N’a-t-on pas coutume d’entendre à plusieurs reprises que la seconde révolution du Mali serait contre la justice ? Cela résume à suffisance combien la problématique au niveau de la justice est toujours d’actualité et mérite une réponse à hauteur de souhait.
D’une manière générale, l’accès à la justice est difficile pour bon nombre de citoyens maliens qui n’ont pas généralement les moyens de se payer un procès. L’Etat doit donc trouver un cadre pour assister les personnes en difficulté face à la justice, en leur fournissant aide, assistance et accompagnement nécessaires.
En faisant l’état des lieux au niveau de notre justice, on note un certain nombre d’insuffisances en ressources matérielles et humaines : il y a un manque d’infrastructures pour les magistrats dont certains sont 4 ou 5 dans un même bureau, pas de matériels de travail, aucun chef de juridiction ne dispose par exemple de véhicule. Au terme des récriminations, il y a la lenteur, l’impunité et la corruption au niveau de la corporation et les principaux intéressés que sont les magistrats vous trouveront des alibis pour répondre à toutes ces critiques.
S’il est vrai que beaucoup de nos concitoyens se sentent lésés dans les décisions de justice, ce qu’on oublie souvent, c’est que l’Etat perd plus de procès que les citoyens, pour ne pas dire que l’Etat ne gagne jamais de procès contre les usagers. C’est ce qui a amené les autorités d’ailleurs à créer la Direction générale du contentieux de l’Etat en lieu et place du Contentieux du gouvernement pour donner plus de vigueur à cette structure censée défendre les intérêts de l’Etat.
Toutefois, les griefs reprochés à la justice sont fondés et méritent que l’Etat s’engage résolument à y remédier, comme en témoigne le Rapport Annuel 2016 du Médiateur de la République. Dans ce Rapport de 2016 du Médiateur de la République, les réclamations relatives à la justice constituent la deuxième préoccupation des usagers des services publics et elles sont en nette augmentation (18,71% contre 16, 67% en 2015). Elles concernent, entre autres, l’inexécution des condamnations pécuniaires prononcées contre l’Etat, les difficultés d’exécution de certaines décisions de justice, la lenteur dans les procédures judiciaires…
Ce qui est clair, c’est qu’il est impératif qu’il y ait une bonne et saine répartition de la justice, et surtout une application stricte des décisions de la justice dans un Etat qui se dit démocratique. Comme l’a écrit le regretté Maître Brahima Koné (paix à son âme), ancien avocat accrédité à la Cour Pénale Internationale (CPI) : «Il faut surtout que la justice malienne fasse preuve d’indépendance pour ne pas tomber sous le coup de la manipulation politique qui risque de ternir son image.»
Comme réforme majeure, il faut tout de même saluer les modifications intervenues en 2011 de la carte judiciaire pour une meilleure organisation et un fonctionnement des juridictions et la mise en œuvre de la justice transitionnelle qui a pour objectif «d’établir les responsabilités, de rendre la justice, et de permettre la réconciliation». Ceci pour donner ainsi un sens à la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR).
Pour ce qui est de l’impunité, surtout dans le cadre de la lutte contre la corruption, il faut reconnaître que le social pèse lourd dans notre pays dans l’exécution de la justice. C’est pourquoi les «délinquants au col blanc» vous diront qu’avec «une affaire de milliard, tu n’es jamais inquiété». Et certains magistrats vous diront également que si l’Etat ne les met pas dans les conditions de travail en les mettant à l’abri des besoins, où est-ce qu’ils vont chercher de l’argent ?
Naturellement, dans les poches des justiciables, comme quoi il n’y a pas de corrompu sans corrupteur. Mais que ce soient les juges ou les justiciables, tous doivent mettre à l’esprit que «c’est la corruption qui déstabilise la République» dixit Edwy Plenel, grand journaliste d’investigation. Et le juge ne doit pas oublier qu’en défendant le plus faible qui subit l’injustice, avec la conscience tranquille, il peut entrer dans l’histoire. Tel le cas de Malick Coulibaly au Mali ou le cas récent de la magistrate Carla Del Ponte qui vient de démissionner le 6 août dernier de la Commission d’enquête indépendante de l’ONU sur la Syrie car frustrée par l’absence de progrès dans la défense des droits humains par ladite commission.
En tout état de cause, il est évident qu’il faut protéger les juges et améliorer leurs conditions de travail afin de les mettre à l’abri du besoin, mais la justice doit être rendue avec équité, en sanctionnant la faute sans état d’âme et l’État malien doit être intraitable dans l’application des décisions de justice.
Sidiki BOUARE