Si vous demandez aux réfugiés maliens installés en Mauritanie comment ils voient leur retour au pays, ils vont répondront que c’est tout simplement un mirage. Et les raisons ne manquent pas.
C’est un archipel de tentes éparpillées sur une mer de sable roux. En plein désert mauritanien, les réfugiés du Mali, toujours plus nombreux, ne veulent plus entendre parler de retour, refroidis par les déboires de ceux qui ont tenté l’aventure.
Arrivé comme la plupart en 2012 au camp de Mbera, à environ 50 km de la frontière, lorsque le Nord du Mali était tombé aux mains des groupes jihadistes, Mohamed Ousmane Ag al-Khalifa est un de ceux-là.
Six mois après la signature en juin 2015 d’un accord pour la paix entre le gouvernement malien et l’ex-rébellion à dominante touareg, il est rentré avec sa famille dans la région de Tombouctou (Nord-ouest).
“Depuis que nous nous avons été obligés de quitter notre pays, nous suivons la situation de loin. On nous a dit que la paix avait été signée au plus haut niveau”, explique ce berger quinquagénaire au teint mat, de la tribu touareg des Kel Tagamart, vêtu d’un turban noir et d’un boubou vert pâle.
“La semaine suivant notre retour, les incidents ont commencé”, se souvient-il, entouré par sa femme, leurs quatre enfants, sa cousine et les trois enfants de cette dernière.
“Nous n’avions pas les moyens de retourner en Mauritanie et à chaque fois nous espérions que cela allait s’arranger”, poursuit Mohamed Ousmane Ag al-Khalifa, évoquant le banditisme et les attaques contre les convois militaires.
“Là où nous vivons, sur le fleuve Niger, entre Goundam et Tombouctou, il y a régulièrement des tirs de lance-roquettes contre l’armée, très souvent des nomades sont touchés avec leurs bêtes”. La situation a fini par devenir intenable. “Nous ne pouvions plus avoir confiance en personne”, soupire-t-il. “Je m’étais habitué à la tranquillité et au sentiment de liberté de la vie dans le camp”, qu’il a retrouvé avec sa famille depuis août.
“Les conditions du retour, c’est-à-dire une vraie paix, sont très loin d’être réalisées”, approuve son épouse, Aïchetou Wallet Mohamed Ousmane, en boubou turquoise à fleurs roses, qu’elle entrouvre parfois pour allaiter son bébé.
“Nous nous disons souvent que les gens qui sont restés au camp ont eu raison”, soupire-t-elle. “Bien sûr, nous rêvons de rentrer chez nous, mais moi j’ai déjà fait l’expérience”.
5000 arrivées en un an
Les groupes jihadistes ont été en grande partie chassés du Nord du Mali par le lancement en 2013, à l’initiative de la France, d’une intervention militaire internationale qui se poursuit actuellement, mais des zones entières du pays échappent au contrôle des forces maliennes et étrangères.
Quelque 195 000 Maliens ont quitté leur domicile, 55 000 sont des personnes déplacées à l’intérieur du pays, et environ 140 000 sont des réfugiés au Burkina Faso, en Mauritanie et au Niger voisins, selon l’ONU.
Avec plus de 51 000 personnes actuellement – dont plus des deux tiers appartiennent aux minorités touarègue et arabe -, Mbera, aux quartiers et îlots délimités par des clôtures de bois sec, concentre le plus grand nombre de réfugiés maliens.
En juin 2016, la Mauritanie, le Mali et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont signé un accord pour le rapatriement volontaire des habitants du camp.
Plus de 1500 personnes en ont bénéficié l’année dernière, selon le responsable du HCR à Mbera, Henri-Sylvain Yakara.
Parmi elles, Issa Ag Mohamedoun, retourné à Haribongo, au sud-est de Tombouctou.
“En 2016, tout le monde parlait de retour, de la paix qui revient. J’ai laissé tous mes biens et je suis parti”, raconte cet homme aux traits tirés, coiffé d’un turban blanc, à l’ombre d’une grande tente abritant sa famille de cinq enfants, dont la plus jeune est née depuis leur retour au camp, il y a deux mois.
Pendant près d’une année, il a vécu sous la menace des groupes armés et des brigands. “Des voleurs m’ont ligoté et m’ont tout pris”, explique-t-il. “Peu après, j’ai rassemblé le peu qui me restait et nous sommes repartis pour Mbera”.
Depuis un an, non seulement le flux de retours s’est tari, atteignant seulement quelques centaines de personnes en 2017, mais il s’est inversé, souligne le HCR, avec une nouvelle vague d’arrivées depuis juillet.
“Depuis septembre 2016, nous avons reçu plus de 5000 personnes en provenance des régions de Tombouctou, Goundam, Mopti, et Nampala”, (Nord-ouest et Centre), précise Henri-Sylvain Yakara.
Cet afflux coïncide avec une réduction des rations alimentaires, pour cause de ressources budgétaires déclinantes, avec pour conséquence “des problèmes de malnutrition chez certains enfants”, déplore-t-il.
Mais entre la faim et la peur au ventre, Issa Ag Mohamedoun a choisi. “Même si on me donne 10 millions de dollars je ne retournerai pas au Mali”, assène-t-il, “la vie est plus précieuse”.
Difficile dans ces conditions de croire que l’effectivité du retour de ses compatriotes est pour demain. Face à l’impuissance de l’Etat du Mali, il y a le peu d’engagement des partenaires et surtout la mauvaise foi des groupes armés qui utilisent le plus souvent ces réfugiés comme une arme de chantage.