ag Ghali, avec lequel il n’a jamais cessé de négocier. Le 9 janvier 2013, avant veille de l’arrivée des militaires français, des manifestations massives, bénies par l’Imam Dicko, ont lieu dans la capitale malienne en faveur des militaires putschistes de Sanogo. A ce stade, l’actuel président, dont les liens ont été constants avec l’Imam Dicko toutes ces dernières années, est fatalement au courant de ce scénario, que l’intervention française va rendre caduc (1).
On peut imaginer qu’IBK ne serait pas ravi de voir étalées les tractations qui ont lieu durant cette période trouble et dont il ne fut certainement pas exclu..
(1) Lorsque les deux journalistes du Figaro, Thierry Oberlé et Isabelle Lasserre, auteurs de “Notre guerre au Mali” et fort bien informés, reviennent sur l’opération Serval de janvier 2013, ils écrivent: “Personne n’a jamais eu la preuve que les groupes djihadistes entendaient s’emparer de la capitale malienne et s’installer sur les terres bambaras qui leur étaient hostiles. Certains observateurs estiment que leur but était de provoquer la chute du président par procuration, en utilisant les opposants au régime basés à Bamalo”.