La danse des possédées, appelée «Holley horeï» en sonrhaï, est une manifestation à travers laquelle les djinns prédisent l’avenir en annonçant des naissances, des décès, des cataclysmes mais aussi et surtout affirment des moyens de conjurer les mauvais sorts. C’est Balkissa Hamma Sylla qui tient les rênes de la confrérie des vaudous dans le cercle de Goundam et figure parmi les rares vieilles gardes encore en vie dans la région de Tombouctou qui promeuvent jalousement ces valeurs culturelles en passe de s’effriter.
La ville de Goundam est chargée d’histoires et de merveilles, à travers son opulence culturelle, notamment les manifestations et réjouissances populaires au nombre desquelles, on retrouve le «Hadja» et «Nari (solo)» des cultivateurs, le rythme mélodieux de «colo» et «toubal», le «Hanana» ou veillées des circoncis et des mariés et autres rites des corporations comme ceux des maçons et des bouchers. A cela s’ajoute une danse traditionnelle commune aux sonrhaïs et aux bellahs : le hollo-horey (culte du vaudou ou danse de possédées), spécifique à ces deux groupes ethniques.
C’est la vieille Balkissa Hamma Sylla dite Baly qui tient, dans le cercle de Goundam, les rênes de cette confrérie depuis des années, après le décès de son mari, feu Adiounou Baïya. Fille du célèbre détenteur de savoirs et guérisseur traditionnel, Hamadoun Abocar, dit Hamma Sylla, et seule fille dans sa famille à pouvoir s’approprier ce patrimoine dans lequel elle a été initiée par son père depuis sa tendre jeunesse, Balkissa serait originaire de Tindirma (localité très réputée pour son affiliation aux djinns, d’où est issu le célèbre conteur sonrhaï feu Mahamane Tindirma, cercle de Diré). Baly jouit d’une popularité incontestable grâce à ses soins pour toutes maladies liées aux mauvais sorts, à la folie, et à la voyance à travers la sincérité et aux vérités accrues de ses djinns habitant les eaux (Hawaldjinni, Banaldjini, Moussaldjinni, Mayeldjinni, Dja) et la terre (Baboula, Commandant Mourgou Maiguida, Tiemeko et Sadio). «On ne se lève pas par hasard pour faire la danse de «Holley».
C’est quand il y’a une victime de folie qu’on l’organise afin de la faire danser pour adoucir les esprits maléfiques.
On peut même frapper la personne malade en dansant pour l’apaiser durant une semaine (cela dépend aussi de la véracité de sa folie), et le dernier jour, elle sera définitivement libérée des esprits maléfiques. Il y’a également plusieurs autres types de maladies qu’on traite sans faire la danse, notamment les maladies des personnes attaquées par la sorcellerie, les envoûtements et autres phénomènes», a affirmé la vieille Baly.
La confrérie du hollo-horey exerce à travers cette musique, une fonction thérapeutique essentielle dont peuvent bénéficier tous les membres de la société. Selon Baly, le Holley est faisable chaque fois que besoin est, à part le mois de ramadan où les djinns prennent leur retraite. «En tout cas, il est très difficile de voir un djinn en vouloir à quelqu’un durant cette période. C’est faux qu’un possédé crie qu’elle a la visite de ses djinns. Les djinns s’en prennent aussi à ceux qui leur causent du tort notamment ceux-là qui nient leur existence», précise-t-elle. La danse des possédés se fait très généralement avec un style plutôt instrumental que vocal et dont la mélodie est assurée par le violon et le rythme par la calebasse, dans une arène formée par les initiées avec des battements de mains et des chansons laudatives à l’adresse du djinn à l’honneur ce jour. Le Holley est une manifestation à travers laquelle, les djinns prédisent l’avenir en annonçant des naissances, des décès, des cataclysmes mais aussi et surtout ils donnent les voies et moyens de conjurer le mauvais sort. «Avant la crise, dans cette arène de danse, le djinn avait prédit devant un porteur d’uniforme que des peaux-rouges avec de nouveaux crédos occuperaient du pays. Et nos militaires se replieraient vers le sud. Entre temps, les nouveaux maîtres feraient beaucoup souffrir les populations.
Mais que toutes les familles, dans leurs quartiers respectifs, fassent des offrandes et des sacrifices à travers des repas collectifs, consommables par les hommes, les femmes et les enfants à part afin d’atténuer l’effet du dard des forces d’occupation de la ville», a raconté la vieille Baly qui laisse croire la crédibilité de ses djinns. Ainsi, poursuit-elle, «en pleine occupation, nous avons organisé une cérémonie de Holley, pour voir si toutefois il y a un dénouement heureux à la situation. Et là aussi, le djinn nous avait fait savoir qu’il y aurait une intervention des forces étrangères accompagnées des nôtres pour reconquérir les zones occupées, mais cela ne veut pas dire tout est fini car le processus d’entente serait long et les attaques seraient consécutives à cela, dans le centre du pays.» Balkissa a créé une Association dénommée «Souba Nafa» qui, regroupant les initiés (jeunes ou vieux possédés) dont une majorité de femmes, a joué sa partition pour le retour du Mali dans le concert des nations, à travers des bénédictions diurnes et nocturnes et toutes sortes de sacrifices pouvant permettre de consolider cet acquis et n’entend ménager aucun effort pour accompagner les plus hautes autorités et leurs partenaires pour la réconciliation des Maliens, afin que le pays demeure un et indivisible. «Nous sommes la vieille garde et nous ferons ce que nos guides (les djinns) nous ont indiqués. Par exemple, s’il s’avère qu’on doit faire des sacrifices de sang d’animal, de lait, de bouillie ou même du riz dans l’eau, dans une fourmilière ou si nous devons offrir ces sacrifices à des personnes indiquées, nous le ferons pour contrecarrer les effets des fléaux à venir», a soutenu la vieille Baly. Pour elle, la situation que vit le pays serait due à l’abandon des us et coutumes qui furent la gloire des grandes figures emblématiques et royaumes qu’a connus le Mali.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui effectuent le déplacement de leurs lointaines contrées pour se soigner. «Tous les fous et toutes les folles qui sont passés chez Baly vaguent aujourd’hui à leurs affaires comme s’ils n’ont jamais été victimes de sortilèges», a laissé entendre un vieux du quartier.
Sage et ouverte, Balkissa Hamma Sylla figure parmi l’une des rares vieilles gardes encore en vie qui conservent jalousement ces valeurs culturelles en effritement. «La relève est précaire et l’on ne pourrait véritablement plus parler des danses de possédés à Goundam sans Baly», a déploré une initiée préparant l’encensoir «anti-sorciers.» Actuellement la danse des possédés devient rare dans la région de Tombouctou comme ailleurs car la vieille garde se retire progressivement.
La jeunesse, censée assurer la relève, est également en perte de ses repères.