NIAMEY, 14 avril 2013 (IRIN) - Le conflit qui a éclaté au Mali début 2012 a fait ressurgir les nombreux souvenirs de rébellions et de demandes d’autonomie qui ont marqué l’histoire touarègue. Chez les voisins du Niger, les Touaregs semblent avoir établi une relation plus stable avec le gouvernement. Bamako aurait-elle des leçons à tirer de cette expérience ?
L’histoire postcoloniale touarègue a été marquée, au Mali comme au Niger, par une série de soulèvements alimentés par un sentiment d’abandon et de marginalisation de la part du gouvernement central et par des revendications concernant les échecs de la mise en œuvre des accords de paix.
Trois ans après l’indépendance du Mali par rapport à la France, proclamée en 1960, les Touaregs ont déclenché une rébellion qui a été écrasée par l’armée. Mais de nouveaux soulèvements ont suivi dans les années 1990, puis en 2006, en 2008 et en 2012, malgré la signature d’un accord de paix capital en 1992. La dernière crise au Mali a été déclenchée par un coup d’État perpétré par des militaires mécontents de l’incapacité du gouvernement à mater une récente insurrection touarègue.
Le Niger a lui aussi été secoué par des rébellions touarègues dans les années 1990 et en 2007, mais les deux parties ont signé un accord de paix en 1995.
Or, si les Touaregs du Mali et du Niger ont peu ou prou les mêmes revendications d’intégration politique et sociale et de développement territorial et économique, le contexte géographique, démographique et politique est bien différent.
Déterminés à maintenir la paix
« Le gouvernement nigérien cherche manifestement à se montrer pour le moins conciliant. Les Touaregs du nord du Niger ont [en outre] fourni des efforts plus concertés pour tenter de négocier », a dit Andrew Lebovich, conseiller et chercheur spécialisé dans le Sahel de l’Initiative pour une Société Ouverte en Afrique de l’Ouest (OSIWA).
Selon Mohamed Ag Ewangaye, directeur de la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP) nigérienne, bien que les accords de paix soient loin d’être pleinement appliqués et que les conditions qui ont déclenché les précédents conflits soient toujours d’actualité, les Touaregs du Niger sont déterminés à instaurer la paix.
« Les causes de la révolte subsistent. La mise en œuvre des accords de paix est loin d’être réussie », a pourtant dit à IRIN M. Ewangaye, lui-même touareg.
« Si nous nous attardions toujours aux détails de l’attitude du gouvernement [...] Si nous nous lancions constamment dans des récriminations, il n’y aurait pas de paix. Il faut parfois donner une chance à la paix et nous rétablir petit à petit, car c’est une entreprise de longue haleine », a ajouté M. Ewangaye.
Contrairement aux Touaregs du Mali, qui se concentrent dans le Nord, ceux du Niger sont répartis dans tout le pays, ce qui a facilité l’irrédentisme.
« Les Touaregs du Niger ne sont pas confinés dans une seule région et ne peuvent donc pas réclamer la sécession comme au Mali », a dit M. Ewangaye.
« La société nigérienne est davantage imprégnée de culture touarègue. Les Touaregs sont dispersés dans presque tout le Niger, ce qui n’est pas le cas au Mali. L’ensemble du Niger est comme le Nord-Mali en ce qui concerne la répartition de la population », a remarqué M. Lebovich.
Les rébellions touarègues des années 1990 ont par ailleurs eu des conséquences très différentes. Au Mali, elles ont opposé les Touaregs aux autres communautés et entravé les tentatives de paix. Au Niger, par contre, le conflit a fini par diviser les Touaregs, a dit Yvan Guichaoua, maître de conférence à l’université d’East Anglia.
Échec des accords de paix
La stabilité à long terme au sein de la population touarègue du Mali comme du Niger est cependant mise à mal par l’application seulement partielle des accords de paix et, plus récemment, par la présence de groupes extrémistes liés à Al-Qaïda dans la région. (Selon les observateurs, la présence de ces mouvements a modifié les politiques mises en place par les gouvernements en matière de sécurité et leur comportement face aux mouvements touaregs, dont certains ont été accusés d’être en relation avec Al-Qaïda.)
« Les accords de paix au Mali et au Niger étaient relativement similaires : développement économique, réformes militaires, intégration et décentralisation. Mais ils ont échoué et les violences ont repris en 2007 au Niger et en 2006 au Mali », a dit M. Guichaoua.
Le Mali et le Niger ont cependant pris des mesures différentes à la fin de ces rébellions.
Au Nord-Mali, un Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord-Mali (PSPSDN) a été lancé en 2011, fondé sur l’idée que la sécurité favoriserait le développement. Mais la population de la région était tellement hostile à l’armée, que le programme n’a fait que susciter la colère.
« Bamako a fait moins bonne figure [que le Niger] en adoptant explicitement un programme de sécurité tout en oubliant les mesures [de développement] du Pacte national [de 1992], » a dit M. Guichaoua.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou, en revanche, a nommé des membres de la communauté touarègue, comme Brigi Rafini, à des postes clés du gouvernement dans le souci d’apaiser les sentiments de marginalisation. « C’est une stratégie à court terme. À plus long terme, il faut relancer les trois volets de mesures [des accords de paix] », a-t-il expliqué.
« Dans les deux pays, les politiques [de paix] n’ont pas été pleinement appliquées. Au Mali, elle a été écartée par un programme de sécurité en la forme du PSPSDN et, au Niger, aucun changement structurel n’a été mis en œuvre non plus, mais la résolution de la crise y a été abordée de manière plus intelligente », a dit M. Guichaoua à IRIN.
Modes de lutte changeants
Les dirigeants touaregs du Mali et du Niger ont également des influences très différentes sur leur pays respectif.
Après avoir accepté de mettre un terme aux hostilités à la fin de l’an 2000, par exemple, le commandant touareg malien Ibrahim Bahanga n’a pas rendu les armes. Au Niger, par contre, les dirigeants touaregs ont plus ou moins accepté les accords négociés par le dirigeant libyen de l’époque, Mouammar Kadhafi, qui incluaient le désarmement, a dit M. Guichoua.
Selon M. Ewangaye, de la HACP, la lutte des Touaregs nigériens se poursuit, mais leurs méthodes ont changé.
« La lutte armée était une étape de la protestation contre leur situation. L’accord de paix est une nouvelle étape qui ouvre la voie à la reconstruction nationale. Il existe toujours des raisons de se soulever, mais le mode de lutte a changé », a-t-il dit.